Saisir la transformation digitale de la finance et ses enjeux juridiques

La finance digitale développe ses garde-fous à Genève

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Les enjeux liés à la transformation digitale du secteur bancaire et financier touchent désormais tout le monde, y compris les organisations internationales. L’Université de Genève travaille en continu à l’établissement d’un cadre légal solide et neutre. Et il est déjà enseigné.


Le numérique est une nouvelle priorité thématique de la politique étrangère de la Suisse. Berne entend à cet égard positionner Genève comme un pôle mondial des débats sur le numérique et ses nouvelles technologies. En regard du droit de la finance digitale, la Genève internationale occupe d’ores et déjà une place de choix dans le domaine des nouvelles technologies, abritant notamment l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), l’Union internationale des télécommunications (UIT) et le Forum sur la gouvernance de l’internet (IGF) des Nations Unies. Pour faire face à des défis toujours plus complexes, Genève serait donc le lieu idéal pour accueillir un pôle mondial des débats sur le numérique.

Nous vivons dans un monde polarisé dans lequel les États-Unis et la Chine se disputent la première place en matière d’intelligence artificielle. De son côté, l’Union européenne cherche à être au-devant de la scène en tant que régulatrice de l’éthique de l’intelligence artificielle. La Genève internationale, qui soutient le multilatéralisme, pourrait facilement se positionner pour apporter la neutralité nécessaire à ce débat, à même de placer l’humain au cœur des préoccupations.


Un bond numérique salutaire ?

La situation sanitaire actuelle a amené tout un chacun à faire un bond dans le numérique, sans forcément y être préparé, et sans connaître tous les impacts d’une telle transition. Même si l’impulsion était déjà donnée bien avant, nous assistons depuis 2020 à une remarquable accélération de certains processus de transformation numérique. En ce qui concerne le recours au télétravail, il s’est fait pour de nombreux employés dans la précipitation. Avec la situation sanitaire actuelle, le secteur de la finance a franchi des pas de géant en ce sens, après avoir longtemps émis des réserves, ou même opposé de la résistance au changement. Les enjeux sont particulièrement importants dans des domaines où les employés traitent des données sensibles de leurs clients.

L’importance de la cybersécurité se fait de plus en plus ressentir. Du point de vue des employés, le monde hyperconnecté dans lequel nous vivons permet beaucoup de souplesse et de flexibilité. Quand tout devient technologiquement possible, il reste à apprendre à poser des limites afin de garder un esprit sain dans un corps sain. C’est à cela que nous nous attelons à l’Université et au Centre de droit bancaire et financier. Ainsi, nous avons lancé l’année dernière une formation continue* qui pose les bases légales de ce qu’il faut connaître pour avancer dans le monde de la finance digitale d’aujourd’hui sans se brûler les ailes.


Un nouveau regard sur les échanges financiers internationaux

quartier-banques-geneve-1500.jpgDe nombreuses incertitudes demeurent sur l’avenir des échanges financiers internationaux dans ce contexte d’innovation. Par exemple, la technologie des registres distribués (TRD) - système numérique qui enregistre des transactions d'actifs et leurs détails sur une base de données dans plusieurs emplacements à la fois, ndlr - appliquée à la finance pourrait transformer de manière conséquente les échanges financiers internationaux. Du point de vue de son efficacité, cette technologie promet de diminuer les coûts des transactions financières. En matière de paiements internationaux, elle permet de réduire le nombre d’intermédiaires financiers, les frais prélevés par les acteurs traditionnels étant parfois exorbitants.

Mais la TRD n’est pas la seule manière de rendre les échanges financiers internationaux moins onéreux, même si celle-ci a le mérite de bousculer les acteurs traditionnels de la finance qui occupaient jusqu’alors une position plutôt confortable. Son utilisation engendre néanmoins de nouveaux défis majeurs, notamment pour les autorités financières en termes de lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme. Dans ces domaines, les efforts consentis par la communauté internationale pour converger vers une approche commune sont cruciaux.


Réguler ou innover, faut-il choisir ?

La numérisation est un important facteur de compétitivité de la place financière suisse. Elle permet de développer des modèles d’affaires innovants dans le secteur financier. Mais les conséquences futures des disruptions technologiques sont particulièrement difficiles à anticiper pour les autorités. En droit bancaire et financier, les acteurs sont soumis à des réglementations particulièrement contraignantes qui restreignent l’innovation.

Dans un tel contexte, diverses juridictions tentent d’assurer la compétitivité de leur place financière en octroyant des assouplissements à leurs acteurs. Par exemple, en Suisse, l’autorisation Fintech ainsi que le régime sandbox visent à offrir un espace d’innovation permettant aux acteurs déployant des technologies financières (Fintech) de faire leurs preuves. Pour accompagner l’innovation, un cadre légal se doit idéalement d’offrir la prévisibilité nécessaire aux assujettis. Mais les autorités financières doivent garder une certaine latitude leur permettant d’éviter que les nouvelles technologies soient utilisées pour contourner le cadre légal existant. Il n’est pas aisé de concilier les divers enjeux. Il s’agit de trouver la juste mesure, et à temps pour ne pas étouffer l’innovation.


Un levier d’action pour l’inclusion financière

Le numérique peut jouer un rôle prépondérant en matière d’inclusion financière. Cela s’adresse notamment à une partie non négligeable de la population mondiale n’ayant pas de compte bancaire, mais possédant toutefois un smartphone. Dans un tel cas, la numérisation des services financiers peut contribuer à réduire les inégalités. Rappelons qu’au début des années 2000, dans un langage plutôt pessimiste, on parlait avant tout de fracture numérique.

Depuis quelques années, il est fait de plus en plus référence au concept d’inclusion financière. Imaginez un musicien de rue au temps du passage à une cashless society. Il serait totalement exclu du système. Dans certains pays, grâce aux applications de paiement sur smartphone, les musiciens de rue mettent à disposition leur code QR pour ainsi se faire rémunérer. Les géants de la tech sont ainsi capables de mesurer la capacité financière d’un individu modeste à rembourser de petits emprunts grâce à l’historique de ses transactions. Des crédits peuvent alors être accordés suite à une simple analyse des données des utilisateurs. Loin de moi l’idée de considérer l’endettement comme la panacée, mais en termes d’inclusion financière, cet exemple illustre parfaitement l’accès à de nouveaux services financiers rendu possible à l’ère digitale.


La finance numérique, durable ou pas ?

On critique souvent le numérique pour son impact non négligeable en termes notamment d’émissions de CO2, mais il faut réfléchir en termes de développement durable, pas seulement d’environnement. Les technologies de la finance numérique offrent des solutions favorisant l'atteinte des Objectifs de développement durable (ODD). Leur utilisation et leur généralisation permettent entre autres d’améliorer les politiques publiques environnementales et climatiques grâce à une gestion plus efficace de la consommation.

Dans le monde de la finance, l’enjeu consiste à soutenir la transition écologique en redirigeant les ressources financières vers des investissements respectueux de l’environnement. Le recours au Big Data et à l’intelligence artificielle peut contribuer positivement au développement de l’investissement responsable, car l’analyse de données peut servir à mieux identifier quels sont les investissements vraiment durables.

Il est vrai cependant que la numérisation représente malheureusement une menace pour l’environnement. Le stockage de données consomme de plus en plus d’électricité. Aussi, le bitcoin, ayant atteint des valeurs record en 2021, est particulièrement gourmand en électricité, la puissance de calcul informatique nécessaire pour transférer cette cryptomonnaie étant considérable. Dès lors, si la situation demeure incontrôlée, le bilan carbone pourrait s’avérer extrêmement négatif. Un cadre légal est ici également nécessaire et, à nouveau, les enjeux sont à l’échelon planétaire. L’implication de la communauté internationale dans l’élaboration et la mise en œuvre de ce cadre est par conséquent là aussi indispensable.

Cet article a également été publié dans l'édition de février 2021 de newSpecial.