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Technologies de l’information et transformations du travail: quels enjeux pour les professionnel-les de santé?

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Portails patients, outils de santé connectés, dossiers partagés informatisés, etc. Depuis plus de vingt ans, les technologies de l’information changent la nature du service et l’environnement de travail des professionnel-es de santé. Ces innovations s’inscrivent dans une dynamique de personnalisation des parcours de santé. Elles placent les bénéficiaires de soins au cœur de l’organisation. Les possibilités offertes par les technologies sont illimitées, et pourtant. Leur usage demande une profonde transformation de l’organisation du travail et l’acquisition de nouvelles compétences.


Un outil au service de la personnalisation

Les innovations amenées par les technologies de l’information s’inscrivent dans une logique de personnalisation des parcours de santé. Ce processus de personnalisation compte plusieurs dimensions1. Trois d’entre elles, la catégorisation, l’implication du patient et le développement des nouvelles compétences concernent particulièrement les technologies de l’information.

La catégorisation des besoins et des profils de patients est, du point de vue de l’organisation du travail, au centre de l’effort de personnalisation en santé. Elle permet, à partir des données recueillies sur des individus, de constituer des catégories de besoins et de les mettre en relation avec des réponses adaptées à chacun des profils. Le succès des méthodes du CRM (Consumer Relationship Management)2 dans le secteur des services marchands a montré l’importance du recours aux nouvelles technologies et à l’intelligence artificielle pour « gérer la singularité à grande échelle », selon l’expression d’Etienne Minvielle3. Dans un hypermarché, par exemple, lorsque nous présentons notre carte magasin, cela permet au distributeur de cibler les offres promotionnelles qui nous seront transmises par courrier électronique. Ou encore, lorsque nous ajoutons un morceau aux favoris sur une application de musique, nous permettons au fournisseur d’affiner ses propositions en fonction de nos goûts personnels.


À terme, ces bases de données devraient permettre non seulement d’assurer la coordination des actes cliniques, mais aussi d’anticiper des besoins


De même, lorsqu’un-e patient-e répond à un questionnaire de satisfaction en ligne, prend ses constantes via un bracelet connecté à son dossier médical, ou encore lorsque son dossier informatisé est renseigné, le recours aux technologies informe des bases de données au potentiel considérable pour la santé. À terme, ces bases de données devraient permettre non seulement d’assurer la coordination des actes cliniques, comme c’est déjà le cas avec le dossier informatisé, mais aussi d’anticiper des besoins. Le traitement de ces données à grande échelle permet d’identifier des personnes à risque dans la population, de leur envoyer des conseils de prévention ciblés, de leur proposer des rendez-vous médicaux et des dépistages en fonction de critères biologiques (âges, antécédents cliniques, etc.), sociaux (isolement social, pratiques à risques, etc.), environnementaux (qualité de l’air, pollution sonore, risque naturel, etc.) ou psychologiques par exemple.

Certaines expériences tirent déjà parti des technologies de l’information pour accompagner les bénéficiaires de thérapies orales en oncologie. Dans ce cas, une application permet aux infirmier-ères de coordination de repérer à domicile les premiers signaux d’une mauvaise réaction au traitement nécessitant un changement de comportement ou une hospitalisation d’urgence.


Mettre le patient au centre de l’organisation

Ces technologies ont en commun de mobiliser les patients : elles les impliquent dans la coproduction d’un service personnalisé. Avec leurs proches, ils prennent alors en charge de façon croissante une partie du travail de soin et bénéficient d’un accès facilité à la connaissance médicale. Une forte expertise, issue de l’expérience du travail et de l’accès à la connaissance, se développe ainsi, et justifie leur implication croissante dans la décision clinique[4].

Les possibilités offertes par les technologies de l’information semblent donc presque illimitées. Toutefois, y recourir demande des transformations profondes des rapports de travail et du rôle des professionnel-es de santé.


Nouveau rôle, nouvelles compétences

Des initiatives isolées ont confirmé le formidable potentiel de ces technologies pour la gestion de parcours personnalisés en santé. Elles ont aussi fait émerger de nombreux obstacles techniques et juridiques[5] à leur implantation. Toutefois, l’obstacle le plus important à leur usage ne se situe pas à ce niveau, mais réside dans la manière dont ces transformations du travail sont accueillies.

L’usage de ces technologies exige en effet un nouveau rôle des professionnel-es de la santé : partenaire dans la coproduction du service. Ce rôle peut remettre en cause leur mandat professionnel. En effet, en introduisant les bénéficiaires des soins au cœur des organisations de santé, les technologies de l’information portent une nouvelle perspective sur le travail lui-même.


La mise en œuvre des technologies de l'information nécessite un véritable changement de culture de travail.


Traditionnellement, dans le domaine de la santé, le travail est organisé en silos parallèles. Les actes sont traités séparément par lieu d’activité (prévention sur le lieu de travail/à l’école, soins à domicile, médecine de ville, hôpital, etc.), et par temporalité (prévention, actes cliniques, réadaptation/suivi postopératoire). L’expérience patient défie cette organisation discrète du travail : sa prise en compte via les nouvelles technologies exige de décloisonner les réponses. Ainsi, les technologies de l’information ne constituent pas simplement un nouvel outil au service de la qualité en santé. Leur mise en œuvre ne peut se limiter à un transfert des compétences d’usage techniques (un mode d’emploi des outils), mais nécessite un véritable changement de culture de travail.

Les professionnel-les de santé, dont le raisonnement a longtemps été limité par champs de spécialité, doivent aujourd’hui être capable d’appréhender de façon globale les problèmes de santé. Qu’est-ce que cela signifie ? Il s’agit d’inclure dans le raisonnement clinique de nombreux paramètres organisationnels, sociaux, environnementaux, psychologiques et de service, qui ne sont pas toujours valorisés dans leurs formations initiales. Heureusement, leur forte capacité d’adaptation aux réalités du terrain et leur motivation à se former tout au long de leur parcours professionnel leur permet d’acquérir de nouveaux outils, en Santé publique notamment, pour appréhender ces changements de paradigme au travail.

 

Évènement en lien

Le 16 juin 2022 à 17h30, dans le cadre des « Jeudis de la santé », les équipes des Maîtrises universitaires d’étude avancées (MAS) en Santé Publique et en Management des institutions de santé, organisent un évènement à Uni Bastion consacré à la «Transformation des métiers de la santé et les nouvelles technologies de l’information». L’évènement sera ouvert par une présentation du Prof. Claude Sicotte, de l’Université de Montréal, et sera suivi d’une table ronde avec des acteurs/trices locaux de la santé. Plus de détails et inscription


1 Minvielle, E., Waelli, M., Sicotte, C., & Kimberly, J. R. (2014). Managing customization in health care: a framework derived from the services sector literature. Health Policy, 117(2), 216-227.

2 Law, R., Fong, D. K. C., Chan, I. C. C., & Fong, L. H. N. (2018). Systematic review of hospitality CRM research. International Journal of Contemporary Hospitality Management.

3 Minvielle, É. (2018). Le patient et le système: en quête d'une organisation sur-mesure: approches innovantes du parcours de santé (p. 1). Seli Arslan.

4 Légaré, F., & Thompson-Leduc, P. (2014). Twelve myths about shared decision making. Patient education and counseling, 96(3), 281-286.

5 Le traitement de données personnelles et sensibles exigeant de nombreuses garanties