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L’UNIGE lance son premier COS dans le domaine de la santé: un diplôme innovant au service des réfugié-es

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Le Certificat d'études libres et ouvertes (Certificate of Open Studies en anglais – abréviation COS) en Santé communautaire est une première pour l'Université de Genève (UNIGE) à plusieurs titres. Il s'agit tout d'abord du premier diplôme COS créé. Depuis quand ce type de diplôme existe-t-il? Pourquoi avoir créé un nouveau titre? Ce type de démarche est-il fréquent pour l'UNIGE? Existe-t-il d'autres COS en Suisse?

Micheline Louis-Courvoisier: Le COS en Santé communautaire est une première pour l’Université de Genève à plusieurs égards, car il s'agit tout d'abord du premier diplôme créé depuis que ce type de formation existe. C’est la première fois depuis que je suis au Rectorat de l’UNIGE (2015) que nous créons un nouveau diplôme, donc ce n’est pas une démarche fréquente, et elle ne devrait pas l’être.

Le Conseil d'État a validé le COS en tant que titre en février 2020, ce qui était une étape très importante, parce que nous avons dû changer les statuts de l'Université pour que cela se fasse (NDLR le COS ne requiert pas de diplôme universitaire préalable comme condition d’admission). Ce nouveau COS est donc une vraie première expérience qui débute aujourd’hui, mais nous avons dû mettre, depuis 2017, toutes les conditions nécessaires pour faire aboutir ce projet qui offre une application très concrète.

Ce nouveau diplôme ne permet pas simplement d’ouvrir l’accès universitaire à de nouvelles populations grâce à des conditions d’admission adaptées, il a été lancé suite à un grand travail préalable dans les camps humanitaires où nous avons pu identifier une réelle nécessité à travers l’expérience d’InZone. Suite à ce constat, nous avons créé une commission universitaire pour élaborer un cadre institutionnel adéquat.

Nous ne pouvons pas dire que nous sommes les premiers à créer un COS en Suisse, car l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) l’a fait aussi dans d’autres domaines, mais le COS est un diplôme cadré. Je précise tout de même que Swissuniversities n’a pas souhaité reconnaître le COS jusqu’à présent. L’UNIGE étant très proche des milieux internationaux et humanitaires, il était indispensable pour nous de répondre à une demande précise du terrain humanitaire en proposant une offre qui soit pertinente à plusieurs niveaux.


Le COS en Santé communautaire est le premier du genre pour l'UNIGE. Mais d'autres universités ont aussi répondu aux besoins en formation des personnes réfugiées. Dans quel contexte s'inscrit le COS dans les pays accueillant des réfugié-es? Qu'est-ce qui différencie l'UNIGE et le COS?

Karl Blanchet: Le diplôme COS est une incroyable innovation, car elle va donner l’opportunité aux populations souhaitant apprendre et se former à l’université, de le faire, même si elles n’ont pas forcément les diplômes habituellement requis pour être admises.

C’est le cas, par exemple, pour la plupart des populations avec lesquelles nous travaillons avec InZone : les personnes réfugiées au Kenya et en Jordanie. Avec le COS, l’université devient un espace d’ouverture et de partage de connaissances qui étaient par le passé accessible, mais de manière limitée ou trop coûteuse pour ces populations. Avec la pandémie COVID-19, nous avons pris conscience du besoin d’apporter un maximum de connaissances à des populations qui ont été les premières à être isolées du reste du monde. L’université est cette institution unique au monde où la connaissance est disponible, analysée et discutée. Grâce à l’introduction du COS, nous aurons donc la possibilité de mettre à l’échelle des programmes académiques de qualité pour les populations réfugiées dans le monde.

Aujourd’hui, nous proposons le COS en Santé Communautaire, avec la Faculté de Médecine de l’Université de Genève et la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) et, très prochainement, un COS en Éducation dans les situations d’urgence avec la Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Éducation (FPSE) et l’Université de Niamey. Des universités et centres de formation au Kenya et en Jordanie contribuent au COS en Santé communautaire en proposant des contenus contextualisés et de formateurs/trices sur les campus d’InZone situés dans les camps de Kakuma, au Kenya, et d’Azrak, en Jordanie.


Le COS en Santé communautaire est proposé en partenariat avec la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR). Comment ce partenariat renforce-t-il la formation?

K.B.: Au niveau mondial, la FICR est l’organisation qui a le plus de légitimité dans le domaine de la santé communautaire. Elle coordonne 192 sociétés nationales de la Croix Rouge qui elle-même gèrent des milliers d’agents communautaires présents sur le terrain dans chaque pays. Leur expérience et leur ancrage local sont uniques. Quoi de plus naturel que de travailler avec ces professionnel-les de la santé communautaire (qui ont d’ailleurs trouvé ce projet COS fascinant)? Ce partenariat a été conçu comme une collaboration complémentaire bien comprise au bénéfice de populations qui ont besoin d’être équipées de connaissances et compétences en santé communautaire afin de pouvoir mieux assister leurs familles et leurs communautés respectives.


Le COS en Santé communautaire est proposé en format hybride, avec une très forte composante en ligne. Quel a été le rôle des MOOCs dans le développement de ce type de diplômes ?

M.L.C.: Le rôle des MOOCs a été important jusqu’ici. D’une part parce que c’est un développement pédagogique qui se fait depuis un moment, indépendamment du COS, qui nous a peut-être servi, avec l’enseignement à distance, dans la transmission de connaissances sous une autre forme que le cours en présence. Nous savons donc que ce format existe et nous l’avons pratiqué (NDLR voir l’offre complète des MOOCs de l’UNIGE).

Le format du MOOC existe, car il est pertinent dans certaines situations et nous pouvons nous appuyer là-dessus, mais le COS permet aux participant-es d’acquérir le contenu de la formation de manière plus souple et dynamique. Ce dialogue « distance-présence » est précieux et il permet aux enseignant-es d'aller dans les camps humanitaires à certains moments pour discuter avec les participant-es, faire passer les examens, etc., mais aussi pour voir dans quelles conditions ils/elles travaillent. Cette dialectique « distance-présence » me semble très favorable parce que c'est important de connaitre la réalité des participant-es afin de pouvoir adapter les contenus de la formation, si nécessaire.


D'autres COS sont en préparation en Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Éducation et au Centre interfacultaire des droits de l'enfant. Quel avenir attendez-vous pour les prochains COS?

M.L.C.: J'aimerais tout d’abord que ces COS soient toujours développés en termes de pertinence (pour quel public ? Et à quelle fin ?), car ce type de formation a une fonction vraiment particulière et accepte des populations qui ne sont normalement pas admissibles à l'Université de Genève. Le COS ne doit pas devenir une tactique pour entrer dans l'UNIGE. En revanche, cela devrait être discuté aussi avec des universités des pays concernés, et permettre ainsi aux étudiant-es d’entrer ensuite dans ces universités. C’est précisément la raison pour laquelle nous travaillons en partenariat avec les universités locales, qui se trouvent à proximité des différents camps de réfugiés. 

J’insiste sur cette notion de pertinence, car celle-ci permettra d’aider les populations qui ont le plus besoin de cette formation. Il faudrait qu’en aucun cas les COS ne soient détournés pour une cause politique ou une idéologie pédagogique particulière. Les besoins de la communauté étudiante doivent toujours pris en première considération, comme pour tous types d’enseignements, d’ailleurs.

K.B.: D’ici trois à cinq ans, nous espérons être capables d’offrir quatre à cinq COS aux populations réfugiées dans le monde afin de répondre à leurs besoins premiers. Je me réjouis de constater que toutes les facultés de l’UNIGE sont convaincues par le programme InZone, et sont prêtes à suivre les pas des premiers COS. Au-delà des contenus de cours, nous avons besoin de trouver des bourses pour les participant-es réfugié-es, et cela passe pour le moment par la générosité du Canton de Genève, mais nous espérons que des fondations de Genève viendront se joindre à l’effort de rendre accessible ces programmes de cours. Nos équipes locales, qui sont composées de réfugié-es, reçoivent chaque jour de plus en plus de demandes d’inscriptions. Refuser ces inscriptions par manque de bourses est douloureux. Genève et la Genève internationale ont un rôle unique à jouer pour soutenir l’Université de Genève et InZone dans cette mission de service à la société.