Carnets de recherche

Terrain exploratoire à Johannesburg - Hydropolitique d'une métropole en effervescence

Dans le cadre de sa thèse, Yannick Rousselot, doctorant au Département de Géographie et Environnement et à l'Institut de Gouvernance de l'Environnement et Développement Territorial, a passé un mois à Johannesburg. Il raconte.

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"Le terrain de quatre semaines que j’ai entrepris à Johannesburg en janvier 2017 était un terrain exploratoire. J’avais déjà eu l’occasion de passer quelques jours sur place en 2008 en route pour un terrain au Lesotho. En passant plus longtemps sur place, j’ai pu constater les paradoxes qui la caractérise en termes de clivage et d’extrême pauvreté qui côtoie un étalage de richesse complétement décomplexé à une rue de distance. Mais cela a été aussi l’occasion de découvrir l’extraordinaire dynamisme culturel et économique de cette ville en plein boum. Malgré la tension palpable et l’image d’extrême danger associée à cette ville (image que les habitants alimentent), c’est une expérience tout à fait passionnante et stimulante que d’arpenter cette sorte de capitale émergente du continent africain.

L'objectif général de ce séjour était de m’aider à démêler l’écheveau complexe des problématiques d’approvisionnement et de distribution en eau dans cette métropole. Bien que le temps imparti fut réduit, et l'objectif ambitieux, une stratégie de recherche m'a permis d'avancer significativement dans l'exploration des enjeux politiques et sociaux de la gestion de l'eau à l'échelle de l'agglomération. J'ai donc mêlé entretiens et collecte de documents officiels et officieux à des visites de sites.

Pour démarrer ce terrain, j’ai tout d’abord pris contact avec plusieurs chercheurs travaillant dans le domaine de l’eau, afin de m’aider à saisir les enjeux structurels sous-jacents à la « crise » de sécheresse qui a fortement touché l’Afrique du Sud ces dernières années. J’ai notamment eu l’occasion d’échanger avec la chercheuse Mary Galvin, à l’université de Johannesburg, qui étudie les questions de participation dans les processus de décentralisation de la gestion de l’eau en milieu rural en Afrique du Sud. Elle m’a beaucoup aidé dans la compréhension des dynamiques et de la chronologie des mobilisations sociales qui ont secoué la ville de Johannesburg, surtout dans les années 2000. Elle m’a conseillé une littérature très riche. Elle m’a orienté vers plusieurs chercheurs travaillants dans le domaine de l’eau dans la communauté académique de Johannesburg. Elle m’a également mis en contact avec des acteurs du milieu associatif. Ces échanges m’ont permis de compléter le tableau des problèmes d’accès à l’eau pour les espaces extra-urbains dans la région du Gauteng – la plus petite province, mais aussi la plus riche et la plus peuplée du pays, qui consiste essentiellement en la métropole de Johannesburg et un espace rural parsemé de zones minières.

Un ancien directeur du département de l’eau de la république d'Afrique du Sud (Departement of Water Affairs, DWA), actuellement chercheur dans l’institut d’étude de la gouvernance à la Wits University (la plus importante université de Johannesburg) m’a donné un point de vue plus institutionnel des enjeux d’approvisionnement en eau. Il défendait que la seule solution pour assurer l’approvisionnement de l’eau de la métropole de Johannesburg, et des villes sud-africaines en général, à long-terme passera nécessairement par l’augmentation des capacités de transferts hydrauliques et donc la construction de nouvelles infrastructures. Cela constitue un passionnant aperçu du point de vue dominant au sein du gouvernement sud-africain de la gestion orientée vers l'augmentation de l’offre plutôt que vers une gestion de la demande. Cet acteur était d’ailleurs taxé de technocrate par la plupart d’autres acteurs que j’ai pu rencontrer par la suite.

J’ai eu la chance de pouvoir faire un entretien avec Patrick Bond, chercheur incontournable sur les questions de water justice en Afrique du Sud. Anciennement basé à Durban, il est désormais à la Wits. Très impliqué et militant, il m’a offert un regard d’insider sur les diverses associations impliquées dans les mobilisations liées à l’eau à Johannesburg, en particulier un important mouvement qui a fait campagne contre l’installation de compteurs à pré-payement dans les ménages de Soweto. Ce chercheur m'a également aidé à m’orienter, en termes de littérature, d’acteurs du milieu associatif que je devais rencontrer, mais aussi en avec des conseils de problématiques vers lesquelles je pourrai orienter ma recherche.

La visite du département de géographie de la Wits m’a permis de voir les recherches en cours et de discuter avec le directeur, qui souhaite constituer un pôle interdisciplinaire de recherche sur l’eau au sein de l’université, afin de fédérer les très nombreux chercheurs qui travaillent sur la question. Il m’a d’ailleurs invité à intervenir dans un cycle de conférence sur les enjeux de l’eau, lors d’une prochaine visite en Afrique du Sud.

Ce premier terrain de recherche m’a permis de faire une demi-douzaine d’entretiens qui se sont révélés essentiels pour acquérir une certaine vision d’ensemble des enjeux politiques et économiques qui sous-tendent la question des usages et de l’accès à l’eau à Johannesburg. Il m’a permis d’établir un nombre important de jalons pour créer des réseaux de contacts avec divers membres d’association militantes pour les questions de justice sociale et environnementale, que je pourrai réactiver lors de ma prochaine visite de terrain.  Je compte retourner à Johannesburg pour poursuivre cette série d’entretien, mais également accéder à des archives de la ville et de la compagnie municipale de distribution d’eau, la Johannesburg Water pour donner une profondeur historique à l’analyse que je compte faire de ces enjeux contemporains."

7 décembre 2017
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