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Coformations 2016-2017

Coformation du stage en responsabilité des 4 semaines du vendredi 28 avril 2017 : Formateur, stagiaire : (Se) reconnaitre pour (se) former

La coformation des stages en responsabilité cherche chaque année à renforcer la cohérence du domaine III du plan d’études, consacré à l’intégration et au développement professionnel des étudiantes et étudiants. Elle cherche aussi à nous aider conjointement, formatrices et formateurs de terrain et universitaires, à affiner nos regards et à accompagner et outiller les stagiaires dans leur cheminement.

Cette année, nous avons choisi de consacrer les journées de coformation des stages en responsabilité à la question de la transmission et de la négociation de valeurs qui nous habitent ou nous mettent en tension en tant qu’enseignant-e-s expert-e-s  ou en devenir, formateurs-trices ou personnes intéressées par les problématiques de l’éducation scolaire.

C’est le Dr François Gremion (HEP – BEJUNE) qui, par sa conférence et sa présence durant la journée, nous entrainera dans notre réflexion autour de questions qui nous concernent toutes et tous.

La citation suivante, extraite de la thèse de François Gremion, introduit bien, nous semble-t-il, les enjeux de cette journée de coformation :

"La reconnaissance sociale de l’enseignant a sensiblement diminué ces dernières années. Chez les enseignants débutants de Suisse romande et du Tessin, il s’agit même de l’élément de satisfaction à l’égard de la profession dont la cote est la plus basse (Gremion & Voisard, 2011). La reconnaissance individuelle visée aujourd’hui n’est plus celle reposant avant tout sur le statut, le prestige ou l’honneur que confère l’appartenance à un groupe, mais celle qui permet de se distinguer dans les espaces de concurrence qui prennent jour au sein des groupes d’appartenance. S’il devient dès lors nécessaire de reconnaître des individus de façon singulière non pas sur la base d’un accroissement de leur autonomie personnelle, mais sur celle de leur (auto)réalisation individuelle (Honneth, 2000), qu’en est-il dans le cadre d’une institution de formation à l’enseignement ?"

Cette question nous invitera à considérer la place de la reconnaissance dans les processus de formation des étudiants que nous côtoyons tout au long de leur cursus de formation. Que reconnaissons-nous chez nos stagiaires, futurs collègues ? Que reconnaissent-ils chez nous, leurs formatrices et formateurs ? En quoi ce double processus de reconnaissance nous permet-il d’aborder la question des valeurs que nous explorons ensemble cette année ?

Ces questions —et d’autres sans doute— jalonneront notre journée et nous permettront d’interroger nos pratiques de formatrices et formateurs, de terrain et universitaires. 

Quelques références : 

Gremion, F. (2016). La fonction de soutien de la reconnaissance à la construction des savoirs professionnels. Thèse de doctorat. Genève : Université de Genève.  no. FPSE 623. URL : http://nbn-resolving.de/urn:nbn:ch:unige-846690

Résumé de la thèse de François Gremion (2016) : Cette recherche s’inscrit dans une perspective pragmatiste classique (Dewey, 1967) et interactionniste (Mead, 2000; Strauss, 1992). Son objet est le rôle de dynamiques de la reconnaissance (Honneth, 2000) dans la construction de savoirs professionnels (Vanhulle, 2009) d’enseignants secondaires engagés dans un programme de formation initiale. À l’aide d’une démarche d’analyse en mode écriture (Paillé & Mucchielli, 2003) portant sur des données authentiques collectées dans le cadre d’un dispositif de vidéoformation, la perspective retenue est celle de la situation de l’agir professionnel. L’approche descriptive à visée compréhensive de l’analyse met en évidence que les savoirs professionnels se construisent avant tout dans la relation privilégiée à un individu significatif, le plus souvent un maître de stage. La reconnaissance donne forme à la situation par l’émergence d’une configuration qui prend l’allure d’un parcours allant de la reconnaissance identification à la gratitude, en passant par la reconnaissance attestation (Ricoeur, 2004).

Théorie de la reconnaissance avec Axel Honneth, retranscription réalisée par Maryse Legrand de l'entretien dans "La suite dans les idées", émission du 2 janvier 2010. URL : http://www.fabriquedesens.net/Theorie-de-la-reconnaissance-avec

Honneth, A.  Le droit de la reconnaissance. URL : https://www.youtube.com/watch?v=yfNCkARI_Zc

Programme détaillé de la journée : cofo-4semaines .pdf

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Les traces des ateliers : 

Note de synthèse de l'atelier animé par Sabine Vanhulle et Cristian Bota.

Les échanges dans le groupe ont porté sur quatre grandes dimensions pouvant être reliées à la reconnaissance dans la relation d’accompagnement des futurs enseignants :

  • l’image de l’autre ou la reconnaissance en tant qu’identification mutuelle ;
  • l’outillage de l’observation ou la reconnaissance d’ordre praxéologique ;
  • l’évaluation comme conséquence et/ou obstacle de la reconnaissance ;
  • le courage comme critère de la reconnaissance.

A partir de leur propre expérience, les formateurs de terrain ont souligné l’importance des mécanismes de mobilisation de l’image de l’autre dans la relation d’accompagnement, c’est-à-dire de l’ensemble des représentations à propos de l’enseignant (actuel ou en devenir), que chacun des partenaires crée ou met en jeu dans la relation. Ces représentations semblent répondre à des questions comme : quel type d’enseignant est-il (le formateur de terrain) ? quel type d’enseignant se voit-il (l’étudiant) devenir ? vais-je pouvoir apprendre de lui ? L’activation des représentations correspondantes opère dès les premiers instants de la rencontre entre stagiaire et formateur de terrain, donnant lieu à des attentes qui sont investies d’expériences antérieures, d’un certain vécu, et qui sont entourées de certitudes et de craintes, notamment du côté du stagiaire. Il est important que le formateur de terrain crée un lieu et une occasion pour l’expression de ces attentes, en distinguant aussi clairement entre l’image de la personne (à laquelle il est difficile d’accéder en 3 ou 4 semaines) et l’image du professionnel (qui peut donner lieu à une reconnaissance).

Pour édifier une relation d’accompagnement basée sur la reconnaissance mutuelle, l’outillage de l’accompagnement joue un rôle capital. Certains formateurs de terrain utilisent les carnets de bord comme outillage de prédilection : un cahier spécialement dédié au stage en cours, dans lequel le formateur note tous les éléments qui lui semblent pertinents pour l’identification des compétences mises en œuvre par le stagiaire : d’une part, des faits et des effets observables des actions du stagiaire (les petits détails ayant ici toute leur importance) ; d’autre part, des remarques d’ordre théorique et pratique pouvant aider le stagiaire dans ses apprentissages. Les notes sont utilisées pour faire le point avec le stagiaire après chaque demi-journée et le carnet est offert au stagiaire à la fin du stage. La pratique du stagiaire fait donc l’objet d’une observation et d’une reconnaissance minutieuses ; le carnet est également le matériau essentiel pour la rédaction du rapport d’évaluation certificative.

Du point de vue de l’évaluation, les formateurs de terrain du groupe ont relevé la permanente tension entre les casquettes de formation et d’évaluation du formateur de terrain, tension qui habite la relation d’accompagnement du début à la fin du stage. En reconnaissant le stagiaire comme professionnel en devenir, le formateur est lui-même reconnu dans son rôle par l’étudiant (et à condition que l’étudiant se reconnaisse lui-même suffisamment pour s’autoriser à accorder la reconnaissance à autrui…). Au moment de l’évaluation cependant, si l’évaluation est négative (non acquis), il est vraisemblablement difficile que l’étudiant se sente reconnu, la reconnaissance se transformant alors, dans le vécu de l’étudiant, dans du mépris. La reconnaissance est donc un socle nécessaire de l’évaluation, quelle que soit son contenu ; mais inversement, l’évaluation ne semble impliquer la reconnaissance que si elle est positive.

Enfin, dans le processus de reconnaissance du stagiaire par le formateur de terrain, une dimension évoquée systématiquement a été celle du courage, de la prise de risque, de l’initiative, résumée par un seul mot : oser. Pour les formateurs présents, le fait d’« oser aller au bout d’une crise » (en l’occurrence, celle d’un élève, mais on peut tout aussi bien imaginer d’aller au bout d’une « crise » en tant que stagiaire) a été considéré comme l’un des éléments permettant au stagiaire d’accéder à la reconnaissance en tant que professionnel en devenir.

 

Note de synthèse de l’atelier d’Andreea Capitanescu Benetti et Philippe Wanlin.

Le sujet de la reconnaissance ou inter-reconnaissance a déployé plusieurs aspects importants de la relation FT-stagiaire. D’abord que les instants d’échanges autour de la reconnaissance sont rarement formels sauf lors des tripartites. Lors de ces échanges, les FT reconnaissent les progrès des stagiaires au fil des stages. En règle générale, les stagiaires ont de bonnes qualités, ils préparent de bons cours, ils gèrent bien les classes et adoptent des gestes idoines compte tenu du public dont ils ont la charge et des collèges. Néanmoins, ils observent que les stagiaires n’osent pas. C’est-à-dire qu’ils ont une certaine zone de confort dans laquelle ils progressent mais qu’ils ont beaucoup de réticences à dépasser. Leur peur a trait aux contraintes liées à l’évaluation des stages par l’université. En effet, il ressort des discussions que les stagiaires ne se donnent pas le droit d’être eux-mêmes car ils ressentent une pression d’évaluation et d’obligation d’entrer dans le moule.

Par rapport à la communication de la reconnaissance du FT par le stagiaire, il s’avère que cela se passe davantage dans le non verbal plutôt que dans le verbal. En effet, c’est en tenant compte des remarques des FT dans l’adaptation de leurs gestes enseignants que les stagiaires témoignent de la prise en compte des critiques et conseils.

Le débat a montré la difficulté pour les FT de suivre les stagiaires dans l’acceptation de la prise de risque. Il est difficile d’être crédible lorsque l’on n’ose pas s’affirmer en tant que professionnel de l’éducation. Un bon stage est fait de confiance mutuelle que les FT rapprochent de l’inter-reconnaissance. Il s’agit de poser le cadre directement afin de favoriser des apprentissages plus rapides pour les stagiaires. Ils doivent être invités à prendre des risques. En effet, il faut leur faire comprendre qu’ils doivent prendre des risques car c’est une attente (tacite) des FT. En effet, avec la prise de risque on peut se planter, certes. Mais se planter, c’est normal, c’est surtout ce qu’on en fait après qui est important et qui apprend. Bref, ce sont sur les capacités d’autorégulation des stagiaires qu’il faut insister.

Enfin, le levier de la reconnaissance est la fréquence des échanges FT-stagiaire. Idéalement, une à deux fois par jour…

 

Note de synthèse de l’atelier de Valérie Vincent, Alexia Forget, Geneviève Mottet & Nilima Changkakoti.

L’atelier du matin  a essentiellement consisté à un tour de table sur le thème de la reconnaissance. Quelle reconnaissance du/de la FT par le/la stagiaire et inversement ? On pourrait résumer cette belle discussion du matin avec la formulation poétique suivante :

La reconnaisance c’est…

… à deux minimum

… se faire confiance mutuellement ;

… reconnaître que l’autre ne peut pas tout savoir, mais voir ce qu’il sait

…prendre en compte les commentaires de l’autre

… une reconnaissance commune du vécu émotionnel avec les élèves, les FT, les collègues (pouvoir discuter sur pourquoi on ressent ça)

… de ce que l’on peut encore apporter

…le partage des parcours communs, antérieurs, présents, avenirs, intérêts, manière de penser son rôle, sa vision du métier, son genre, son apparence physique, les vécus influençant la confiance en soi, des valeurs personnelles institutionnelles, sociales

…des difficultés éventuellement communes vécues dans la pratique de classe (face à une classe difficile par exemple)

… la reconnaissance de ses capacités

… la reconnaissance de soi-même

… questionner en tant que FT la phrase un peu vite dite « ça se passe bien »

… reconnaître son rôle.

L’atelier de l’après-midi  a été dévolu aux échanges en sous-groupes sur les schémas respectifs à partir de la question : Comment vous représentez-vous le parcours ou le trajet de votre stagiaire dans la classe, depuis le début du stage, tel que vous l’avez observé…? Qu’avez-vous « reconnu » chez elle ou lui ?...

La reconnaissance c’est une construction, un processus, un cheminement. On ne « reconnaît pas » parce qu’on l’a décidé ! Reconnaître chez l’autre appelle, en amont, d’accepter ses propres forces et limites : être conscient de son propre profil professionnel pour ensuite s’en distancer et accueillir celui d’un pair dans une logique d’ouverture plutôt que de comparaison. 

La reconnaissance est une compétence dynamique : parfois mise à l’épreuve par des variables parasites qui viennent troubler, influencer notre jugement.  La reconnaissance est une compétence autant fragile que précieuse : à chaque nouvelle expérience, elle se réinvente, se fraye un chemin au fil des observations et des discussions. La reconnaissance se construit en contexte mais elle appelle simultanément un détachement de certains éléments contextuels qui pourraient nous éloigner de l’objectivité visée.

La reconnaissance est une compétence globale qui requiert à la fois une décentration pour s’oublier un peu et faire de la place à l’autre, une ouverture pour accepter les surprises et les évolutions du stagiaire et enfin de la bienveillance pour reconnaitre justement ce qui est et ce qui n’est pas encore.

 


 

Coformation du stage en responsabilité des 3 semaines du vendredi 10 mars 2017

Formateur de terrain : un métier de transmission et de techniques

La coformation des stages en responsabilité cherche chaque année à renforcer la cohérence du domaine III du plan d’études, consacré à l’intégration et au développement professionnel des étudiantes et étudiants. Elle cherche aussi à nous aider conjointement, formatrices et formateurs de terrain et universitaires, à affiner nos regards et à accompagner et outiller les stagiaires dans leur cheminement.

Cette année, nous avons choisi de consacrer les journées de coformation des stages en responsabilité à la question de la transmission et de la négociation de valeurs qui nous habitent ou nous mettent en tension, en tant qu’enseignant-e-s experts ou en devenir, formateurs-trices ou personnes intéressées par les problématiques de l’éducation scolaire.

 C’est le Professeur Roland Goigoux (Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand) qui, par sa conférence, nous entrainera dans notre réflexion  à l’occasion de la journée du vendredi 10 mars.

La conférence de Roland Goigoux portera sur les cinq focales de l'analyse de l'activité du professeur (débutant et expérimenté) qu'il a définies: planification, régulation, motivation, explicitation et différenciation. Il s'agit de cinq points où convergent les observations des tuteurs et où se concentrent leurs critères d’évaluation. Son but sera double : 1) Favoriser une analyse systémique des organisateurs de l’activité experte afin d’en favoriser la transmission (perspective théorique : la didactique professionnelle) ; 2) Organiser l'observation de l’activité de l’enseignant débutant pour préparer les conseils (inventorier et hiérarchiser).

Les postulats de base seront les suivants :

  • Les formateurs doivent aider les enseignants débutants à devenir des spécialistes des apprentissages enfantins;
  • Ils doivent donc leur apporter des connaissances sur les apprentissages scolaires et sur les conditions qui favorisent ces apprentissages;
  • Pour cela, ils doivent aussi disposer de connaissances sur les pratiques pédagogiques efficaces;
  • Les formateurs ne doivent pas seulement accompagner les débutants dans leur démarche réflexive, ils doivent leur transmettre des savoirs et savoir-faire de métier;
  • Pour transmettre des savoir-faire, il faut que ceux-ci soient énonçables (conscientisés et explicités).

Les ateliers qui suivront cette conférence permettront d'explorer ces facettes du travail des formateurs de terrain et universitaires au regard de ce qui constitue l'activité enseignante et des enjeux de sa transmission. Comment dire le travail de l’enseignant, pour orienter le -la stagiaire et l’aider à réguler ses apprentissages professionnels ? C’est en mettant l’activité de travail au cœur de l’échange, que l’accompagnement (conseil, soutien, mises en mots des situations, etc.) prend tout son sens. Au-delà de simples discours conceptuels, prescriptifs ou normatifs, l’analyse outillée des savoirs et savoir-faire professionnels met en valeur l’expertise de l’enseignant-e comme le processus qui mène à cette expertise.

Références :  

Goigoux, R. (2010). Faire place aux résultats des recherches sur la formation des enseignants. Café pédagogique.

Goigoux, R. (2011). Une pédagogie éclectique au service des élèves qui ont le plus besoin de l'école. La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, pp.21-30. URL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00595003/document

Goigoux, R. Quels savoirs utiles à la formation ? (Sur les 5 focales de l'analyse de l'enseignement) URL : http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/nouvelles-professionnalites/formateurs/roland-goigoux-quels-savoirs-pour-les-formateurs

 Programme détaillé de la journée de coformationcofo-3semaines .pdf

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Les traces des ateliers : 

 

Régulation. Note de synthèse de l'atelier animé par Chantal Erard et Cristian Bota.

Les échanges ont mis en évidence que le travail de régulation déployé par le formateur pendant le stage (sous la forme des feedbacks, commentaires, analyses, réflexions, etc. partagés avec le stagiaire) et après le stage (sous la forme du rapport d’évaluation certificative) vise, in fine, à permettre au stagiaire de développer sa propre compétence d’auto-régulation. Toutes les dimensions régulatives travaillées pendant le stage doivent donc être appropriées par le stagiaire, non seulement en tant que solutions à des problèmes concrets qui se présentent pendant le stage, mais comme des mécanismes plus généraux de sa propre future activité de professionnel de l’enseignement. 

Les formateurs présents ont distingué entre deux axes de régulation, qui se croisent en permanence : la régulation qui intervient dans le rapport du stagiaire avec les élèves et la régulation qui intervient dans le rapport du formateur de terrain avec le stagiaire. Dans son rapport aux élèves, les régulations du stagiaire portent sur ces deux dimensions différentes que sont les comportements des élèves (les aspects sociaux, émotionnels des relations) et leurs apprentissages (aspects de nature didactique) ; ces dimensions doivent être articulées, l’enseignant en devenir devant s’assurer que les passages de l’une à l’autre se font de manière fluide et continue. L’axe central qui assure l’équilibre du travail sur ces deux dimensions n’est autre que la posture de l’enseignant, que le stagiaire doit construire en s’adaptant au contexte de la classe (notamment au degré) et en orientant ses interventions en fonction de la finalité générale qui est celle de la progression.

Une autre problématique majeure traitée en lien avec la régulation a été celle de la planification. En effet, pour pouvoir réguler, le stagiaire doit avoir une excellente maîtrise de son objectif – c’est uniquement cette maîtrise qui peut lui donner la liberté nécessaire pour réguler au bon moment, de la bonne manière. Se libérer des moyens d’enseignement devient alors possible. Les moyens ne sont pas une finalité en soi ; les moyens ne sont que la moyenne du quoi et du comment de l’enseignement. Pour les utiliser à bon escient, il convient également de savoir anticiper non seulement sur les régulations à faire, mais sur les réactions aux régulations, pour pouvoir réguler aussi bien ces dernières. Enfin, l’aisance dans la régulation suppose aussi que le stagiaire puisse faire appel à son intuition qui, couplée à l’expérience et à la réflexion, lui permet de « sentir » la classe, de développer un « doigté » régulatif et de puiser des solutions dans ses « tripes ».

Ce dernier aspect suppose que, au cours du stage, le stagiaire gagne en assurance et qu’il ose mettre en œuvre sa propre manière de faire. Il s’agit de s’autoriser à improviser et à rebondir, voire à prendre de la distance ou à stopper certaines activités. Le rôle capital du formateur de terrain est de mettre à l’aise le stagiaire, de l’encourager et de dédramatiser le fait de « rater » une régulation ; tout compte fait, se tromper n’est qu’une manière de prendre conscience et donc d’apprendre ce qui peut fonctionner ou non.  Le formateur de terrain accompagne cette prise de conscience pendant le stage avec une posture de non-jugement, de bienveillance.

 

La différenciation pédagogique. Note de synthèse de l’atelier animé par Andreea Capitanescu, Geneviève Mottet et Alexia Forget

La thématique en jeu nous a permis, tout d’abord, de faire la distinction entre égalité de traitement et égalité des acquis. De fait, viser l’égalité des acquis de base pour tous appelle précisément une inégalité de traitement, eu égard aux profils hétérogènes des élèves.  Ce sont donc les élèves qui se situent au cœur de la démarche de différenciation : ce sont leurs besoins, leurs forces et faiblesses qui vont modeler les actions différenciées mises en place par l’enseignant. Les groupes sont unanimes : la logique d’école inclusive renforce encore le caractère incontournable de la différenciation pédagogique.

Nous avons évoqué également la thématique de la planification : si certains gestes de différenciation s’imposent dans l’action, d’autres demandent à être organisés/planifiés lors de la planification de l’enseignement.

La thématique nous a également conduit à évoquer les élèves présentant des troubles avérés tels que TDA/H, DYS, HP sans toutefois négliger les autres élèves qui, bien que non-diagnostiqués, peuvent également présenter d’importantes difficultés. A Genève, le cas des élèves allophones fait également directement écho à la thématique de la différenciation puisque l’enjeu consiste à intégrer ces élèves dans le collectif en tentant de maximiser leur participation en classe grâce à l’aide de supports matériels ou humains (p. ex. élève-tuteur). 

Nous avons distingué la différenciation pédagogique en classe (p. ex. plan de travail, groupes de besoin, tutorat entre élèves) qui peut être mise en place par l’enseignant avec – ou non – la collaboration de l’ECSP (co-enseignement). La différenciation peut également s’effectuer hors classe – le plus souvent par l’ECSP. Par ailleurs, nous avons évoqué la circulaire préconisant une différenciation des devoirs à domicile : les enseignants font généralement varier la quantité et/ou les exigences de ces derniers.

Plusieurs enseignants ont relevé les effets positifs de la différenciation a priori (tantôt prise en charge par L’ECSP, tantôt menée par l’enseignant) qui vise à préparer certains élèves à la leçon qui va suivre. Les retombées positives s’expriment sur les plans de l’image de soi et de la participation en classe qui se voit optimisée. 

Une des conditions nécessaires à la différenciation en classe consiste à autonomiser les élèves. Cette compétence n’est pas innée chez l’élève : elle requiert, pour se développer, que des occasions d’apprendre l’autonomie soient crées par l’adulte.

Enfin, nous étions d’accord pour affirmer le caractère incontournable de la prise d’information (p. ex. recueil de traces, évaluation formative, entretiens avec les élèves) afin de guider adéquatement le choix des modalités de différenciation. En effet, différencier renvoie principalement à l’idée d’adapter les méthodes, l’étayage, les outils, aux différents profils des élèves.

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La planification. Note de synthèse de l’atelier animé par Catherine Grivet Bonzon et Adrián Cordoba

Il ressort des échanges avec les différents groupes les éléments suivants : La planification est un élément fondamental de la formation comme du métier d’enseignant. Il convient cependant de prendre en compte l’outil qu’elle représente dans ses dimensions plurielles. En effet, si les étudiants/stagiaires abordent avec une précision fondamentale, la planification lors des « Didactiques 1 et 2 », les temps de terrain les mettent devant la nécessité d’une transformation opérationnelle de celle-ci. Elle devient, de par les contraintes liées aux modifications d’emplois du temps, aux imprévus et surtout et avant tout à la présence des élèves dont l’hétérogénéité fait bouger les lignes, un outil nécessairement évolutif. Ce basculement doit nécessairement s’opérer. 

Les FTs insistent non seulement sur la planification des éléments du stage mais à une réflexion sur un avant et un après, ainsi qu’à un regard sur les différents types de planifications, à la semaine, à la séquence, à moyen terme et à long terme. Elle fait ainsi ressortir la notion essentielle d’objectifs qui servent de cap à des activités et des exercices, qui deviennent moins impératifs dans la totalité de leur exécution.

Elle permet de mettre l’accent sur la coopération entre collègues, les stagiaires, comme les FTs ayant à travailler selon la taille et la culture de l’école, avec les enseignants des mêmes niveaux de classe.

Si planifier est une nécessité pour toutes les disciplines, c’est aussi faire le deuil, sur le terrain de ce qu’on ne pourra pas mener à bien. Il convient de garder cette souplesse inhérente au métier.

Si nous devions garder deux mots : Objectifs et souplesse.

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L'explicitation. Note de synthèse de l'atelier animé par Sabine Vanhulle et Philippe Wanlin

L'explicitation est une notion qui peut être déclinée en plusieurs éléments organisés en système, c'est-à-dire que ses éléments constitutifs sont liés par une structure d'influences mutuelles multiples. Nous en retenons quatre principaux. L'anticipation est le premier élément constitutif (1). Il comprend l'anticipation avant (et après) l'enseignement et l'anticipation pendant l'enseignement. La première repose sur un travail de planification détaillée des séquences d'activités et plus particulièrement une représentation profonde de ce qui est demandé aux élèves. Ceci implique une préparation minutieuse des « feuilles d'exercice » ou apprentissages, dont par exemple : vocabulaire adapté, pré-formulation de toutes les consignes de manière orale et écrite, adaptation du degré de complexité aux spécificités de la classe, le pronostic de l'avancée de chaque élève dans la tâche, l'anticipation des difficultés potentielles via notamment la préparation d'explications supplémentaires ou par l'anticipation de remédiations, .... La deuxième, s'imbrique dans le travail de planification qui la facilité : la capacité d'adaptation en situation pour préparer un travail de différentiation adaptée. Ensuite, l'explicitation est constituée de la capacité d'abstraction nécessaire pour l'apprentissage (2). Celle-ci comporte deux volets : la capacité de l'enseignant à entrer dans le processus cognitif de l'élève et à adapter ses attentes et enseignements et, sa capacité à éveiller les processus cognitifs des élèves. Cet élément constitutif correspond donc à la capacité d'autorégulation et métacognitive qui doit être présente chez l'enseignant pour être impulsée chez l'élève. L'élément constitutif suivant est la nécessité des traces des apprentissages (3) afin qu'ils soient structurés et surtout, maîtrisés par les élèves : amener les élèves à l'automatisme via, par exemple, des séances d'exercices, mais aussi la tenue d'un sorte de mémoire didactique. Enfin, l'explicitation demande une maîtrise parfaite des contenus à enseigner (4) il ne faut pas se contenter d'une compréhension de surface, il faut comprendre les contenus dans leur profondeur pour anticiper leur enseignement, les cognitions des élèves et leur donner une structure aisément et durablement mémorisable. En tant que formateur de terrain, il est parfois difficile d'aider les stagiaires à comprendre et maîtriser la notion d'explicitation. D'où la question qui ressort de notre atelier : quelle posture adopter, en tant que formateur de terrain, pour aider le stagiaire à évoluer dans cette compétence d'explicitation ?

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La motivation. Note de synthèse de l’atelier animé par Valérie Vincent et Béatrice Brauchli

Transmettre des valeurs et des techniques au sujet de la focale « motivation » : quelles perspectives pour nos pratiques ? 

Le texte suivant formalise l’essentiel des traces figurant sur nos nappes et les discussions qui les ont engendrées. 

Partant des principes[i] énoncés par Roland Goigoux (cf. « Les fondements d’une pratique pédagogique démocratisante », R. Goigoux, octobre 2016), les enseignants ont dégagé un certain nombre de conditions qui, selon eux, suscitent la motivation des élèves favorisant la mise à la tâche et, par conséquent, les apprentissages des élèves. Ces conditions impliquent des savoir-faire qu’il s’agit d’expliciter pour permettre aux stagiaires de les intégrer peu à peu.

La réflexion sur l’action de l’enseignant s’est inscrite tout autant dans les sciences du comportement que dans celles de l’intervention (Goigoux, 2016) puisqu’elle a touché à des aspects de psychologie cognitive et du développement, ainsi qu’à des aspects didactiques et pédagogiques.

Nous avons classé les éléments évoqués par catégories.

Tout d’abord, le coté logistique, les modalités de travail. Ainsi, pour favoriser la motivation des élèves, il s’agit de varier les modalités de travail et d’agir au niveau de la gestion du temps. Le fait, notamment, d’apporter des changements de rythme permet de dynamiser la journée. Ce qui n’exclut pas les rituels qui rythment la journée, apportent une forme de stabilité, donnent des repères et ramènent l’attention des élèves.

Les aspects matériels suscitent également la motivation. Que ce soit par leur variété ou par leur côté attrayant, les supports pédagogiques (y.c. nouvelles technologies) ont leur part à jouer. 

L’engagement des élèves dans les tâches dépend aussi du sens qu’ils donnent aux activités et aux apprentissages qui en découlent. Pour cela, les enseignants ont proposé par exemple de travailler à partir des questions des élèves et essayer d’intégrer le travail sur leurs réponses dans les enseignements. Une autre proposition a été de travailler sur le « pourquoi » de tel ou tel savoir, ceci non seulement pour donner du sens pour les élèves, mais aussi pour se donner un sens à soi en tant qu’enseignant. Enfin, une autre idée consistait à refaire le chemin du savoir que l’élève était supposé vivre pour l’apprendre. 

Toujours dans l’idée du sens, l’entrée par le jeu, le côté ludique, apprendre en jouant, ont été des aspects souvent avancés.

Les enseignants se doivent d’expliciter les objectifs immédiats et sous-jacents (par ex. dire de quoi la journée sera faite) des tâches. Il leur appartient également de faire des liens explicites entre les activités qui doivent être construites dans la continuité avec le projet global de la classe. Un des éléments mis en avant est la pédagogie de projet qui permet de donner du sens aux apprentissages : développement de savoirs, savoir-faire et savoir-être utiles pour la vie de tous les jours et pour l’avenir, intégrés dans des contextes et situations larges (impliquant une approche transversale, une didactique intégrée) stimulants (film d’animation) et adaptés aux élèves. La pédagogie de projet induit ou implique la pédagogie coopérative avec ce qu’elle implique de collaboration entre élèves et de responsabilisation personnelle. L’élève pourra, par ce biais, développer des sentiments d’importance et d’appartenance et acquérir des compétences émotionnelles et sociales. Toutefois, il a aussi été rapporté que, quelle que soit la pédagogie, la motivation n’était au final pas toujours intrinsèque et que beaucoup d’élèves finalement étaient motivés de manière extrinsèque. 

Par-delà le groupe, un des facteurs essentiel de motivation est la prise en compte de chaque élève, de chaque individualité, dans ce qu’il donne à voir. Le rôle de l’enseignant est, dès lors, d’aller vers l’élève et de lui apporter son soutien avec empathie et bienveillance. Les enseignants ont souligné l’importance des encouragements et des félicitations, de la valorisation des acquis : ce qui donnerait, en plagiant Goigoux, « On apprend de ses erreurs, certes, mais surtout de ses réussites. » L’idée étant également de permettre à chaque élève de se dépasser en lui proposant des défis personnels, tout en restant dans sa zone proximale de développement, pour qu’il puisse avoir un sentiment de maitrise.

Un des derniers points porte sur la posture de l’enseignant, son langage corporel, sa voix et les expressions de son visage. L’enseignant se doit (et doit à ses élèves) d’avoir le sens de l’humour et du second degré, de prendre du plaisir, jouer, se mettre en scène et en jeu, s’approprier la matière et faire preuve d’enthousiasme (« Mettre de la sauce autour »). L’humour et le second degré.

Une bonne posture (qui selon les uns est naturelle, selon d’autres issue de l’expérience) se travaille par l’acquisition de gestes professionnels comme, le fait de s’assoir à côté d’un groupe qui aurait de la peine à se mettre au travail (ce qui implique de connaitre ses élèves), la stimulation des prises de parole (donner la possibilité à plusieurs de répondre).

L’idée également de réussir à vivre son enseignement, à le mettre en scène comme au théâtre a aussi été évoquée à plusieurs reprises. Pouvoir mettre en intrigue le savoir, finalement peut-être, raconter une histoire en enseignant, était l’idée avancée par pas mal d’enseignants.

L’enseignant se doit d’être garant du cadre, donc d’être au clair sur ses attentes. La bienveillance à l’égard des élèves, qui n’est pas synonyme de laxisme, se traduit par une gestion positive de la discipline, qui passe par l’établissement de règles claires et non arbitraires. Son attitude a un impact sur l’ambiance de classe. Travailler dans un climat serein étant également facteur de motivation.

Certains enseignants ont même avancé qu’un enseignant qui motive ses élèves est un enseignant qui s’amuse, qui prend du plaisir à faire ce qu’il fait. Toutefois, un des points qui a été fort discuté est l’idée que le charisme et/ou le plaisir de l’enseignant ne suffisait pas pour motiver les élèves et qu’une réflexion et des actions à travers l’organisation pédagogique et didactique étaient fondamentales. 

Pour conclure, on peut souligner une problématique qui a un peu couru tout le long d’une des deux nappes qui est celle de la différence (ou non), au niveau de la motivation, entre « techniques et valeurs ». Par exemple, le fait de « refaire le chemin du savoir » est-il une technique ou une valeur ? Plusieurs propos ont montré qu’ils étaient liés, dans le sens que les techniques sont basées sur des valeurs, mais que l’on pouvait quand-même les différencier, justement parce que les secondes relèvent plutôt des convictions plus ou moins subjectives de chaque enseignant et que les premières renverraient plutôt à des pistes d’action plus objectives et applicables par tous.


[i] Motivation :

1. Enrôlement et maintien de l’engagement dans les taches

2. Orientation et maintien de l’attention

3. Développement des capacités d’autorégulation émotionnelle

4. Développement du sentiment de compétence

 


 

Coformation du stage en responsabilité filé du vendredi 18 novembre 2016

Normes et valeurs : appuis ou obstacles pour la formation des stagiaires ?

Si les normes sont des règles qui régissent une bonne part de l’action enseignante, et si les valeurs servent de principes fondamentaux pour agir, peut-on pour autant affirmer que les normes sont portées par des valeurs ?

Normes, valeurs : compatibles ou pas ? Quelles sont les parts d’implicite et d’explicite des unes et des autres ? Enseigner repose sur un ensemble de normes, mais l’enseignement est-il un métier sans valeurs ? Ces règles, ces principes, peut-on les négocier ? Sont-ils acquis une fois pour toutes ? Font-ils l’objet de délibérations intimes, de prises de conscience professionnelles, de débats publics ?

Les valeurs de l’enseignant sont-elles personnelles ou collectives, universelles ou localisées ? Quel est le poids des normes dans la profession enseignante aujourd’hui : appuis ou obstacles pour la formation à des valeurs existantes, voire pour la production de nouvelles valeurs ?

Normes ou valeurs, quelle est leur place dans la démarche réflexive des (futurs) enseignants ? Quels sont leurs liens avec les différentes dimensions du métier, y compris celles des savoirs et des démarches didactiques ? En tant que formateurs de terrain et universitaires, ose-t-on ou s’autorise-t-on  à aborder de telles questions ? Pour quelles finalités ? Comment ? Avec quelles répercussions ?

La journée de coformation nous permettra d’aborder ces questions en lien avec les objectifs du stage filé, notamment concernant l’apprentissage des savoirs et leur évaluation. Dans un premier temps, l’exposé du Professeur François-Victor Tochon abordera le problème du lien entre l’évaluation et l’apprentissage autonome et en profondeur des élèves. Ensuite, des ateliers nous permettront d’échanger des idées et des outils pour faire face à des questions telles que celle-ci : en quoi la confrontation à des normes et des tensions en termes de valeurs peuvent-elles affecter ou soutenir le développement des enseignants « en devenir » ?

 Programme détaillé de la journée de coformation : coformation filé 16-17.pdf

Pour s'inscrire, cliquez ici.

 

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L'équipe de la préparation de la coformation du 18 novembre 2016 concernant le stage en responsabilité filé, invite le Pr. François Victor Tochon pour la conférence suivante :   

 

Evaluation et autonomie : Valeurs actuelles en éducation 

Prof. Francois Victor Tochon

University of Wisconsin-Madison 

 

Une évaluation qui prône l’uniformisation, la standardisation peut revêtir des valeurs d’obéissance passive à la loi imposée, au vu desquelles chaque élève et chaque enseignant doit obtempérer face à l’ordre supérieur et obéir à la question, s’ajuster au profil exigé par l’autorité. La crise économique actuelle justifie en effet des mesures évaluatives sans précédent, peu importent leurs implications morales. Dans certains pays, les évaluations systématiques qui recalent les enfants de milieux à faibles revenus ressemblent bien à une forme subtile de « terreur blanche ». Aux Etats-Unis notamment, le débat sur l’évaluation est devenu une des stratégies de la racialisation, dans une société où la ségrétation en milieu scolaire est maintenant plus grande que dans les années 1960. L’ostracisation raciale est justifiée par des arguments idéologiques semblables. Symboliquement, l’évaluation de performance standardisée peut devenir une des expressions du fascisme.

Peut-on institutionaliser l’autonomie? On parle beaucoup d’autonomie dans nos politiques et dans les systèmes de formation, mais qu’est-ce qu’une pédagogie de l’autonomie si l’on compte dépasser les vœux pieux? Peut-on préconiser une plus grande autonomie des apprenants au vu des recherches sur la motivation quand les enseignants ne disposent guère d’autonomie dans leur profession quant aux choix et orientations de programmes et qu’ils sont confrontés à une situation qui rendrait dépressifs les plus motivés? La formation des maîtres elle aussi est handicapée par des paradoxes qui l’empêchent de mener à bien sa mission. Les méthodes sont souvent enseignées sans lien avec une épistémologie, les stagiaires souvent communiquent sans réels contenus, apprennent à enseigner sans pratique. Un tournant est nécessaire pour faire face à ces multiples contradictions et articuler des priorités nouvelles en reconceptualisant la formation. Les apprentissages en profondeur nécessitent une intimité avec les contenus et une passion qu’un travail en groupes autogérés peut stimuler, en direction de projets créatifs, personnalisés et transdisciplinaires, chez les apprenants comme chez les enseignants.

Conférencier: Francois Victor Tochon, Genevois d’origine, est Professeur dans le département des didactiques disciplinaires à l’Université du Wisconsin à Madison où il dirige la formation des enseignants de langue. Cette université est classée 24e dans le classement mondial des universités de Shanghai, et son département est classé premier de sa spécialisation aux Etats-Unis. François Victor Tochon détient un doctorat en didactique du français (Laval, Québec) et un doctorat en psychopédagogie (Ottawa). Il a reçu quatre doctorats honoris causa ou équivalents d’universités en Argentine (UNRC, Cordoba), au Pérou (Inca Garcilaso), en Chine (Henan Tech) et Taiwan (APAMALL). Depuis vingt-cinq ans, il étudie la manière dont les enseignants planifient les apprentissages dans plusieurs pays et disciplines. Il a dérivé de ses recherches de terrain un modèle d’apprentissage en profondeur fondé sur l’autonomie de choix par les apprenants, de leurs thèmes et contenus d’apprentissage articulés en projets éducatifs. Il est connu pour son livre L’enseignant expert (Nathan).  Il a été invité dans de nombreuses universités dans 25 pays, a publié plus de 230 articles scientifiques et chapitres et 39 livres. Ses livres et articles sont publiés en 14 langues. Parmi ses livres: « La recherche-intervention éducative » (PUQ), Tropics of Teaching (Toronto UP);  L’effet de l’enseignant sur l’apprentissage en groupe (PUF), Eduquer avant l’école (PUM). En 2010, François Victor Tochon a reçu de l’Association américaine de recherche en éducation le Prix de la meilleure recension de recherche en éducation pour un article paru dans la Review of Educational Research, dont le facteur d’impact est de 3.43. En 2012, il recevait le prix d’Excellence en recherche international de l’Université de Granada; en 2014, la Médaille Quest de Service pour l’Humanité du Lions Club International; en 2015, le Diversity Award de l’Unversité du Wisconsin et le Prix de la Recherche Internationale de l’Université Normale de Shanghai. Son profil sur LinkedIn et sur Academia est dans le premier centile des profils les plus visités au monde. ftochon(at)education.wisc.edu

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Notes de synthèse de l’atelier animé par Catherine Grivet Bonzon et Francisco Marquez 

Si normes et valeurs ne sont pas toujours aisées à définir, elles sont cependant au cœur de l’activité de l’enseignant, du formateur, du stagiaire dans la situation de formation.

Elles peuvent se révéler être en accord ou conflictuelles, non pas en raison d’un « conflit de génération » mais au regard de l’inexpérience du stagiaire qui agit parfois de manière un peu applicationniste sans interroger les valeurs sous-jacentes dans ses séances.

Elles sont le plus souvent source de débat et de réflexion lors de « situations de crise », restant implicites la plupart du temps. Le formateur de terrain engage le stagiaire à les expliciter afin de mieux comprendre les situations d’enseignement, et surtout son identité de professionnel en devenir.

Les valeurs se manifestent

-        d’une part à travers les savoirs enseignés :

Exemple : « Un stagiaire prépare une séance de lecture à partir des albums de « MARTINE ». Ces albums véhiculent des valeurs sexistes que je combats et que je ne veux pas transmettre… » et

-        d’autre part  à travers la manière d’enseigner, les modalités d’enseignement mises en place :

Exemple : « Que veut dire enseigner en groupe ? Comment est-ce que j’organise mes sous-groupes et pourquoi ? (groupes de niveaux, groupes hétérogènes ?) Quel est mon objectif ? »

Enfin, le groupe de formateurs  s’interroge sur la marge de manœuvre « négociable » de l’enseignant face aux normes de l’institution.

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Notes de synthèse de l’atelier animé par Andreea Capitanescu Benetti et Alexia Forget

Toute pratique d’enseignement implique de la part des professionnels des choix, des prises de décision qui témoignent - inévitablement - de certaines valeurs et normes.

Quel statut donnons-nous à l’erreur en classe ? Quelle place réserve-t-on aux singularités de chaque élève ? Quel mode de communication souhaitons-nous tisser avec les parents ? Sur quelles compétences disciplinaires et transversales mettons-nous prioritairement l’accent ? Quel statut accorder à la mémorisation de contenus en classe ? Quelle méthode d’enseignement privilégier pour tel contenu ? Sur quels critères baser l’évaluation – et les décisions de réussite et d’échec qui en découlent ?

Autant de dimensions qui – plus ou moins explicitement – témoignent de valeurs et de normes professionnelles. Bien qu’omniprésentes, ces valeurs/normes semblent demeurer implicites tant qu’elles sont (plus ou moins tacitement) partagées. Par contre, quand il y a désaccord entre acteurs (enseignants, élèves, stagiaires, parents), le besoin de rendre explicites ces valeurs/normes émerge, signant par là même une situation de rupture.

Mais jusqu’où ces valeurs/normes professionnelles sont-elles partagées et par qui ? Observe-t-on une homogénéité tissée au sein d’un même établissement par des valeurs communes mises en avant via chartes et règlement ? Dans quelle mesure les valeurs/normes sont-elles davantage spécifiées par le degré concerné que par l’établissement ? Et qu’en est-il de l’influence des valeurs/normes valorisées dans les familles des élèves ? Jusqu’où celles-ci influencent-elles les pratiques de classe et d’établissement ?

Se pose enfin la question de l’attitude attendue à ce sujet chez les stagiaires : doit-on s’attendre de leur part à une adhésion aux options de leur formateur/trice ? Notre rôle consiste-t-il plutôt à les aider à prendre conscience des choix véhiculés par leur pratique en devenir ? Est-il envisageable/souhaitable d’évaluer les gestes professionnels d’un stagiaire sans évaluer les valeurs/normes qui s’en dégagent ? 

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Notes de synthèse de l'atelier animé par Sabine Vanhulle et Philippe Wanlin 

Les normes et valeurs structurent les situations d’enseignement et d’apprentissage et, lors de leurs stages, les stagiaires n’en sont pas toujours conscients. Certains adoptent une posture linéaire applicationniste sans interroger les valeurs sous-jacentes à la profession enseignante. Pour débuter le stage il est donc parfois intéressant de parler d’emblée des normes et valeurs. Il arrive que le poids du cadre, de la norme, de l’évaluation du stage entraine un certain conformisme. Il est donc important de discuter de la possibilité de s’éloigner du cadre (manuels, programme, …). Il est nécessaire que les stagiaires se révèlent dans le stage en tant qu’enseignants. Il faut donc les pousser à s’habiter eux-mêmes en tant qu’enseignants. Bref, dans la structure des normes, il faut laisser une certaine marge de liberté…

Que faire quand les stagiaires ne parviennent pas à se libérer, à s’habiter eux-mêmes ? Certains stagiaires sont très normés, ils pensent en termes d’objectifs, de planification, de didactisation. Ils veulent faire « juste et bien », et ont par conséquent peur de prendre des risques. Si la leçon se passe mal, ils ont peur de passer à autre chose. Ils veulent que les élèves fassent « juste et bien ». Ils évitent tout écueil possible, aplanissent les contenus, … Dans ce cadre, il est important de parler du fait que les situations ne sont pas toujours sûres. Il faut faire comprendre qu’il y a parfois des doutes. Il s’agit de démystifier la recherche de perfection. 

Les normes et valeurs se traduisent-t-elles par la conscience professionnelle ? Tout le monde en a sa propre définition alors que lorsque l’on en parle tout le monde pense parler de la même chose. La définition que l’on pourrait en faire tourne autour de la part de responsabilité et d’engagement. Elle contient le respect de normes institutionnelles avec lesquelles on est d’accord ou pas puisque l’on ne nous a jamais consultés pour les définit. On se doit de les respecter. L’engagement va au-delà d’être un stagiaire dans une classe. Le stagiaire doit être dans l’école, participer à l’équipe (aux séances), … L’engagement passe aussi par une décentration : de l’autocentration à l’allocentration sur les apprentissages des enfants.

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Notes de synthèse de l’atelier animé par Anne Perréard Vité et Béatrice Brauchli, avec la participation de Nilima Changkakoti

Surgies des discussions propres à notre groupe de travail, les réflexions suivantes retracent —en substance— l’essentiel du chemin parcouru dans notre atelier. 

Dans le rapport qui s’établit entre FT et stagiaire, la discussion ne porte que rarement de manière explicite sur les valeurs et les normes.

De fait, les normes constituent le cadre de la vie de classe, qui rassure ou qui « coince », du moment qu’elles font office de barrières, de boîtes ou de rails, parfois d’œillères. Les normes véhiculent, matérialisent les valeurs de l’institution, les valeurs et idéaux qui dominent au sein de l’école et celles de l’enseignant. Elles se révèlent à travers les règles de vie, les règlements et prescriptions, notamment le programme et l’évaluation chiffrée. Elles constituent généralement un obstacle à la mise en jeu des valeurs. 

Les valeurs sont multiples et de sources diverses. Elles naissent de l’éducation, du milieu d’origine de chacun. Parmi celles que privilégient les enseignants se trouvent la bienveillance, le fait de laisser le temps aux enfants d’atteindre les objectifs et d’admettre une pluralité des chemins, un certain lâcher prise, l’efficacité, le plaisir ou l’« être-bien ». A cela s’ajoute le fait de s’autoriser à une certaine liberté, le fait de rester acteur, de ne pas subir les injonctions, de garder un esprit critique et d’assumer sa/la subjectivité.

Une valeur est difficile à isoler, à nommer. Elle fait plutôt office de « substrat » permanent, sur lequel se bâtissent les actions, sur lequel circule la parole. Il y a de toute évidence coexistence de différentes valeurs, d’où un équilibre à trouver.

Dans le rapport qui s’établit entre FT et stagiaire, la discussion peut aider à la prise de conscience et à la prise en compte des valeurs implicites de l’un-e et de l’autre, à la formulation des valeurs propres à chacun et à la définition des valeurs à transmettre. L’expérience partagée, certaines situations problématiques permettent d’expliciter les valeurs, notamment ce qu’il y a derrière la notion de « bon élève », de « bon enseignement », quels sont les objectifs que l’on vise avec ses élèves et ce qu’on en fait. Par extension, ce qu’on évalue, pour quoi et pour qui.

Lorsqu’il n’y a pas de révélateur, le FT peut se raconter pour libérer la réflexion (au moins), voire la parole de l’autre.

La discussion à propos des valeurs, que ce soit dans le rapport entre FT et stagiaire ou dans celui qui régit les rapports entre l’enseignant et ses élèves, n’induit pas que l’un impose ses valeurs à l’autre. Il ne s’agit pas de standardiser les valeurs et les normes, mais de les (faire) respecter pour que le vivre ensemble soit possible.