21 octobre 2021 - UNIGE

 

Analyse

Comprendre le réel grâce à l’émerveillement

Michel Mayor, Matthieu Ricard et Nicolas Gisin ont abordé avec humilité et pluralisme les grandes énigmes du Cosmos, le 16 octobre dernier lors d’une table ronde entre science et spiritualité dressée sur la scène du grand auditoire d’Uni Dufour.

 

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Image: C. Da Silva

 

Dans le cadre de son programme «À Ciel Ouvert», la Faculté de théologie a invité trois personnalités de renom à tisser des liens autour des grandes questions de l’humanité: l’origine de l’Univers et le sens de la vie. Michel Mayor, astrophysicien nobélisé pour sa découverte de la première exoplanète, Nicolas Gisin, professeur en physique des particules, et Matthieu Ricard, moine bouddhiste et docteur en génétique, ont passé en revue notre compréhension de l’Univers à travers deux systèmes de pensée, la physique et le bouddhisme, qui se nourrissent aisément l’un l’autre pour aborder le réel.

 
Michel Mayor a d’abord rappelé le principe fondamental de la science: se baser sur des observations pour formuler les lois qui régissent notre réalité. Il a ensuite évoqué les grandes avancées de l’astrophysique, particulièrement la manière radicalement nouvelle d’envisager l’Univers imaginée par Albert Einstein. «La relativité et la gravitation sont des outils incroyables. Ils nous permettent de comprendre l’évolution de l’Univers. La relativité prédit l’existence d’un fond diffus de rayonnement à partir d’un commencement, le Big Bang. Ce rayonnement est tout à fait observable.» Mais, a-t-il insisté, «la majorité de la masse de l’Univers, soit environ 90% de l’immensité qui nous entoure, reste inexpliquée». Une entrée en matière résolument humble pour souligner le fait que les réponses apportées par la science soulèvent généralement de nouvelles questions. Michel Mayor est bien placé pour le savoir puisque, en découvrant l’existence de la première exoplanète, il a lui-même contribué à relancer les interrogations autour de la vie dans l’Univers.

Les mondes pluriels

Le trio a donc logiquement enchaîné sur les notions de l’infiniment grand et petit, soulignant au passage que le fil des découvertes a fait prendre conscience à l’être humain de sa petitesse au sein de l’immensité qui le contient. Ainsi, une vie au-delà de la Terre serait une preuve de plus de cette modicité et la confirmation qu’il n’est pas le centre de l’Univers. Michel Mayor a appuyé cette éventualité en indiquant le nombre vertigineux des possibilités de planètes potentiellement habitables. «Nous savons désormais que 200 milliards d’étoiles composent la galaxie et que chacune possède au moins une planète qui tourne autour d’elle. Par contre, savoir si ces milliards de planètes peuvent receler la vie est ambitieux, car on ne les voit pas directement. Des appareils capables de détecter les conditions propices à la vie sont en cours de développement.» Ainsi, tout porte à croire que la découverte d’une vie extraterrestre ne serait finalement qu’une question de temps.

Une occasion qu’a su saisir Matthieu Ricard pour rappeler qu’un tel postulat est en adéquation avec le bouddhisme, qui envisage la possibilité de la vie dans les milliards d’Univers qu’il considère. «Le bouddhisme s’en remet d’ailleurs toujours, pour ce qui est de la description des phénomènes extérieurs, aux découvertes scientifiques, a-t-il précisé. Le dalaï-lama n’hésite pas à déclarer l’obsolescence des descriptions cosmologiques énoncées il y a 2500 ans. Ce n’est pas ce qui fait l’importance de la philosophie bouddhiste. Elle consiste à devenir un meilleur être humain en remédiant à la haine, la jalousie ou l’arrogance qui empoisonnent notre existence et celle des autres.»

Commencement ou harmonie?

La pluralité des mondes suggère un commencement, une causalité qui aurait créé un point de départ, le fameux Big Bang de la science ou le dieu des religions. Les deux physiciens ne se sont prononcés ni sur l’avant ni sur ce qui a engendré le commencement. «La physique donne un cadre et ne répond pas à toutes les questions, ce pour quoi la spiritualité est indispensable», a consenti Nicolas Gisin avant de poursuivre sur son interprétation du bouddhisme, «il élude la question puisqu’il ne connaît pas la notion de début». «L’idée est que l’Univers reste en harmonie, sans commencement ni finalité. Le bouddhisme évacue ainsi le rien, le néant», a complété Matthieu Ricard.

Une nature créatrice

La quête de nos origines est par rebondissement une quête de sens, celle de l’existence humaine. Une quête qu’a abordée Nicolas Gisin à travers l’évolution fulgurante de la physique. «Les lois de la physique énoncées par Isaac Newton décrivaient le fonctionnement d’un monde réglé comme une horloge, où le présent, le futur et le passé étaient déterminés. Mais la physique de l’infiniment petit, la physique quantique, a fait son apparition. Elle montre que des situations en tous points identiques peuvent évoluer de différentes manières et que des événements créateurs peuvent survenir grâce à sa définition du hasard. De la même manière, le hasard permet à des événements distants d’être liés et corrélés. La physique quantique rompt ainsi avec la vision déterministe du monde.» La nature est donc créatrice et nous laisse la possibilité d’agir sur elle, voilà qui donne un sens à l’existence et une responsabilité, tant envers nos semblables qu’envers la nature.

Une approche quantique qui a conquis Matthieu Ricard: «Tout est interdépendant comme le conçoit le bouddhisme.» Après que ce dernier eut abordé le dernier volet de cette table ronde en évoquant la conscience et la perception du réel à travers la philosophie bouddhiste, les intervenants sont tombés d’accord sur ce qui les unit dans les différentes façons de voir l’Univers: l’émerveillement. Celui qui nourrit l’enthousiasme des scientifiques dans leur observation du monde et qui est une ouverture à l’altruisme pour le bouddhisme.

Pour visionner l'ensemble de la table ronde

 

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