30 mars 2023 - Jacques Erard

 

Analyse

Les leçons du «Qatargate» pour les institutions européennes

Un article corédigé par une chercheuse de l’UNIGE esquisse des pistes de réflexion afin de prévenir la corruption et les conflits d’intérêts révélés par le scandale du «Qatargate».

 

 

000_338D9FM-J.jpg

L'eurodéputé belge Marc Tarabella arrive pour un vote sur une demande de levée de son immunité et de celle de son collègue italien Andrea Cozzolino dans le cadre d'une enquête sur la corruption présumée du Qatar et du Maroc, lors d'une session au Parlement européen à Bruxelles, le 2 février 2023. Photo: Kenzo Tribouillard / AFP

 

«La démocratie européenne est attaquée», s’exclamait la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, au lendemain de perquisitions menées dans les bureaux de plusieurs eurodéputé-es dans l’affaire du «Qatargate». Ce scandale, qui a éclaté en décembre 2022, en pleine Coupe du monde de football masculin dans l’émirat, a impliqué une dizaine de parlementaires soupçonné-es d’avoir reçu des montants cumulés de plusieurs millions d’euros versés par le Qatar pour défendre ses intérêts auprès de l’Union européenne. Roberta Metsola, qui a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille, a promis de «secouer le Parlement» et appelé de ses vœux la création d’une autorité indépendante de surveillance. Cela suffira-t-il à éviter de futures dérives?

 

Rien n’est moins sûr, estime Emanuela Ceva, professeure de théorie politique au Département de science politique et relations internationales, qui dirige un projet financé par le Fonds national suisse consacré aux phénomènes de corruption. Dans un article paru dans le blog Public Ethics et corédigé avec la professeure Maria Paola Ferretti de la Goethe University Frankfurt am Main, la chercheuse considère que les actes de corruption peuvent, certes, être dus à un manque de contrôle, mais qu’ils participent, surtout, d’un défaut de responsabilité des fonctionnaires vis-à-vis de leur institution ainsi que des citoyen-nes qui attendent d’eux/elles une attitude intègre.

«La corruption et la lutte contre la corruption ne relèvent pas toujours d’une simple question de violation ou de respect des règles formelles, argumentent les auteures de l’article. Il s’agit aussi, et surtout, d’une question d’éthique et de la manière dont les fonctionnaires, de leur côté, comprennent leur travail et interprètent les règles assorties à leur fonction.» Les cas de l’ancien président de la Commission européenne José Manuel Barroso, qui a rejoint la banque Goldman Sachs, ou de l’ancienne commissaire Neelie Kroes, recrutée par la Bank of America, sans être stricto sensu des actes de corruption illégaux, ont révélé la porosité existant entre les institutions européennes et le lobbying exercé par le monde des affaires, entachant la confiance accordée par les citoyen-nes à ces institutions. Ces cas ont également affaibli, et c’est important, la confiance que les fonctionnaires ont les un-es envers les autres et leur capacité à travailler ensemble de manière responsable et transparente. En conséquence, il est important que les règles en vigueur pour prévenir les conflits d’intérêts ne soient pas perçues uniquement comme un système de surveillance – toujours susceptible d’être contourné –, mais comme un moyen de soutenir la confiance mutuelle entre les fonctionnaires, d’assurer la bonne marche de l’institution et de remplir ses missions, surtout lorsque les personnes, en l’occurrence des député-es, sont très exposé-es à des tentatives d’influence.

Les notions de responsabilité et de confiance mutuelles passent, selon les chercheuses, par le renforcement d’un cadre éthique de travail élaboré collectivement. «Le Qatargate et son retentissement médiatique ont imposé une réflexion générale sur de nombreux aspects structurels des institutions européennes et de leur fonctionnement, concluent les auteures. Il s’agirait toutefois d’une occasion manquée de réforme si, une fois l’indignation publique dissipée, les interventions institutionnelles se limitaient à des actions marginales à court terme. Les réformes nécessaires devraient être fondées sur la compréhension du fait que la corruption agit comme un cheval de Troie qui sape le fonctionnement des institutions de l’intérieur. Les ressources pour la démasquer et la contrer devraient donc également provenir de l’intérieur de l’institution.»


«Picking Out Bad Apples, Unmasking Trojan Horses: The Qatargate and the Ethics of Public Institutions», Public Ethics, février 2023

 

Analyse