20 octobre 2020 - Melina Tiphticoglou

 

Événements

Les villes face aux crises

Le sociologue et historien Richard Sennett analyse l’impact des crises, sanitaires ou écologiques, sur les villes et leurs habitant-es. Il est l’invité de l’UNIGE le mardi 27 octobre.


 

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Lieu de rencontre et d’échange, de diversité et de densité, la ville est mise à mal en ces temps de crise sanitaire et de distanciation sociale imposée. Comment habiter et construire la ville dans un tel contexte? Le développement urbain peut-il faire face à ces enjeux? Sociologue et historien, Richard Sennett est l’une des figures les plus importantes de la critique sociale contemporaine. Au fil des ans, il a développé une analyse subtile des dispositions qui nous permettraient de vivre ensemble au sein d’une ville plus inclusive. Lors d’une conférence qu’il donnera, à distance, mardi 27 octobre, à l’initiative de la Faculté des sciences de la société et du projet Explore, il proposera des pistes de réflexion originales pour comprendre le lien entre nos façons d’habiter la ville et notre avenir en tant que société urbaine. Entretien.

 

LeJournal: Comment la crise sanitaire impacte-t-elle la ville?
Richard Sennett: Je citerais deux formes d’inégalité, préexistantes à la crise, que la pandémie est en train d’amplifier. La première est la séparation nette entre les travailleurs et travailleuses qui ont la possibilité d’exercer leur profession à distance, de la maison, et les autres. On ne peut pas, par exemple, collecter les ordures ou faire tourner les hôpitaux à partir de chez soi. La seconde se creuse au sein même de la classe tertiaire et concerne l’effet du travail à distance sur l’égalité hommes-femmes.

C’est-à-dire?
Avec mon équipe, nous avons commencé à étudier ce phénomène il y a 25 ans. Nous avons montré que les femmes qui travaillaient à distance se voyaient attribuer de plus en plus de tâches, lesquelles étaient soumises à un contrôle strict du fait même qu’elles se faisaient en ligne. Les employées étaient également exclues des relations sociales qui prenaient place de façon informelle sur les lieux de travail. Ainsi, elles qui envisageaient le travail à distance comme une libération, espéraient travailler selon leurs propres horaires et avoir la possibilité de s’occuper de leurs enfants ont découvert qu’elles perdaient leur qualité de travail. C’est ce que nous avons appelé le «fordisme électronique», cette façon de diviser le travail et de le gérer de façon très fine inventée par Henry Ford en 1908 appliquée cette fois-ci au télétravail.

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Richard Sennett. Photo: DR

Les villes doivent aussi faire face à une autre crise, celle des changements climatiques.
Comment peuvent-elles réagir?
Oui, en effet, et malheureusement, la pandémie impose aux villes des transformations physiques qui vont en sens inverse de ce que l’on met en place actuellement pour des villes plus saines et plus écologiques. En effet, en l’absence de vaccin ou de médicaments efficaces contre le coronavirus, la seule solution, pour le moment, est d’isoler les gens, de réduire la densité urbaine. Or, rendre les villes plus denses permet de limiter les déplacements, de réduire la pollution, etc. Aujourd’hui, les urbanistes doivent chercher des solutions dans des formes plus flexibles d’organisation, éviter les zones monofonctionnelles comme les quartiers d’affaires ou les zones de résidence. On peut citer en exemple Paris et son concept de «ville du quart d’heure» qui vise à combler les besoins quotidiens (bureau, école, courses, espace vert, culture…) dans un périmètre atteignable en quinze minutes à pied ou à vélo. Genève, pour sa part, est très centralisée. La rendre plus flexible sera un grand défi.

Pratiquement, comment construit-on cette flexibilité?
Il s’agit de réfléchir aussi bien aux nouvelles constructions qu’à la transformation de l’existant. Il faut, par exemple, construire des bâtiments moins monofonctionnels en y intégrant une diversité interne qui permettra, quand nous ferons face à la prochaine crise, de les réorienter dans leur utilisation. Les constructions doivent aussi être pensées comme évolutives au niveau de leur implantation dans un environnement. Un bâtiment n’est pas seulement efficace s’il consomme peu d’énergie, mais aussi s’il s’insère dans les dynamiques sociales et économiques locales.

Vous avez fondé Theatrum Mundi, une association qui promeut les interrelations entre art et urbanisme. Quel est son but?
Notre projet consiste à élargir l’horizon au-delà des architectes et des urbanistes en les faisant interagir avec des artistes, tels que des chorégraphes ou des performers, pour repenser les mouvements en ville. Nous souhaitons exporter l’idée depuis Londres et envisageons pour cela de travailler avec le Département du territoire du canton de Genève autour du développement du tram des Nations au Grand-Saconnex.

 

Faire face aux crises, la ville en transition

e-conférence de Richard Sennett, sociologue et historien

Mardi 27 octobre | 18h30

EXPLORE est une initiative du Département du territoire qui convie chacun-e à s’interroger sur la ville et à réfléchir collectivement aux enjeux urbains à l'heure de la transition écologique. Du 27 au 31 octobre, se déroulent une série d’événements aux formats hybrides (rencontres, explorations, workshops, expositions), le tout en version digitale en raison de la situation sanitaire.