15 septembre 2021 - UNIGE

 

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La liberté d’expression face au politiquement correct

La Leçon d’ouverture du semestre, le mercredi 22 septembre, prend cette année la forme d’un dialogue entre deux personnalités de l’UNIGE, Maya Hertig Randall et Samia Hurst, sur la question de la liberté d’expression.

 

 

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Maya Hertig Randall, professeure à la Faculté de droit. Photo: UNIGE

 

La liberté d’expression est un droit fondamental dans les sociétés démocratiques. A-t-on pour autant le droit de tout dire? La question s’est posée avec insistance ces dernières années, face à des propos incitant à la haine raciale ou heurtant les groupes minoritaires ou dominés, face au traitement de la religion dans les médias ou encore aux prises de position publiques d’universitaires sur le terrain politique.

À l’occasion de la Leçon d’ouverture du semestre, une juriste, la professeure Maya Hertig Randall, et une éthicienne, la professeure Samia Hurst, dialogueront sur cette question de «La liberté d’expression face au politiquement correct». Avant-propos avec Maya Hertig Randall.

 

Le Journal: La liberté individuelle, au sens général, est limitée dans une société par la primauté accordée au bien commun. Quel serait l’équivalent de cette notion de bien commun dans l’exercice de la parole et du discours?
Maya Hertig Randall: On dit aussi que la liberté de l’un s’arrête là où elle heurte la liberté de l’autre. Dans cet esprit, la liberté d’expression peut être limitée quand elle porte atteinte à la dignité humaine, mais aussi à la réputation ou à la sphère privée. On voit donc que différents droits fondamentaux entrent en ligne de compte pour justifier une restriction de la liberté d’expression. Dans le même ordre d’idées, je ne crois pas qu’on puisse réduire les intérêts publics susceptibles de justifier des restrictions de la liberté d’expression à un seul bien commun. Les conventions des droits humains énumèrent toute une série d’intérêts publics, notamment la sécurité nationale, l’intégrité territoriale ou la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention du crime, la protection de la santé ou de la morale. Pour arbitrer entre les différents droits et intérêts en tension, le principe de la proportionnalité joue un rôle capital. Il faut procéder à une mise en balance soigneuse des droits et des intérêts en jeu. Dans cette pesée des intérêts, il importe aussi de tenir compte du fait que la liberté d’expression est une condition indispensable à une société démocratique, et nécessite, comme l’a dit la Cour suprême des États-Unis, un espace vital (breathing space) pour survivre. Il faut donc être attentif au risque d’auto-censure que peuvent induire des sanctions trop draconiennes ou des lois trop vagues qui limitent la liberté d’expression.

La censure ou l’interdit peuvent-ils, dans certains cas, être une réponse adéquate à des propos ou des opinions jugés «inacceptables»? Et si oui, dans quels cas?
La notion de censure est souvent utilisée d’une façon peu claire dans les discussions entourant la liberté d’expression. Comprise comme une mesure préalable qui empêche la diffusion de certains propos, la censure est une atteinte très grave à la liberté d’expression et doit rester une mesure exceptionnelle par rapport à des mesures qui interviennent de manière répressive, donc après la diffusion des propos, comme des sanctions pénales, civiles ou administratives prononcées après-coup. Dans le doute, il est préférable de donner à la personne la possibilité de s’exprimer au lieu d’intervenir en amont. A l’ère du numérique, toutefois, la distinction entre mesures préventives et mesures répressives s’est quelque peu estompée: la suppression presque instantanée de propos publiés se distingue peu d’une mesure préventive. Ce type d’actions peut se justifier voire s’avérer nécessaire pour protéger la dignité humaine, face à des propos qui incitent de façon manifeste à la violence, à la haine ou à la discrimination.

Les médias numériques contribuent aujourd’hui à élargir l’espace public où s’expriment les opinions. Faut-il réglementer les médias plutôt que la parole?
Il me semble difficile de dissocier la réglementation des médias de la réglementation de la parole. Il est vrai que certaines règles, par exemple des règles du droit de la concurrence, qui ont pour but de lutter contre une concentration excessive préjudiciable à la diversité des idées, ne réglementent la parole que de façon très indirecte. Par contre, des règles qui régissent la responsabilité des intermédiaires ou des médias ou qui prévoient des obligations de retrait de certains contenus, ont une incidence forte sur la parole et peuvent, selon la manière dont elles sont conçues, conduire à une régulation excessive de la liberté d’expression. A l’ère du numérique, la régulation de la communication via les intermédiaires devient de plus en plus fréquente, vu qu’il est souvent difficile pour les États de réguler la parole directement car la personne qui l’a tenue reste souvent anonyme ou se trouve dans une autre juridiction.

 

Leçon d'ouverture d'automne

Conférence et débat de Maya Hertig, Professeure de droit constitutionnel à la Faculté de droit et Samia Hurst-Majno, Directrice de l’Institut Éthique, Histoire, Humanités

Mercredi 22 septembre | 18h30 | Uni Dufour
Pages web de l'événement et transmission en direct


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