15 septembre 2022 - Melina Tiphticoglou

 

Événements

«C’est la découverte la plus somptueuse de toute l’histoire de l’archéologie»

À l’occasion de la Leçon d’ouverture du semestre d’automne, Dimitri Laboury, professeur en égyptologie et archéologie égyptienne à l’Université de Liège, revient sur l’extraordinaire découverte de la tombe de Toutânkhamon.


 

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Dimitri Laboury devant le cercueil de Toutânkhamon. Photo: V. Carignano

 

Avec plus de 5000 pièces pratiquement intactes, dont 2000 objets de bijouterie et d’orfèvrerie, pour un total de 250 kg d’or, dont le célèbre masque – 10 kg à lui seul – et le cercueil contenant la momie du pharaon – 110 kg –, le «trésor de Toutânkhamon», découvert par Howard Carter en novembre 1922, est proprement exceptionnel. Au-delà de son caractère clinquant, sa mise au jour a bouleversé le rapport du monde contemporain à l’Égypte ancienne au point qu’il est aujourd’hui encore considéré comme le legs le plus emblématique de toute l’histoire de l’archéologie. Et ce fabuleux trésor n’a pas encore tout dit puisqu’il fait actuellement l’objet de nombreuses recherches scientifiques, dont celles menées par Dimitri Laboury.
Le mercredi 21 septembre, à l’occasion de la Leçon d’ouverture du semestre d’automne, celui qui est professeur en égyptologie et archéologie égyptienne à l’Université de Liège lèvera le voile sur une partie des secrets du célèbre pharaon à la lumière des travaux les plus récents. Entretien.

 

LeJournal: Que sait-on de l’homme qui se trouvait derrière le masque de Toutânkhamon?
Dimitri Laboury: C’est un problème récurrent en égyptologie: l’idéologie est tellement prégnante que l’on a accès au rôle du roi, tandis que l’individu nous échappe souvent très largement. Dans le cas de Toutânkhamon, la découverte de sa tombe a permis d’en savoir un peu plus sur le personnage et son entourage, notamment au travers de l’analyse de son trousseau funéraire et de sa momie. Des analyses de son patrimoine génétique ont montré que les reines de l’époque mènent une stratégie matrimoniale en mariant systématiquement leurs fils avec des jeunes femmes issues de leur famille d’origine. Nous avons également pu déduire son état de santé, qui était assez mauvais. Le roi était atteint de malaria et a vécu une terrible épidémie de peste, qui a ravagé tout le Proche-Orient. Mais ce n’est pas nécessairement la cause de sa mort, qui reste, malgré de nombreuses hypothèses, encore inexpliquée.

Dans quel contexte familial grandit-il?
Il n’est pas nécessaire de romancer son histoire familiale, elle est suffisamment romanesque! Toutânkhamon succède à des parents qu’il a à peine connus: Akhenaton et Néfertiti. À la mort de son père, ses deux grandes sœurs prennent le pouvoir et l’exilent en province jusqu’à ce qu’il monte sur le trône vers 8 ou 9 ans. Politiquement, il doit se relier à son grand-père Amenhotep III, qu’il n’a jamais connu. Marié à l’une de ses sœurs qui avaient comploté contre lui, il meurt sans laisser de descendance malgré ses tentatives (sa tombe abritait deux enfants mort-nés). Sans vouloir faire de la psychologie post mortem, ce n’est pas un contexte familial très gai.

Après un règne de neuf ans, Toutânkhamon meurt à l’âge de 18 ans. Ses contemporains s’y attendaient-ils?
Non, absolument pas. Sa tombe en est la preuve. Elle présente, et Howard Carter l’a très vite compris, tous les signes d’une inhumation improvisée à la hâte, suite au décès improbable et inattendu d’un souverain dans la force de l’âge. Beaucoup trop petite pour une tombe royale, elle était sans doute prévue à l’origine pour un particulier. Certains objets du trésor funéraire ont certes été réalisés pour le pharaon, dont son célèbre masque, mais une partie non négligeable est récupérée du trésor funéraire de sa sœur. À sa mort, celle-ci a dû être rétrogradée par Toutânkhamon, qui a récupéré son mobilier funéraire royal. De multiples souvenirs de son enfance ont également été déposés dans le tombeau, ce qui, à notre connaissance, n’était pas la norme. Manifestement, le trousseau funéraire du roi n’était donc pas prêt. Malgré cela, c’est la découverte la plus somptueuse de toute l’histoire de l’archéologie, ce qui laisse penser que la richesse des tombes des grands rois comme Thoutmôsis III ou Ramsès II – qui a régné durant soixante-six ans – devait dépasser l’entendement!

La tombe était-elle intacte au moment de sa découverte?
Non, Carter a pu établir de façon indiscutable qu’elle a été pillée deux fois, sans doute très peu de temps après l’enterrement du roi. Toutefois, elle est officiellement déclarée intacte sur le moment, ce qui permet au gouvernement égyptien, au nom de la récente loi égyptienne sur les antiquités, de conserver la totalité du trésor sur son territoire. La décision est en partie politique – on est alors en plein mouvement d’indépendance, anti-britannique. Notez qu’on fête le 200e anniversaire de l’égyptologie, avec deux découvertes majeures, celle de Jean-François Champollion en 1822, puis celle de Howard Carter en 1922, un Français et un Anglais, dont les deux pays ont successivement colonisé l’Égypte. C’est un anniversaire qui est incontournable pour la discipline, mais qui est teinté d’une petite touche d’amertume pour l’Égypte.

Le règne de Toutânkhamon a-t-il marqué l’histoire du royaume d’Égypte?
Lorsque la tombe de Toutânkhamon est découverte, on ne sait pratiquement rien de lui. Il a en effet la particularité d’être un roi complètement oublié de l’historiographie égyptienne. Malgré un règne très court, il va pourtant jouer un rôle important, puisque c’est lui qui restaure, dans un texte connu sous le nom d’«édit de Toutânkhamon», les cultes traditionnels polythéistes que son père avait négligés. C’est un acte majeur, la preuve qu’il retourne dans le droit chemin après ce qui est alors perçu comme les errements de son père. Cela ne lui permettra toutefois pas d’échapper à la mort, causant un traumatisme certain à son peuple qui a probablement vu dans ce décès prématuré l’expression du mécontentement des dieux. Toutânkhamon meurt sans laisser de successeur et les roturiers qui montent sur le trône à sa suite vont finir par fonder une dynastie, la XIXe, avec Ramsès Ier, Sethy Ier et le célèbre Ramsès II. Dès lors, il sera décidé que les membres de la famille d’Akhenaton, qui ont fait traverser une mauvaise passe au royaume, doivent être oubliés.

 

TOUTÂKHAMON, L'HOMME DERRIÈRE LE MASQUE

Conférence de Dimitri Laboury, professeur en égyptologie et archéologie égyptienne, Université de Liège

Mercredi 21 septembre 2022 | 18h30
Uni Dufour, rue du Général-Dufour 24, 1205 Genève

 

2022, une date importante pour l'égyptologie
Par un heureux concours de circonstances, la découverte du tombeau de Toutânkhamon par Howard Carter en novembre 1922 survient exactement un siècle après que Jean-François Champollion est parvenu à déchiffrer le système d’écriture hiéroglyphique, acte fondateur de l’égyptologie. À l’occasion de ce double anniversaire, l’Unité d’égyptologie et de copte de l’UNIGE propose une série d’événements en sus de la Leçon d’ouverture donnée par Dimitri Laboury: une exposition (du 23 septembre au 16 octobre, Espace Ami Lullin de la Bibliothèque de Genève), une conférence sur l’archéologie et les fouilles en Égypte aujourd’hui (jeudi 29 septembre, 18h30, Uni Mail, salle MR080), une conférence sur Champollion et le mystère des hiéroglyphes (jeudi 6 octobre, 18h30, Uni Mail, salle MR080), et la parution du livre Révéler l’Égypte oubliée destiné au grand public. Programme complet sur www.unige.ch/-/egypte.


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