22 avril 2021 - Arnaud Doglia

 

Événements

De l’opération Papyrus au projet Parchemins, la consommation de soins et les sans-papiers à Genève

Dans le cadre du cycle de déjeuners sociologiques organisé par le Département de sociologie, une conférence en ligne s’intéressera, le 29 avril prochain, au projet Parchemins et à la santé des travailleurs/euses sans papiers à Genève.

 

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Julien Fakhoury, doctorant et assistant de recherche au Centre interfacultaire de gérontologie et d’études des vulnérabilités (CIGEV), dont les recherches portent sur les parcours de vie et l'accès aux soins de sans-papiers à Genève. Photo: DR

 

 

Lancée en 2017, l’opération Papyrus visait la régularisation sur une période de deux ans de plusieurs centaines de personnes sans papiers concernées par le travail au noir. Pour la première fois en Suisse, des critères de régularisation objectifs garantissaient l’obtention d’un titre de séjour. Le projet Parchemins, né également en 2017, s’inscrit dans son prolongement. Son objectif est d’étudier sur une période de quatre ans et de manière interdisciplinaire la santé des migrant-es sans papiers à Genève, ce qui représente environ 13'000 personnes. Rencontre avec Julien Fakhoury, doctorant et assistant de recherche au Centre interfacultaire de gérontologie et d’études des vulnérabilités (Cigev).

 

Le Journal: Quelles populations sont particulièrement concernées par le projet Parchemins?
Julien Fakhoury
: Les migrant-es sans papiers venu-es à Genève pour des raisons économiques qui ont un accès aux soins limité et qui ont des emplois physiquement ou psychologiquement difficiles. Je pense notamment aux personnes originaires d’ex-Yougoslavie, qui travaillent pour beaucoup sur des chantiers, ou aux femmes venues d’Amérique latine, souvent employées dans l’économie domestique, et qui sont très nombreuses en Suisse à être sans papiers. Nous interrogeons, sur une durée de quatre ans, les mêmes personnes et nous en sommes actuellement à la troisième vague de récolte de données.

La consommation de soins a-t-elle augmenté chez les sans-papiers concerné-es?
Nous n’avons actuellement à disposition que deux vagues de données, il est donc malaisé de dire si la régularisation a un impact. On constate toutefois que les personnes régularisées ne se distinguaient pas de celles qui sont toujours sans papiers dans la consommation de soins avant leur régularisation. En revanche, dès que leur statut est normalisé, on observe une augmentation de leur consommation de soins. Cet accroissement peut être lié à l’obtention d’un statut légal ou au fait que la régularisation apporte de nombreux changements à leurs conditions de vie et de travail.

Quels aspects de la santé concernent le plus les sans-papiers?
Les taux de dépression et d’anxiété rapportés sont particulièrement élevés. Cela est notamment dû à la situation financière délicate de personnes qui ont des familles à charge ou vivent dans des logements exigus. Pour ce qui est de la santé physique, nous n’avons pas encore comparé nos résultats à ce que l’on peut observer dans la population suisse générale. On sait que les sans-papiers éprouvent des difficultés sérieuses compte tenu de leur emploi, mais ils et elles évaluent leur santé physique de manière plutôt positive. Parmi les individus régularisés en premier, quasiment aucun ne se déclarait en mauvaise santé. C’est un indicateur positif dont on parle assez rarement, puisqu’on a souvent tendance à voir plutôt les difficultés auxquelles cette population est soumise.

Avez-vous pu vérifier que la régularisation des sans-papiers contribue à améliorer leurs conditions de vie?
À ce stade, il est difficile d’établir un lien de causalité, car nous manquons de recul pour analyser correctement la situation, mais deux facteurs doivent déjà être pris en compte lorsqu’on travaille sur l’accès aux soins. Premièrement, les personnes nouvellement régularisées doivent désormais souscrire à une assurance maladie, qui est chère, et le risque est que les avantages socio-économiques de la régularisation se voient compensés par les nouveaux coûts auxquels elles vont être confrontées. Deuxièmement, dans une perspective plus sociologique, les visites chez le médecin pour ces gens sans statut généraient du stress, un souci qu’ils n’ont plus une fois régularisés. Le coût financier supplémentaire pourrait donc également être compensé par le sentiment d’être intégrés à la société et d’avoir accès aux infrastructures publiques.

Existe-t-il d’autres cantons auxquels vous vous référez pour établir des comparaisons?
À l’échelle de la Suisse, c’est la première fois qu’un programme d’une si grande ampleur est mis en place. Dans le reste du pays, la situation est complètement différente. Des services ont été créés dans le canton de Vaud. Genève dispose d’une structure comme la Consultation ambulatoire mobile de soins communautaires (Camsco), gérée par les Hôpitaux universitaires de Genève et dédiée aux personnes sans statut légal ni assurance maladie. Mais dans les autres cantons, ce sont généralement des associations privées qui garantissent les soins.

Et dans le reste du monde?
En Europe, beaucoup de régularisations collectives ont eu lieu, par exemple au Portugal et en Grèce. Il existe un certain nombre d’études descriptives sur le profil des personnes sans papiers, mais elles sont centrées sur les perspectives économiques et l’impact de la régularisation sur les conditions de vie et de travail. Peu d’études d’ampleur ont été menées sur leur santé et les conditions d’accès aux soins. Aux États-Unis, de nombreuses recherches sont désormais menées sur la régularisation, puisque la problématique y est très présente avec les immigré-es d’origine latino-américaine. Plusieurs programmes y ont vu le jour et les premières évaluations sur la santé et l’accès aux soins sont disponibles dans la littérature scientifique.

Quel est le but de votre recherche au sein de ce projet? 
À l’inverse des recherches purement médicales, le but de mon projet de thèse est de fournir une approche plus englobante sur la régularisation des sans-papiers, et d’analyser cette dernière comme une transition dans la vie de ces migrant-es. En d’autres termes, je ne prends pas simplement la régularisation de leur statut comme un acte administratif, mais j’essaye de voir comment ces gens se sont préparés à remplir les critères pour être régularisés, et dans quelle mesure la période précédant la normalisation de leur statut a un impact sur leur santé. Mes méthodes de travail sont principalement quantitatives, mais je tente également de déterminer si certains parcours amènent plus facilement des personnes vers la régularisation, puisque certaines ont par exemple eu un statut légal puis l’ont perdu.

Quel aspect du projet vous interpelle le plus?
L’hétérogénéité des profils auxquels on a affaire. Beaucoup d’amalgames sont faits, à mon sens, dans le débat public. Moi, le premier. Avant de me lancer dans cette recherche, je n’avais pas conscience du nombre de personnes concernées par ce statut à Genève, ni de la diversité des cas. Il y a bien entendu des trends, mais on a vraiment des profils et des parcours variés, qui demandent un travail très fin. Il s’agit également de groupes humains que l’on connaît très peu et pour lesquels nous n’avons pas de population de référence. La généralisation avec des outils statistiques est donc très délicate au vu de la multiplicité des cas. Dans le projet Parchemins, nous parlons des personnes sans statut légal qui sont des migrant-es économiques. Mais la problématique est tout autre pour les personnes ayant un parcours migratoire lié à l’asile, déboutées mais toujours à Genève.

«L’effet de la régularisation du statut légal sur la consommation de soins des migrant-es sans papiers: théorie et aperçu de la situation genevoise»

Les déjeuners sociologiques, avec Julien Fakhoury, Cigev UNIGE et Sabrina Roduit, discutante, SdS UNIGE

Jeudi 29 avril 2021 | 12h30-14h00 | En ligne 

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