7 avril 2022 - Alexandra Charvet

 

Événements

Vacciner le monde équitablement

À l’heure actuelle, le moyen le plus efficace pour lutter contre la pandémie de Covid-19 reste la vaccination. Or, celle-ci n’est pas garantie dans la plupart des pays en voie de développement. Une conférence fait le point sur les enjeux actuels de l’accès à la vaccination à travers le monde.

 

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Campagne de vaccination contre le Covid-19 en Inde. Image: Gajendra

 

Éléments clés pour mettre fin à la crise du coronavirus, les campagnes de vaccination contre le Covid-19 se déroulent de manière très inégale dans le monde. Une conférence, organisée par l’Association des étudiant-es en médecine de Genève (AEMG), fera le point, le 11 avril, sur la situation mondiale de l’accès à la vaccination, sur ses enjeux et sur les perspectives d’avenir. Entretien avec Stéphanie Dagron, spécialiste du droit international de la santé et de l’accès aux médicaments, professeure aux facultés de médecine et de droit et rattachée au Global Studies Institute et à l’Institut de santé globale.

 

LeJournal: Quels sont aujourd’hui les défis pour pouvoir vacciner la population mondiale?
Stéphanie Dagron
: Lors de la crise H1N1 de 2009, la plupart des pays industrialisés avaient conclu par avance des contrats d’approvisionnement avec l’industrie pharmaceutique. Cette situation a conduit à un monopole de ces pays sur les vaccins produits, créant d’importantes inégalités, et cela au sein même de l’Union européenne (UE). Les États ont essayé de tirer les leçons de cette crise. La plateforme Covax a ainsi été créée afin de poser des règles, de commander des vaccins à l’avance pour les États participants et de procéder à leur distribution. Malheureusement, cet instrument n’a pas été aussi efficace qu’attendu. À l’heure actuelle, les discussions tournent autour de l’idée d’une levée du brevet sur les vaccins contre le Covid-19. L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touche au commerce (Accord ADPIC) protège les innovations dans le domaine pharmaceutique en conférant, à travers l’attribution d’un brevet, un droit d’usage exclusif aux «inventeurs/trices». En d’autres termes, interdiction est faite pour les non-détenteurs/trices du brevet de copier, fabriquer et vendre un produit ainsi protégé. Ce système peut rendre difficile l’accès aux vaccins à un coût abordable.

 

La Suisse s’est opposée à cette levée des brevets. Comment l’expliquer?
Les positions des uns et des autres sont diverses, avec des États qui appuient une telle demande alors que d’autres préconisent d’utiliser l’Accord ADPIC en soi, qui prévoit des flexibilités permettant aux États de contourner les règles du brevet dans certains cas. La Suisse, comme l’UE jusqu’à très récemment, insiste sur la possibilité d’utiliser ces flexibilités. Les États qui s’attachent à conserver ce système ont pour arguments que le brevet protège l’innovation, qu’il est nécessaire pour financer la recherche et que seule la promesse de pouvoir vendre les vaccins développés incite l’industrie pharmaceutique à faire ce travail. En général, ce sont les pays disposant eux-mêmes d’une industrie pharmaceutique performante qui s’opposent à une telle suspension de l’accord et l’UE et la Suisse ont toujours eu une approche très protectrice en la matière. Pour le moment, il n’y a pas eu beaucoup d’avancées sur cette question, mais le problème est encore plus complexe que cela. Lever les brevets signifie autoriser les États à faire une copie des vaccins existants mais, pour cela, il faut en avoir les capacités technologiques, ce que peu de pays dans le monde possèdent.

 

Quels sont les moyens qui peuvent être mis en place pour lutter contre le «nationalisme vaccinal»?
On a en effet vu des États commander des doses dans des quantités plus importantes que leurs besoins ou des États refuser d’exporter les doses produites sur leur territoire tant que leur population ne serait pas doublement ou triplement vaccinée. La question est plus d’ordre politique que juridique. Faut-il en appeler à la solidarité des États et leur rappeler les raisons morales qui ont conduit à la création de la plateforme Covax? Faut-il en appeler à la science, qui explique qu’on se protégera tous mieux si on arrive à limiter la propagation du virus pour éviter le développement de variants? Ce qui pourrait vraiment changer la donne, ce sont les négociations qui seront menées dans les mois et années à venir pour un nouveau traité sur la préparation aux crises sanitaires et aux pandémies, un accord qui inclurait un système pour le financement de la recherche et la distribution équitable des vaccins. Mais ce n’est pas une solution qui pourra être appliquée à la crise actuelle.

 

Le vaccin doit-il être considéré comme un bien commun?
La notion de bien public mondial est très efficace. Elle possède un fort potentiel de ralliement et a été utilisée dans beaucoup de déclarations, que ce soit de la part de l’OMS ou d’autorités publiques, nationales ou internationales. Définie par des économistes, cette notion pose toutefois des difficultés d’un point de vue juridique. Elle signifie qu’il faut un consensus des États sur certains principes, sur ce que cette appellation veut dire et sur les implications par rapport à la production et la distribution de ce bien. L’inconvénient vient du fait qu’il y a une liste très longue de biens publics mondiaux, des objets qui n’ont rien en commun. Plus la liste s’allonge, plus on s’éloigne d’un consensus possible des États sur les obligations à leur charge. L’aboutissement des négociations du traité contre les pandémies pourrait régler la question. Les États pourraient décider que, lors d’une pandémie, si un vaccin est trouvé, il est placé sous le label «bien public mondial» et sera financé par tous et distribué équitablement. Nous verrons où nous mènent les négociations…

 

Dans votre conférence, vous aborderez la question de la vaccination sous l’angle des droits humains. Qu’en est-il?
Deux questions se posent: d’une part, l’obtention d’un vaccin fait-elle partie des droits humains et, d’autre part, la vaccination obligatoire de tout ou d’une partie de la population est-elle ou non contraire aux droits humains? Il faut savoir que ces derniers – sauf quelques-uns comme le droit à la vie – peuvent être limités sous certaines conditions, notamment si le but visé est d’intérêt général et si la mesure adoptée est proportionnée à l’objectif poursuivi. Les droits humains définissent un cadre dans les limites duquel les autorités publiques peuvent agir. Depuis le début de la pandémie, de nombreuses libertés individuelles ont été restreintes au nom de la protection de la santé publique et les juridictions nationales et régionales ont eu l’occasion de se prononcer sur ces mesures. Le Tribunal fédéral s’est ainsi prononcé par exemple sur l’obligation de porter un masque dans les supermarchés. La question de la légalité d’une obligation vaccinale pour tout ou partie de la population s’est posée dans de nombreux pays. Plusieurs avaient annoncé une obligation générale puis ont fait marche arrière, comme l’Autriche ou le Kenya. D’autres ont imposé des obligations indirectes partielles à certaines catégories de travailleurs/euses comme les pompiers/ères ou le personnel médical. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà eu l’occasion de prendre position sur ce type d’obligations, notamment au sujet de la vaccination contre les maladies infantiles courantes; ses conclusions sont très instructives: elles nous permettent en effet de mieux comprendre s’il existe ou non un droit de refuser la vaccination en temps de pandémie.

ACCÈS À LA VACCINATION COVID-19 DANS LE MONDE: ENJEUX ACTUELS ET PERSPECTIVES D’AVENIR

Conférence d’Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale, et de Stéphanie Dagron, professeure (facultés de médecine et de droit, Institut de santé globale, Global Studies Institute)

Lundi 11 avril | 18h30 | Uni Mail, MR070


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