27 avril 2023 - Jacques Erard

 

Événements

Un joyeux bazar

Le Global Studies Institute fête son dixième anniversaire dans son antre de l’ancienne SIP, le vendredi 5 mai. En une décennie, il a servi de laboratoire à l’expérimentation interdisciplinaire pour le bonheur de ses étudiant-es, chercheurs/euses et de son fondateur et actuel directeur, le professeur Nicolas Levrat.

 

 

GSI-10ans-J.jpg

 

L’interdisciplinarité en actes, telle que Nicolas Levrat la vit quotidiennement, c’est un open space couvrant un étage entier de l’ancienne usine de la SIP et occupé par 96 postes de travail. Des assistant-es en histoire y côtoient des collègues en droit, en science politique ou en économie. «Le GSI, c’est ce brassage, résume le directeur. Tout est là. On a parfois le sentiment que les facultés rechignent à nous envoyer leurs assistant-es de crainte que nous les corrompions. Il est vrai que nous prescrivons une certaine indiscipline. C’est un joyeux bazar qui produit des résultats étonnants. J’invite d’ailleurs la communauté universitaire à nous rejoindre le 5 mai pour en avoir un aperçu.»

 Créé en 2013 pour succéder à l’Institut européen de l’Université de Genève (IEUG), le GSI s’est fait sa place dans le paysage relativement encombré des études internationales à Genève, en reprenant le Master en études européennes de l’IEUG et en y ajoutant le Bachelor en relations internationales (BARI), créé en 2006 pour remplacer un cursus dont l’Institut de hautes études internationales voulait se délester. «Au moment où nous l’avons repris, le BARI était géré par plusieurs facultés, rappelle Nicolas Levrat. Toutes les décisions devaient être avalisées par chaque conseil participatif et, au final, rien n’était décidé de crainte de provoquer des processus administratifs interminables. Cela freinait les possibilités de développement. En d’autres termes, le BARI avait les étudiant-es mais une gouvernance fracturée. Nous avions une gouvernance fonctionnelle, celle d’un centre interfacultaire, héritée de l’Institut européen, avec une direction unifiée, mais pas beaucoup d’étudiant-es. Nous avons donc pris le meilleur parti de chaque côté. C’était une solution opportuniste mais qui a porté ses fruits.»

Le succès du BARI ne se dément pas. Il comptabilisait un peu moins de 1000 étudiant-es en 2013 et, aujourd’hui, elles/ils sont plus de 1500 à fréquenter le GSI, réparti-es entre le BARI (1250), cinq masters et un doctorat interdisciplinaire.

Mais les raisons qui ont poussé à la création du GSI ne relevaient pas seulement de la stratégie administrative et institutionnelle. Pour Nicolas Levrat, il s’agissait de répondre à une évolution fondamentale des sociétés. La distinction entre l’échelon national et l’échelon international s’estompait. La globalisation, accélérée avec la fin de la guerre froide au début des années 1990, a eu un impact profond sur les sociétés et le GSI se proposait d’en étudier les multiples facettes.

Significativement, le conférencier vedette lors de la cérémonie d’inauguration était Pascal Lamy, qui venait à peine de terminer son mandat à la tête de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), une institution perçue à l’époque comme le fer de lance de ce processus de globalisation, aussi bien par ses partisan-es que par ses détracteurs/trices.

En dix ans, le monde a bien sûr changé. Le covid puis l’invasion russe de l’Ukraine ont-ils pour autant sonné le glas de la globalisation? «Nous sommes certes revenu-es de l’idée maîtresse qui avait cours jusqu’à la fin des années 2000, selon laquelle le marché était planétaire et que l’élimination des barrières tarifaires allait aboutir à une répartition naturelle des richesses, observe Nicolas Levrat. Si on limite la globalisation à cet aspect économique et commercial, il est indéniable qu’elle a subi un contrecoup. L’OMC est aujourd’hui une institution dysfonctionnelle. Le mécanisme de règlement des différends, qui était l’un des principaux dispositifs de l’OMC, est bloqué par les États-Unis et, dans une perspective plus large, il faut prendre acte que le dernier grand traité multilatéral – sur la création de la Cour pénale internationale – date de 1998. Mais il faut nuancer. La globalisation de la société ne s’est pas arrêtée. La libéralisation des marchés à l’échelle planétaire n’a pas été un échec; elle a permis à des dizaines de millions de personnes dans les pays en développement de sortir de la pauvreté, même si elle a aussi créé de nouvelles inégalités. Par ailleurs, les problèmes de la planète, notamment les dérèglements climatiques, sont globaux et ils ne vont disparaître de sitôt.»

Tout au long de ces dix années d’existence, le GSI a accompagné, analysé et tenté de comprendre ces mutations dans toute leur complexité, en intégrant les savoirs provenant de différentes disciplines. Cette approche multiscalaire et multi-perspective est même devenue la marque de fabrique de l’Institut. «Nous ne sommes pas contre les disciplines, précise Nicolas Levrat, mais nous estimons qu’elles ne suffisent plus aujourd’hui. Elles sont même une sorte de piège qui nous empêche de prendre les décisions nécessaires pour adapter nos sociétés aux enjeux globaux. De ce point de vue, les centres interfacultaires figurent parmi les grandes réussites et les grandes richesses de l’Université de Genève.»

Ces prochaines années, l’Institut entend développer cette approche, notamment par le biais d’un enseignement consacré à la diplomatie computationnelle. Celle-ci a recours à des méthodes quantitatives, telles que l’optimisation mathématique, la théorie des jeux ou les statistiques pour résoudre des problèmes complexes dans les domaines de la négociation et du multilatéralisme. L’ambition du GSI est de former de nouvelles générations d’étudiant-es qui auront appris simultanément la grammaire des sciences exactes et celle des sciences humaines et sociales. «C’est indispensable pour passer du constat scientifique à l’action dans la société», estime Nicolas Levrat.

Les études globales, un objet relativement mal identifié dans le paysage académique il y a dix ans, ont également ouvert la voie à toutes sortes d’expérimentations. «Ce qui est fascinant dans l’Université est son ancienneté, confie le directeur. L’UNIGE a plus de 470 ans. Il n’y a pas beaucoup d’entreprises à Genève qui peuvent en dire autant. Nous sommes parmi les plus vieilles structures sociales ayant survécu aux chamboulements de l’Histoire. Arriver à se maintenir durant 470 ans suppose une certaine dose de conservatisme. En même temps, elle est un lieu d’innovation. Cette polarité génère forcément une tension et aussi un énorme potentiel créatif. Il est beaucoup plus intéressant de faire bouger les choses à l’intérieur de cette vieille structure que de créer une université start-up.»

Un exemple? S’il fallait miser sur un domaine de la vie académique dans lequel le besoin d’innovation se fait le plus sentir actuellement, Nicolas Levrat opterait sans hésiter pour une réforme des modes d’évaluation des connaissances. «En fin de compte, les étudiant-es travaillent essentiellement pour passer des examens. Or ces derniers valorisent systématiquement les compétences individuelles. L’enseignement est collectif, les étudiant-es révisent souvent en groupe, mais au moment de l’examen, elles/ils se retrouvent seul-es, alors que dans la vie professionnelle qui les attend, une grande partie des enjeux relèveront de compétences relationnelles et de la capacité à travailler avec des personnes différentes. Les évaluations devraient donc se faire par groupe et c’est d’ailleurs ce que je propose depuis quelque temps dans un de mes cours.»

 

Mes études au GSI - Témoignages

Le Global Studies Institute fête ses dix ans
Vendredi 5 mai 2023

De 17h à 22h
10 rue des Vieux-Grenadiers - plan

Programme détaillé

Lors des festivités, un palabre exquis – qui transpose le concept du cadavre exquis au discours  tiendra les invité-es en haleine. Les orateurs et oratrices, des enseignant-es du GSI, se succéderont toutes les 30 secondes. Les enseignant-es intéressé-es à participer sont prié-es de le faire savoir, avant le 3 mai 12h, en écrivant à info-gsi(at)unige.ch


Événements