20 mars 2025 - Victoria Monti

 

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Sans faim, sans fin: quand l’alimentation devient maladie

En 2035, près de la moitié de la population mondiale sera en surpoids ou obèse. Parmi les causes possibles, une prise alimentaire excessive due au dérèglement du système de la récompense connu pour son implication dans les addictions. Une conférence, donnée par Christian Lüscher, neuroscientifique, et Valérie Schwitzgebel, endocrinologue spécialiste du diabète, apportera un nouvel éclairage sur ce problème majeur de santé publique.

 

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Illustration: DR

 

Pourquoi mange-t-on? Par besoin, mais aussi par plaisir. Dans le cerveau, deux systèmes principaux contrôlent la prise alimentaire: le système homéostatique, dont la fonction est de maintenir l’équilibre énergétique du corps pour lui permettre de fonctionner, et le système hédonique (aussi appelé «système de la récompense»), associé au plaisir. Habituellement, ces deux systèmes fonctionnent ensemble: un aliment paraîtra plus appétissant lorsque l’on a faim. Mais cet équilibre peut se dérégler. En effet, exposé à certaines substances, le système de la récompense peut devenir dysfonctionnel et induire des comportements incontrôlés à l’origine d’addictions. Dans le cas de l’alimentation, celle-ci devient excessive et compulsive. En cause notamment, le mélange particulièrement explosif de lipides et de sucre. «Une expérience chez des souris a montré que face à des aliments gras ou sucrés, elles avaient tendance à absorber 30% de calories supplémentaires par rapport à leur alimentation habituelle», détaille Christian Lüscher, professeur au Département des neurosciences fondamentales et directeur du Centre Synapsy de recherche en neurosciences pour la santé mentale de la Faculté de médecine. «Mais lorsque l’on combine les deux types d’aliments, leur consommation calorique explose à 250% de leurs besoins naturels. Or, ce qui est vrai pour les souris l’est aussi pour les êtres humains. Et l’industrie agroalimentaire l’a bien compris.»

 

Mardi 25 mars, lors d’une conférence publique à deux voix et intitulée «Sans faim, sans fin – La prise alimentaire hédonique à l’origine de l’obésité», Christian Lüscher, neuroscientifique, et Valérie Schwitzgebel, endocrinologue spécialiste du diabète, conjugueront leurs expertises pour apporter un nouvel éclairage sur ce problème majeur de santé publique. Le surplus pondéral et l’obésité pourraient en effet concerner près de la moitié de la population mondiale d’ici à dix ans, l’exposant à de graves problèmes de santé — diabète, hypertension, cancer, troubles musculosquelettiques, etc.

Maladie du siècle
Maladie du siècle, l’obésité se trouve également au cœur d’enjeux financiers colossaux. Ses causes sont multiples: changements de mode de vie, aliments hypertransformés riches en gras et en sucre, diminution de l’activité physique ou encore facteurs génétiques. De fait, des milliers de gènes sont soupçonnés de prédisposer à l’obésité. «Il peut même s’agir de la mutation d’un seul gène, par exemple, celui codant pour la leptine, l’hormone régulant l’appétit, indique Valérie Schwitzgebel, professeure au Département de pédiatrie, gynécologie et obstétrique de la Faculté de médecine et médecin responsable de l’Unité d’endocrinologie et de diabétologie pédiatriques des HUG. Les personnes concernées ont simplement faim tout le temps, quelle que soit leur prise alimentaire, ce qui conduit très rapidement à une obésité dès la première année de vie. Une autre mutation, celle du gène MC4R, régulateur de l’appétit et de la consommation énergétique, peut aussi mener à une obésité monogénique. Si l’étude de ces mutations permet d’aider les malades et de mieux comprendre les mécanismes métaboliques en jeu, ces cas restent cependant rarissimes. Beaucoup plus fréquemment, l’obésité a une base polygénique – avec des centaines de gènes impliqués – qui s’ajoute à des modifications de mode de vie déclenchant la maladie.»

Dans sa consultation aux HUG, Valérie Schwitzgebel constate une augmentation inquiétante de l’obésité infantile et la présence de diabétiques de type 2 de plus en plus jeunes. «Ce qui était observé aux États-Unis il y a une dizaine d’années arrive en Europe. Et dans quelques années, quatre pays au moins auront une population majoritairement obèse: l’Arabie saoudite, les États-Unis, la Turquie et la Jordanie. Il ne s’agit donc pas d’une maladie réservée aux pays riches, mais d’un processus lié à de profondes modifications du mode de vie ainsi qu’à la surabondance des aliments industriels hypertransformés.»

Intervenir sur plusieurs fronts
Pour les médecins, une prise en charge efficace consiste d’abord à évaluer la personne et son entourage afin de détecter une éventuelle base génétique, mais aussi à comprendre les habitudes de vie, les dimensions psychologiques ou encore les contraintes matérielles. «Il ne faut pas uniquement modifier un élément, mais prendre en compte la personne dans toutes ses dimensions, souligne Valérie Schwitzgebel. Cela revient à changer tout un système, ce qui passe, par exemple, par une éducation nutritionnelle et comportementale ou encore par le recours à des médicaments pour accélérer le processus.» À cet égard, l’arrivée sur le marché de traitements dits «agonistes du GLP-1», présentés comme la solution à l’obésité, est source de beaucoup d’espoir. «Ces médicaments extrêmement efficaces sont prescrits à des patientes et patients de plus en plus jeunes, souligne Valérie Schwitzgebel. Le bémol, c’est que, dès l’arrêt du traitement, les personnes reprennent du poids si les modifications d’alimentation et de mode de vie ne sont pas poursuivies.»

L’aspect culturel et social de l’alimentation reste essentiel: réapprendre à partager les repas et éviter de grignoter en dehors de ces moments – une habitude en perte de vitesse dans de nombreux pays — constitue en effet la première étape de la lutte contre l’obésité. D’autres éléments s’y ajoutent, simples en apparence, mais dont l’impact est réel: éviter les boissons sucrées, prendre conscience de ce que l’on ingère ou encore réintroduire de l’activité physique, ce qui, à défaut de faire maigrir, renforcera la musculature.

Les spécialistes plaident enfin pour des mesures de santé publique, par exemple en collant sur les boissons sucrées des étiquettes mettant en avant leurs dangers, comme pour la cigarette ou l’alcool, une mesure dont les premiers essais réalisés au Royaume-Uni semblent concluants, ou en favorisant une architecture et un urbanisme moins obésogènes prévoyant des escaliers facilement accessibles et encourageant la mobilité douce. «Malheureusement, la prévention est toujours le parent pauvre des politiques publiques, d’autant qu’elle va souvent à l’encontre de certains intérêts industriels», ajoute Christian Lüscher.

 

SANS FAIM, SANS FIN
La prise alimentaire hédonique à l'origine de l'obésité

Conférence publique Louis-Jeantet avec Christian Lüscher, neuroscientifique, & Valérie Schwitzgebel, endocrinologue spécialiste du diabète

Mardi 25 mars | 18h30
Auditoire Louis-Jeantet, 77 route de Florissant, 1206 Genève


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