Journal n°160

«Les étudiants sont unanimes à saluer cette innovation»

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Afin d’être mieux concentrés, certains étudiants ont recours au «live streaming» dans les auditoires. Illustration: Reto Crameri

Suivre un cours en direct chez soi ou dans tout autre lieu muni d’une connexion internet, c’est possible à l’UNIGE depuis quelques années. Une expérience pilote a été menée dès 2016 à la Faculté d’économie et de management (GSEM), puis au sein des Facultés de droit et de médecine en 2018. Depuis janvier 2019, trois auditoires ont été équipés sur le campus et cette technologie est désormais accessible aux enseignants y donnant des cours. Il est prévu d’étendre encore le nombre d’auditoires équipés dans les mois à venir dans tous les principaux bâtiments. Professeur d’économie à la GSEM, Jérémy Lucchetti a mené avec ses collègues Paula Cacault, Christian Hildebrand et Michele Pellizari une étude scientifique afin de mieux  connaître les impacts du «live streaming» sur les attitudes et les résultats des étudiants bénéficiant de cette innovation.

D’où vous vient votre intérêt pour la diffusion des cours?
Jérémy Lucchetti
: Je m’intéresse à l’innovation pédagogique et, en particulier, à la problématique des grands auditoires. Ces derniers favorisent en effet un enseignement purement transmissif et une certaine passivité de la part des étudiants. Raison pour laquelle l’Université a mis à disposition divers outils, comme le vote en ligne, qui favorisent les interactions entre les étudiants et l’enseignant. Dans le cas particulier de la GSEM, nous avions en 2015, au moment de la refonte de notre bachelor en économie, un vrai problème de places dans les auditoires, ce qui nous a amenés à nous intéresser au «live streaming». Nous disposions de très peu de données à l’époque sur l’impact de ce dispositif sur l’apprentissage des étudiants et leurs performances aux examens. Nous avons donc mené une étude scientifique qui a débouché sur la publication d’un article de recherche (*), avec des résultats très intéressants.

Ce résultat montre l’importance accordée par les étudiants à la présence en cours. Ils n’utilisent le «live streaming» que lorsqu’ils sont empêchés physiquement de se rendre sur le campus

Lesquels?
Tout d’abord, on aurait pu craindre de voir les auditoires se vider. Ce n’est pas du tout le cas. Les étudiants ne font pas une utilisation massive du «live streaming», mais ils y ont recours uniquement de manière ponctuelle, dans 10-15% du temps, et ce ne sont pas toujours les mêmes qui l’utilisent d’une semaine à l’autre. L’impact sur les places à disposition dans les auditoires est par conséquent assez marginal et, de ce point de vue, n’a pas produit l’effet escompté. En revanche, ce résultat montre l’importance accordée par les étudiants à la présence en cours. Ils n’utilisent le «live streaming» que lorsqu’ils sont empêchés physiquement de se rendre sur le campus, soit parce qu’ils sont malades ou en déplacement. Nous nous sommes ensuite intéressés à l’impact sur les notes et nous avons constaté un léger effet négatif, d’environ 2%, pour les étudiants ayant le plus de difficultés.

Comment expliquez-vous ce résultat?
Il semble que l’impact positif de la présence en cours soit particulièrement marqué chez cette catégorie d’étudiants: cela leur permet d’éclaircir avec un autre participant un point qui leur a échappé ou d’identifier les aspects importants du cours lorsqu’ils voient leurs camarades prendre des notes. Autant d’interactions qui leur font défaut s’ils suivent le cours chez eux, seuls, comme cela se passe dans la plupart des cas. Il est donc important de rendre les étudiants attentifs à cet aspect lorsqu’on propose une diffusion en «live streaming». Cela dit, il convient également de préciser que cette technologie  ne crée pas de nouvelles difficultés pour ces étudiants, mais amplifie celles qu’ils éprouvent dans leurs études en général, comme leur moindre capacité d’autonomie. Pour les étudiants ayant le plus de facilité, notre étude a montré un effet inverse, avec une légère amélioration des résultats d’examens, de l’ordre de 2,5%. Le «live streaming» leur évite d’être pénalisés lorsqu’ils ne sont pas dans la capacité de se rendre en cours, sans que cela ait d’impact négatif sur leur apprentissage, car ils sont suffisamment autonomes. Au final, je pense que les avantages dépassent les inconvénients, et c’est d’ailleurs ce qui ressort des évaluations des étudiants qui sont unanimes  à saluer cette innovation.

Le «live streaming» est-il porteur d’innovations pédagogiques?
Son importance est moindre par rapport au vote en ligne, par exemple, qui apporte un vrai plus en matière d’interaction. Certains étudiants éprouvent des problèmes de concentration dans les grands auditoires. On les voit alors suivre le «streaming» avec de gros écouteurs pendant le cours lui-même. Cela les aide à se mettre dans une bulle. On peut par ailleurs imaginer en extraire des capsules filmées afin de les utiliser dans un autre cours ou dans un MOOC. Cela peut être d’autant plus intéressant qu’on a alors un enregistrement des interactions entre l’enseignant et les étudiants. Et, pour aller un cran plus loin, cette technologie offre la possibilité d’ouvrir nos bachelors à des populations au-delà de Genève et de diffuser nos formations diplômantes beaucoup plus largement.

Quel est l’avantage du «live streaming» par rapport aux cours enregistrés sur Mediaserver?
Le dépôt des enregistrements sur Mediaserver implique un temps de latence de quelques heures. Ce n’est pas énorme. Cependant, ce laps de temps fait courir à certains étudiants, surtout ceux de première année qui ont un emploi du temps très chargé, le risque d’accumuler du retard. Par ailleurs, on constate que les étudiants apprécient le fait d’avoir des plages horaires fixes, qui les aident à structurer leur semaine. Enfin, avec le «live streaming», les étudiants peuvent voir l’enseignant, ce qui rend la chose nettement plus vivante, tandis que les cours enregistrés sont uniquement au format audio. —

(*) Distance Learning in Higher Education: Evidence from a Randomized Experiment