17 mars 2021 - AD

 

Vu dans les médias

Une guerre, deux regards

 

 

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Marion Gros

 

Depuis le mois de mars, les archives des quarante premières années de la Tribune de Genève (1879 à 1920) se sont ajoutées à une riche collection de journaux suisses déjà disponibles en version numérique sur le site www.e-newspaperarchives.ch. Ces documents sont une addition bienvenue au corpus déjà existant, car comme le rappelle Marion Gros, doctorante et assistante au Département d’histoire générale (Faculté des lettres) dans un entretien publié le 6 mars sur le site du quotidien, «les journaux d’époque sont un magnifique objet d’étude, parce qu’ils font état des rapports de force en présence à un moment de l’histoire.»

L’historienne, qui s’intéresse plus particulièrement au traitement de la Première Guerre mondiale dans la presse de l’époque, met en lumière deux visions du conflit. Si la Grande Guerre évoque aujourd’hui des images de tranchées boueuses, d’épidémies, de monceaux de cadavres et de blessés, les reportages quotidiens publiés à l’époque par la Tribune de Genève racontent une autre réalité, celle de l’héroïsme des troupes et d’une guerre menée la fleur au fusil. Lorsqu’ils sont mentionnés, morts et blessés sont relégués au second plan. Marion Gros y voit un processus d’«euphémisation de la mort». Les défunts «sont là, bien sûr, ils existent, mais ils ne font pas la une des journaux. Et quand la presse décide d’en faire mention, elle préfère le mot «perte», emprunté au vocabulaire militaire.» Selon la chercheuse, il s’agit d’un phénomène de contrôle et d’orientation de la presse qui touche autant la Suisse que ses voisins embourbés dans les tranchées.

Dès lors, comment appréhender un passé fait de réalités multiples? Marion Gros apporte un élément de réponse, en se penchant sur les lettres, carnets et journaux laissés par les soldats. Des sources qui révèlent «une volonté de créer un discours de vérité. C’est-à-dire de retranscrire une expérience vécue, avec une narration qui insiste, elle, sur la blessure et la mort. Un récit très sensoriel, où se mélangent les odeurs, les visions, le sang, la boue et le bruit de la mitraille.» Deux regards contradictoires donc, mais complémentaires, qui permettent d’entrevoir le conflit dans sa totalité. 

 

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