25 novembre 2021 - UNIGE

 

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Il n’y aurait pas une maladie d’Alzheimer mais trois

Une équipe de recherche dirigée par l’UNIGE et les HUG propose un nouveau cadre d’analyse de la maladie d’Alzheimer et appelle à une prise en charge précoce et différenciée des personnes à risque.

 

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Image: DR


Le concept de la maladie d’Alzheimer est aujourd’hui dominé par l’«hypothèse amyloïde». Celle-ci décrit un enchaînement déterministe de causes et d’effets allant de l’apparition de plaques amyloïdes dans le cerveau à la perte de mémoire et à la démence en passant par une augmentation de la concentration de la protéine tau dans les neurones et la dégénérescence de ces derniers. Critiqué dans la communauté scientifique, ce modèle est remis en cause dans un article paru le 23 novembre dans la revue Nature Reviews Neuroscience et dont le premier auteur est Giovanni Frisoni, professeur au Département de réadaptation et gériatrie (Faculté de médecine) et directeur du Centre de la mémoire aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Le consortium européen de médecins et de scientifiques à l’origine de l’étude propose une théorie alternative. Il s’agit d’un modèle dit «probabiliste» composé non pas d’une mais de trois variantes de la maladie d’Alzheimer dans lesquelles la pertinence de l’hypothèse amyloïde va en décroissant tandis que l’importance de facteurs dits stochastiques (expositions environnementales et gènes à faible risque) augmente.

 

Depuis plusieurs années, de plus en plus de données fragilisent l’hypothèse amyloïde. On sait, par exemple, que certaines personnes présentent des plaques amyloïdes dans le cerveau mais ne développent pas de symptômes cognitifs. Ce qui signifie qu’un autre mécanisme, méconnu, les protège.

À l’inverse, le modèle est mis à mal par l’efficacité relativement décevante du premier médicament ciblant le dépôt de plaques amyloïdes dans le cerveau, approuvé il y a quelques mois par les autorités régulatrices européennes et américaines (l’aducanumab, un anticorps monoclonal humain).

«Si l’on considère la maladie d’Alzheimer comme une cascade séquentielle d’événements biologiques, ce remède devrait se montrer beaucoup plus efficace, estime Giovanni Frisoni. L’arrêt de la production de bêta-amyloïde (qui compose la plaque du même nom) par un médicament devrait logiquement interrompre la perte neuronale et la perte de mémoire. Mais cela n’a pas été massivement observé.»

Trois groupes de maladies
Le nouveau modèle est issu d’une revue systématique de la littérature traitant de la question. Les auteurs de l’étude distinguent trois groupes de malades selon leurs facteurs de risques, les caractéristiques de leur maladie et leur devenir.

Le premier rassemble les personnes atteintes d’une mutation génétique héréditaire dite «autosomique dominante». Très rare (elle ne touche que quelques centaines de familles dans le monde), cette condition aboutit presque à coup sûr à une démence (un seul individu présentant une telle mutation y aurait échappé). Mais même dans cette catégorie très déterministe, les scientifiques suspectent que des facteurs stochastiques, encore inconnus, jouent un rôle non négligeable, notamment dans l’âge d’apparition des symptômes qui varie entre 30 et 50 ans.

La deuxième catégorie, qui comprend environ deux tiers des cas, regroupe les patients ayant développé une forme sporadique de la maladie d’Alzheimer et présentant un ou deux exemplaires du variant ε4 du gène de l’apolipoprotéine E (APOE). Pour les porteurs de cet allèle, le risque de développer une démence consécutive à la maladie d’Alzheimer au cours de leur vie varie entre 22 et 95%, selon les études et la combinaison des allèles hérités de la mère et du père.

Dans cette catégorie, l’importance des facteurs stochastiques est presque équivalente à celle de la présence des plaques amyloïdes et de la protéine tau. Des dizaines d’autres gènes impliqués dans la maladie d’Alzheimer ont notamment été identifiés. Pris individuellement, le pouvoir de chacun de ces allèles est relativement faible mais dans leur ensemble et selon leur combinaison, ils peuvent produire un effet parfois important, aussi bien néfaste que protecteur. Une étude néerlandaise a ainsi rapporté le cas d’un centenaire resté en bonne santé cognitive malgré le fait qu’il possède deux exemplaires de l’allèle APOE ε4 (la combinaison associée au risque le plus élevé).

Le troisième groupe réunit les patient-es (environ un tiers des cas) atteint-es d’une forme sporadique de la maladie d’Alzheimer mais ne présentant pas l’allèle APOE ε4. Dans ce cas, le risque de développer une démence consécutive à la maladie d’Alzheimer au cours de leur vie oscille entre 7 et 35%, selon les études. L’âge moyen d’apparition de la démence est de plus de 80 ans. Le poids des facteurs stochastiques est très important par rapport à celui de la présence de plaques amyloïdes et de protéines tau dans le cerveau, rendant le processus pathologique et les manifestations cliniques moins prévisibles.

Révolution dans la prise en charge
Pour Giovanni Frisoni, il est impératif de traiter les personnes à risque avant l’apparition des symptômes. «La conséquence logique de notre modèle, s’il était adopté par la communauté scientifique, serait de proposer un génotypage systématique du gène APOE, pour connaître la présence ou non de l’allèle ε4 et donc évaluer le risque de développer la maladie.»

La détection des deux autres niveaux de risques, à savoir la présence de plaques amyloïde et de protéine tau dans le cerveau, est encore un obstacle. L’identification des personnes à risque nécessite aujourd’hui des procédures coûteuses et invasives telles que la scintigraphie par émission de positons et la ponction lombaire. Mais la récente mise au point d’instruments capables de détecter la présence de bêta-amyloïde et de tau dans le sang est sur le point de changer la donne et pourrait permettre l’inclusion de ce dépistage dans des check-up de routine.

«Le Centre de la mémoire des HUG vient d’acquérir, à des fins de recherche pour l’instant, un de ces appareils sensibles à des concentrations de molécules incroyablement faibles, souligne Giovanni Frisoni. Une telle machine sera sans doute disponible pour un emploi clinique dans un an ou deux. Cela révolutionnera la recherche, la prise en charge et le traitement de la maladie d’Alzheimer. À cela s’ajoute l’arrivée imminente de deux nouveaux médicaments dont les résultats semblent prometteurs.»

Précisant que la prise en charge des malades ne changera pas du jour au lendemain, le chercheur espère qu’une compréhension plus fine des mécanismes biologiques à l’œuvre permettra de développer des protocoles de recherche affinés qui prennent en compte les différentes formes de la maladie d’Alzheimer. En appliquant des critères de diagnostic précis, il sera possible d’adapter les stratégies préventives et thérapeutiques en fonction de chaque individu, et non selon un protocole standardisé qui a montré ses limites.

 

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