2 décembre 2021 - UNIGE

 

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Un pionnier du quantique revisite les travaux d’Einstein

Nicolas Gisin a acquis une notoriété internationale pour ses travaux dans le domaine de la cryptographie quantique. Il donnera sa leçon d’adieu le 9 décembre prochain.


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Nicolas Gisin. Image: DR

 

Professeur honoraire de la Faculté des sciences de l’UNIGE et récipiendaire de nombreuses distinctions internationales, Nicolas Gisin est un pionnier de la cryptographie quantique, discipline qui utilise les lois de la nature pour établir une communication en envoyant le message photon par photon, garantissant une confidentialité et une sécurité totales. En 2003, ses recherches étaient citées parmi les dix technologies du futur par le Massachusetts Institute of Technology (MIT). En mai dernier, le spécialiste figurait parmi les 40 personnalités à faire leur entrée dans le Larousse édition 2022, et il est le seul Suisse à bénéficier de ce privilège pour cette édition.

Le 9 décembre prochain, pour sa leçon d’adieu, Nicolas Gisin se penchera sur les trois erreurs commises par Albert Einstein, dont les découvertes influencent encore nos vies, que cela soit à travers notre perception de l’espace-temps ou de la gravitation. Comme tout génie, Einstein s’est parfois trompé et ses erreurs mettent en lumière les défis que présentent des recherches pionnières, à l’instar de celles menées par Nicolas Gisin. Rétrospective.

 

La cryptographie, autrement dit l’art de coder des messages, a une longue et fascinante histoire qui remonte à l’Antiquité. Cette histoire est entrée de plain-pied dans l’ère des technologies quantiques. Les propriétés déroutantes et contre-intuitives de la physique quantique permettent en effet de mettre au point un processus assurant une confidentialité, une authenticité et une intégrité parfaites aux messages transmis entre deux personnes. Si l’Université de Genève joue un rôle de leader mondial dans la recherche en matière de cryptographie quantique, c’est en grande partie grâce aux travaux de Nicolas Gisin.

Les débuts

C’est le physicien britannique Artur Ekert qui, le premier, décrit concrètement, dans la revue Physical Review Letters du 5 août 1991, ce à quoi pourrait ressembler une expérience de cryptographie quantique. L’idée reste d’abord confinée à une petite communauté de spécialistes mais elle parvient assez rapidement aux oreilles de Nicolas Gisin. Sa réaction ne se fait pas attendre. «En lisant les quelques articles traitant de ce sujet, je me suis dit que j’avais les connaissances nécessaires et tout ce qu’il fallait dans mon laboratoire pour réaliser une expérience de cryptographie quantique», se rappelle-t-il. Il en fait rapidement un axe de sa recherche. Le profil du chercheur genevois est unique à cette époque. Il possède en effet une formation en physique quantique ainsi qu’une expérience de cinq ans dans l’industrie des télécommunications qui lui a permis de se familiariser avec le maniement des fibres optiques et les effets de polarisation de la lumière qui les traverse. Il dispose également dans son laboratoire de détecteurs de photons capables de mesurer ces grains de lumière individuellement. Des appareils achetés avant tout par fascination, sans savoir exactement à qui ils pourraient servir. C’est grâce à eux qu’il bricole l’une des premières démonstrations expérimentales de cryptographie quantique.

Clé de cryptage

L’équipe qu’il dirige parvient en effet à transmettre un embryon de clé de cryptage – celle qui sert à coder des messages – à travers 1 kilomètre de fibre optique, comme elle l’expose dans un article paru dans la revue Europhysics Letters du 20 août 1993. Protégée par les lois de la physique quantique et basée sur la polarisation de photons (particules de lumière) qui sont transmis l’un après l’autre, cette clé est parfaitement aléatoire et confidentielle. Ces résultats font connaître l’équipe genevoise dans le monde de la physique internationale. Nicolas Gisin et ses collègues cherchent ensuite à perfectionner le système. Elles/ils changent alors de fibres optiques, choisissent celles qui sont exploitées par Swisscom (alors Télécoms PTT) et développent des détecteurs de photons uniques adaptés à ces nouvelles longueurs d’onde. Cette évolution leur permet de sortir la cryptographie quantique du laboratoire. Une première expérience de transmission de clé quantique dans des fibres industrielles, rapportée par la revue Nature du 30 novembre 1995, est réalisée sur 23 kilomètres, entre Genève et Nyon en passant sous le lac. La communication quantique entre dans le monde réel.

De l’intrication à la téléportation

L’équipe genevoise réalise également des expériences d’intrication quantique, une propriété de la physique quantique potentiellement très intéressante pour la cryptographie quantique. L’intrication désigne ce lien qui peut exister entre deux particules et qui fait qu’une mesure sur la première influence immédiatement l’état de la seconde, comme si elles formaient un seul et même objet alors qu’elles peuvent être éloignées de plusieurs kilomètres l’une de l’autre. La première preuve expérimentale de l’existence de l’intrication est apportée par le physicien français Alain Aspect en 1982. Mais, comme le rapporte la revue Science du 25 juillet 1997, c’est une fois de plus le groupe de Nicolas Gisin qui se distingue en réalisant la première expérience d’intrication dans des fibres optiques télécoms sur une distance de 10 kilomètres, entre les villages de Bernex et de Bellevue. La maîtrise du phénomène de l’intrication ouvre la porte à la «téléportation quantique», c’est-à-dire le transfert de l’état physique d’une particule (la valeur de sa polarisation, par exemple) à une autre, par l’entremise d’une paire de particules intriquées (il n’est pas question ici de téléporter de l’énergie ou de la matière mais bien un état quantique).

La quête du répéteur

Le principal intérêt de la téléportation quantique est qu’elle est potentiellement capable de résoudre un des problèmes techniques sur lesquels bute la cryptographie quantique: la distance. En effet, s’il est désormais possible de créer des clés de chiffrement parfaitement aléatoires et de les transmettre de manière totalement confidentielle entre deux interlocuteurs-trices, les propriétés quantiques se perdent dans les fibres optiques et au bout de quelques centaines de kilomètres. La nécessité d’une amplification du signal se fait donc sentir. «Le souci, c’est que les effets quantiques ne peuvent pas être amplifiés, précise Nicolas Gisin. La téléportation quantique permet en revanche de concevoir des ‘répéteurs’. Grâce à eux, la communication quantique pourrait s’allonger et traverser des distances beaucoup plus importantes qu’aujourd’hui.»

Jamais à la traîne, l’équipe genevoise parvient, en 2003, à réaliser la première téléportation quantique à longue distance dans des fibres optiques télécoms (2 kilomètres), dont les résultats paraissent dans la revue Nature du 30 janvier de la même année. Quelques années après, Nicolas Gisin et ses collègues réussissent à «stocker» durant une microseconde le premier membre d’une paire de photons intriqués dans un cristal composé de centaines de millions d’atomes refroidis à l’extrême et à le récupérer ensuite, sans que son intrication avec le deuxième ait été rompue. Un dispositif, présenté dans la revue Nature du 27 janvier 2011, qui commence à ressembler furieusement au premier prototype d’un «répéteur quantique». Un tel prototype n’existe pas encore mais des progrès considérables ont été accomplis, en particulier dans les laboratoires de physique genevois.

Texte extrait du magazine Campus n° 147, «La force quantique», à lire dès le 6 décembre

LES TROIS ERREURS D’EINSTEIN

Leçon d’adieu du professeur Nicolas Gisin

Jeudi 9 décembre | 18h30 | Sciences II, salle A300
Sur inscription

 

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