4 novembre 2021 - Alexandra Charvet

 

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Collectionner l’intime

Grâce à une donation de la Fondation F.I.N.A.L.E., l’UNIGE hérite de milliers d’ouvrages et de périodiques sur l’érotisme, la pornographie et les sexualités. Un corpus rassemblé par Michel Froidevaux, collectionneur aussi passionné qu’éclairé.

 

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Réception de la collection «Michel Froidevaux» au dépôt de la Bibliothèque de l'UNIGE, 23 juin 2021. Images: E. Bayart

 

Œuvres de Sade, traités médicaux du XIXe siècle, collections en plusieurs langues de PlayBoy, romans de gare : c’est tout un pan de la littérature érotique qui vient de trouver place dans les murs de la Bibliothèque de l’UNIGE, avec l’arrivée, en juin dernier, de la collection Michel Froidevaux. Ce dépôt témoigne de l’émergence d’une nouvelle discipline, les sciences des sexualités, qui s’inscrit parmi la cinquantaine déjà présente au sein des collections universitaires.

 

En effet, suite au décès de Michel Froidevaux (lire son portrait ici), qui a rassemblé, toute sa vie durant, des dizaines de milliers d’objets, d’œuvres et de publications en lien avec les sexualités, la Fondation internationale d’arts et littératures érotiques (F.I.N.A.L.E.), qu’il avait fondée en 1996, a décidé de faire don à l’Université de Genève, et en particulier à son nouveau Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités (CMCSS), des quelque 50’000 ouvrages et périodiques de toutes langues et époques qu’elle possède. «Ce don marque les 25 ans d’existence de la Fondation, précise Thierry Chatelain, président ad interim du Conseil de fondation de F.I.N.A.L.E. La collection Michel Froidevaux est un monument qui reflète ce que l’érotisme est au monde. Elle n’établit aucune hiérarchie dans les objets et documents rassemblés, sa seule limite était dans les moyens humains et financiers à disposition et la conscience que tout ne pouvait être couvert. Qu’il s’agisse du don d’un particulier, de la faillite d’un sex-shop, d’un fonds d’archives destiné au débarras, d’objets glanés dans une brocante ou sur internet, Michel Froidevaux était toujours là, prêt à accueillir la prochaine pépite de sa collection.»

Cette nouvelle collection, qui constitue un fonds documentaire remarquable pour les sciences des sexualités, vient enrichir considérablement les ressources scientifiques du CMCSS et va permettre, par sa diversité, d’ouvrir de nouveaux champs d’études liés à l’intime et aux sciences des sexualités, au sein de l’académie genevoise. «C’est un magnifique cadeau pour l’UNIGE, se réjouit le professeur Juan Rigoli, directeur scientifique du CMCSS. C’est très émouvant de recevoir ce travail admirable qui est une œuvre en soi. Une œuvre considérable, en raison de son volume et de sa variété, mais surtout de sa qualité qui tient à quelque chose d’unique: la capacité à reconnaître de la valeur, non seulement dans des ouvrages qui ont un prix ou qui sont rares, mais aussi dans les ouvrages et les revues les plus communs, ceux qui ont accompagné des générations entières dans la découverte et l’éveil de la sexualité.»

Le 23 juin dernier, ce ne sont en effet pas moins de 600 cartons remplis de livres et de périodiques de natures et sujets très divers qui sont arrivés au dépôt de la Bibliothèque de l’UNIGE, sis quai du Seujet. Romans, bandes dessinées, livres de cuisine, albums de photographies, anthologies de poésies ou de nouvelles, etc., composent la collection, dont la valeur scientifique tient au très vaste corpus de sources primaires, notamment dans le champ des cultures populaires sur les sexualités. Aux livres sur l’art érotique, des origines à nos jours, et à une bibliothèque littéraire étendue – en plusieurs langues –, s’ajoute toute une production vernaculaire qui a donné lieu à des publications de grande diffusion, mais souvent éphémères et rarement conservées aujourd’hui. Un ensemble qui offre un précieux terrain pour l’étude historique et sociologique des langages et des représentations de la sexualité.

Les ouvrages sont maintenant en cours de traitement bibliographique. «Dans le contexte d’une bibliothèque d’université, la discipline sciences des sexualités se révèle passablement indisciplinée, avoue Joëlle Muster Caïtucoli, responsable de la Bibliothèque pour le site Uni Mail. La collection Michel Froidevaux semble vouloir fort peu se fondre dans le décor usuel de rayonnages de compactus, ce qu’on a pu remarquer au moment de l’arrivée du don, à l’ouverture des cartons, dans nos regards et ceux des déménageurs. Maintenant, il va falloir, non pas la discipliner complètement, mais en tout cas l’inventorier, l’organiser pour la rendre accessible afin d’en assurer sa valorisation et d’en faire un objet de recherche scientifique.»

Concrètement, il s’agira d’en établir le catalogage (la description bibliographique des ouvrages) et l’équipement (cotation, étiquetage, estampillage) avant de pouvoir la mettre en consultation. «Nous menons actuellement une étude pour voir ce qui est possible, faire le tri entre ce qui est consultable et ce qui mérite un reconditionnement, explique Camille Jacques-Yassine, bibliothécaire spécialisée en sciences des sexualités. Selon les axes d’étude choisis, nous pourrons définir quels ouvrages seront à traiter en priorité afin d’être en mesure de les rendre disponibles.» Une première sélection devrait ainsi être consultable, en accès restreint, par les chercheurs et chercheuses, dès septembre 2022 dans les locaux du CMCSS.

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