15 septembre 2021 - Jacques Erard

 

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La géothermie, une alliée de poids dans la décarbonisation de la Suisse

Un rapport national établit un inventaire des mesures nécessaires pour parvenir à décarboniser la Suisse à l’horizon 2050. Dans ce processus ambitieux, la géothermie a un rôle important à jouer, estime le professeur Andrea Moscariello de la Faculté des sciences.

 

 

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Camions vibreurs utilisés dans la campagne d’investigation géophysique sismique à réflexion, en 2018,  dans la région de Bernex.


La Suisse s’est fixé pour objectif de réduire à zéro ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. Sachant que la demande en électricité augmentera de 30 à 50% ces trois prochaines décennies, le défi est considérable mais pas impossible à relever.

Dans un rapport rendu public le 1er septembre, le Centre de compétence suisse pour la recherche énergétique – production d’électricité (SCCER-SoE), qui regroupe 25 institutions scientifiques dont l’UNIGE, des entreprises industrielles et les autorités fédérales, a livré ses conclusions sur les aménagements indispensables pour atteindre la cible: le doublement de l’offre en énergies renouvelables (essentiellement photovoltaïque et éolienne), le stockage de CO2 pour obtenir des émissions négatives et le recours à la géothermie pour couvrir la demande en chaleur, en remplacement du mazout, et produire directement de l’électricité.

Géologue, professeur à la Section des sciences de la Terre et de l’environnement, Andrea Moscariello a participé aux sept années d’études qui ont servi de base à la rédaction de ce rapport, en apportant ses compétences sur le volet géo-énergie. Entretien.

 

Le Journal: Le rapport du SCCER-SoE annonce une augmentation de 30 à 50% de la consommation d’énergie d’ici à 2050, c’est énorme …
a-moscariello.jpgAndrea Moscariello: Cette augmentation est en grande partie due à l’électrification des moyens de transport, qui est une des voies évidentes pour atteindre le zéro carbone en Suisse. Il ne faut cependant pas se leurrer, ce changement aura des impacts environnementaux et humains importants. Il implique la multiplication des exploitations minières dans des pays éloignés pour la fabrication des batteries et pose la question du stockage de celles-ci une fois qu’elles arrivent en fin de vie.

Quelle est la contribution de la géothermie dans cette transformation énergétique?
Grâce à notre collaboration avec les Services industriels de Genève (SIG), qui ont commencé leurs travaux d’examen du sous-sol du bassin genevois et de forage en même temps que la création du SCCER-SoE, nous avons pu mettre à l’agenda le potentiel de réduction des émissions de CO2 liées au chauffage. En 2014 à Genève, 92% de la chaleur pour les habitations et l’agriculture était encore produite avec du mazout ou du gaz. Si nous parvenions à remplacer ces 92% d’énergie fossile par la géothermie, l’impact sur notre empreinte carbone pourrait être considérable. Cette composante chaleur, amenée par l’UNIGE, est maintenant reconnue comme une part essentielle du processus de décarbonisation. La géothermie offre par ailleurs l’avantage de proposer plusieurs types de solutions en fonction de la profondeur des forages.

C’est-à-dire?
À une profondeur de 80 à 100 mètres, on atteint des températures variant entre 10 et 15°C. À l’aide de pompes à chaleur couplées à des circuits fermés de fluides comme on en trouve dans les réfrigérateurs, on obtient une température d’environ 20-23°C dans les bâtiments. Et il est possible d’inverser le processus pour refroidir les bâtiments en cas de températures extérieures très élevées. La Suisse est un leader européen sinon mondial dans ce domaine. Plusieurs milliers de dispositifs de ce type sont déjà installés sur le territoire genevois et rien qu’en 2020, ce sont 30'000 kilomètres de pompes à chaleur qui ont été mises en place à l’échelle nationale. Au-delà de 1000-2000 mètres de profondeur, l’eau peut atteindre entre 28 et 60°C, une température idéale pour chauffer à distance des quartiers d’habitations, des sites industriels ou répondre aux besoins de l’agriculture. Ce type de géothermie est actuellement étudié par les SIG sur les sites de Satigny et de Lully. Mais il reste encore du chemin à faire pour généraliser cette solution.

Pour quelles raisons?
Contrairement à des pays comme l’Angleterre, les Pays-Bas ou les États-Unis, la Suisse ne possède pas une culture de l’exploration et de l’exploitation du sous-sol. Cela fait seulement six ans que les connaissances géologiques ont commencé à être rassemblées dans une base de données nationale. Il nous faut donc améliorer notre connaissance du sous-sol, ce à quoi est attelée mon équipe, en collaboration avec les SIG.

Peut-on utiliser la géothermie pour produire de l’électricité?
C’est possible lorsque l’eau atteint des températures dès 130-140C°. Dans le bassin genevois, il faut pour cela forer à une profondeur de 3000-3500 mètres. Ce n’est pas impossible. Des collègues de l’École polytechnique fédérale de Zurich proposent par ailleurs une technologie consistant à injecter du CO2 capté dans l’atmosphère à l’intérieur d’un réservoir géothermique à des températures élevées, ce qui permet de produire de l’électricité de manière plus efficace qu’en utilisant uniquement l’eau chaude. Cette solution et ses défis technologiques sont à l’étude en Suisse. Elle possède en outre l’avantage de contribuer au processus de stockage du CO2 préconisé par le rapport.

Vous avez travaillé dans l’industrie pétrolière. Pensez-vous que ce secteur puisse participer à l’effort de décarbonisation?
Les compagnies pétrolières possèdent 150 ans d’expérience en matière de forage. C’est un capital qui doit bénéficier à l’industrie verte. Pour cela, il faut mettre en place un processus de transfert de connaissances et aussi de personnel. La filière pétrolière traverse actuellement une crise et on commence à assister à une migration de compétences vers la géothermie et le stockage souterrain du CO2. C’est un développement très positif. Par ailleurs, certaines compagnies ouvrent des départements dédiés aux énergies renouvelables. On peut bien entendu considérer cela comme une manœuvre de marketing. Mais je pense qu’il y a aussi une réelle prise de conscience et qu’il s’agit pour elles d’un investissement indispensable à leur viabilité à long terme.

 

 

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