16 septembre 2021 - UNIGE

 

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Sexisme: «Des petits changements aujourd’hui en feront de grands demain»

Les stéréotypes de genre sont partout. Leur fabrication est même une caractéristique de la psychologie humaine. De cette profonde ornière conduisant aux discriminations sexistes, il est cependant possible de sortir, estiment les auteur-es d’un ouvrage qui vient de paraître. Cet effort se devra toutefois d’être collectif.

 

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Klea Faniko, chargée de cours à la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation. Image: J. Érard


Celles et ceux qui désirent comprendre les mécanismes psychologiques menant à la discrimination sexiste, saisir l’impact de celle-ci sur les femmes – et sur les hommes – et se faire une idée des moyens disponibles pour la combattre, devraient apprécier la lecture de Psychologie du sexisme, des stéréotypes du genre au harcèlement sexuel. Dirigé par Klea Faniko, chargée de cours à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, et Benoît Dardenne, professeur de psychologie à l’Université de Liège, cet ouvrage regroupe le travail de 45 auteur-es comptant parmi les plus grands spécialistes francophones du domaine. Explications.

 

LeJournal: Quels sont les mécanismes psychologiques qui conduisent au sexisme?
Klea Faniko: La discrimination sexiste est le résultat d’une sorte de réaction en chaîne. Pour organiser et analyser l’environnement complexe qui l’entoure, l’être humain apprend très tôt à trier les différentes informations qu’il reçoit et à les ranger dans des cases. Ainsi, lorsque nous rencontrons quelqu’un, nous le classons automatiquement et inconsciemment en fonction de son âge, de son origine ethnique et de son sexe ou de son genre (qui sont les critères les plus saillants). Cette catégorisation sociale nous aide à lire le monde en se limitant à un nombre restreint d’informations. Ce phénomène de simplification est naturel mais il peut aussi déraper. La catégorisation sociale basée sur l’appartenance sexuelle et de genre, qui est celle qui nous intéresse dans notre livre, génère en effet des stéréotypes. Selon les préjugés de notre société occidentale, les hommes sont ainsi considérés comme indépendants, rationnels et ambitieux tandis que les femmes sont vues comme douces, chaleureuses et sensibles. Ces stéréotypes de genre influencent profondément les représentations des individus et peuvent ensuite se matérialiser dans des comportements réels menant aux discriminations sexistes.

Tout le monde ne devient pas sexiste pour autant…
Non. La catégorisation sociale et la fabrication des stéréotypes sont certes humaines et tout le monde y est sujet mais on peut lutter contre le sexisme en travaillant de manière incessante. Et ce, à plusieurs niveaux: celui des individus, grâce à la sensibilisation et la formation par exemple, celui du milieu professionnel, en repensant l’organisation et les procédures de recrutement des entreprises, et celui de la société tout entière, notamment en empêchant autant que possible la diffusion des stéréotypes de genre dans l’enseignement, l’espace public, etc.

Cela fait beaucoup de choses à la fois…
Oui, mais je suis assez optimiste. Les indicateurs de l’égalité entre les hommes et les femmes sont d’ailleurs positifs, en Suisse du moins. On va donc vers une société plus égalitaire. Mais, en effet, il reste encore beaucoup de travail à tous les niveaux et au sein de toutes les générations. Je ne sais pas si cela prendra encore vingt ou cent ans. De toute façon, et c’est un des principaux messages de notre livre, il s’agit d’un combat collectif. Nous n’obtiendrons des changements significatifs que si femmes et hommes œuvrent ensemble. En matière de sexisme, hommes et femmes doivent s’allier.

Le sexisme est-il en recul?
Ce n’est pas si simple. Il y a quelques années encore, on observait un déni général de la discrimination sexiste envers les femmes, notamment dans le milieu professionnel. On estimait que ce phénomène n’existait plus ou, du moins, que l’on avait pris les mesures adéquates pour l’endiguer. Les choses ont beaucoup changé avec le mouvement #MeToo [né dans les années 2000, ce cri de ralliement a connu une explosion exponentielle sur les réseaux sociaux en 2017 avec l’affaire Harvey Weinstein, du nom du producteur de cinéma américain accusé par de nombreuses actrices de les avoir sexuellement abusées, ndlr]. Celui-ci a provoqué une prise de conscience importante dans la société occidentale et en particulier dans le monde professionnel en révélant que le problème était en réalité loin d’être résolu. Les femmes et les hommes ont commencé à mettre des étiquettes sur des comportements dérangeants et véhiculant du sexisme mais qui n’étaient pas considérés comme sexistes jusque-là. De plus en plus de gens se sont rendu compte qu’il existe non seulement du sexisme direct (ou hostile) mais aussi indirect, plus implicite, que l’on désigne comme le sexisme bienveillant ou ordinaire. Davantage de femmes – et d’hommes – dénoncent les comportements sexistes. Ce grand nombre de dénonciations diminue le sentiment de culpabilité que les victimes peuvent ressentir en pensant qu’elles sont responsables de l’acte qu’elles entendent dénoncer.

Quelle est la différence entre le sexisme hostile et le sexisme bienveillant?
On peut définir le sexisme hostile comme une forme de sexisme explicite, flagrante et agressive qui vise à maintenir la dominance du groupe des hommes. Il se manifeste par exemple quand on prétend ouvertement que les femmes sont plus faibles ou moins intelligentes que les hommes. Placé à l’extrême du continuum de discrimination, c’est un comportement qui se fait plus rare. Il peut être supplanté par le sexisme bienveillant, plus subtil, souvent inconscient et ambivalent. Celui-ci renforce les stéréotypes et rôles de genre, sous couvert de compliments, différenciant favorablement les femmes comme des êtres doux, sensibles et chaleureux. Il peut s’agir, pour prendre un exemple universitaire, d’un professeur qui parle à une de ses doctorantes souhaitant faire un séjour à l’étranger «comme s’il s’agissait de sa propre fille». C’est-à-dire qu’il lui fera remarquer que son compagnon ne pourra peut-être pas l’accompagner, que cela pourrait compromettre ses efforts de conciliation de sa vie familiale et professionnelle, etc. La démarche part d’une bonne intention mais la jeune femme pourrait être influencée et décider de ne pas partir, contrairement au doctorant masculin qui n’aura pas eu droit au même discours.

Vous évoquez une prise de conscience de la société face à la discrimination sexiste. A-t-elle conduit à un changement de comportement?
Oui. En général, quand un individu devient conscient du fait que ses remarques peuvent avoir un impact négatif sur une autre personne, il se pose des questions et, la plupart du temps, modifie son comportement.

Est-ce que cette évolution s’observe dans tous les milieux professionnels?
Il existe des différences. Dans les situations les plus précaires, c’est-à-dire lorsque les contrats de travail sont à durée déterminée ou renouvelables d’année en année comme c’est le cas pour les doctorant-es, le sexisme est souvent présent, parfois sous la forme d’un abus de pouvoir. La résolution du problème dépasse la prise de conscience ainsi que le changement de mentalité et de comportement. Si on veut combattre le sexisme de manière plus radicale, il faut aussi combattre la précarité et offrir aux femmes les mêmes opportunités de carrière que les hommes. Cela demande des changements non seulement dans l’organisation des entreprises mais aussi dans celle de la société dans son ensemble. Malheureusement, la pandémie actuelle n’a fait qu’accroître la précarité dans certains secteurs, ce qui rajoute une couche au problème.

Les stéréotypes se mettent en place dès la plus tendre enfance. Faut-il agir dès la crèche?
Oui. Il faut par exemple veiller à ce que les stéréotypes de genre soient absents des jouets, des livres, des activités et des comportements des adultes à l’égard des enfants. J’ai mené récemment une évaluation dans une crèche, au demeurant très attentive à ces questions. Dans le processus, j’ai aussi envoyé un questionnaire aux parents. Et c’est là que j’ai remarqué que tous les efforts déployés par la crèche peuvent être littéralement sabotés par le comportement de certains adultes qui, à la maison, perpétuent les stéréotypes de genre. Former les éducateurs/trices, les enseignant-es, les professeur-es, c’est bien, mais il est tout aussi indispensable de trouver des allié-es auprès des parents.

Le choix d’une profession est également un moment délicat dans le parcours de vie. Comment se libérer des stéréotypes à cet instant?
En effet, lorsqu’il s’agit de faire le choix d’un métier, femmes et hommes mettent souvent en place, de manière inconsciente, des comportements en accord avec les stéréotypes dominants. Elles et ils sont alors guidé-es par ce qu’on appelle l’anticipation des discriminations. En réalité, ce phénomène touche davantage les hommes. En Suisse, selon les statistiques, les filles sont plus nombreuses à se diriger vers des filières considérées comme typiquement masculines que les garçons à s’intéresser à des métiers considérés comme féminin. L’explication se trouve dans le fait qu’à cet âge, le choix d’un métier représente aussi un choix de son identité de genre. Et on observe que la société met plus de pression sur les garçons pour qu’ils s’orientent vers un métier «masculin». Il faut tout de même noter un progrès dans ce domaine. On trouve en effet de plus en plus de garçons infirmiers, sages-femmes ou professionnels dans la petite enfance. Mais ils sont en général confrontés à des commentaires négatifs. Cela dit, lorsqu’on demande aux jeunes de 16 ans si elles ou ils voudront travailler plus tard à temps partiel ou complet, les filles sont toujours plus nombreuses à choisir le temps partiel et ce, explicitement pour pouvoir se consacrer aux enfants. Les filles sont influencées par les modèles, les amies et les stéréotypes qui circulent autour d’elles et ceux-ci favorisent toujours l’image d’une mère qui doit passer plus de temps avec ses enfants qu’un père.

Le rôle du modèle est donc important?
Oui. De nombreuses campagnes de sensibilisation, comme récemment la campagne «100 femmes et des milliers d’autres» visant à encourager les femmes à choisir des filières scientifiques ou d’ingénieur, par exemple, qui sont considérées comme typiquement masculines, mettent en avant des femmes ayant réussi dans ces voies. Dans les pays nordiques notamment, où l’engagement parental est beaucoup plus équilibré qu’ailleurs, les enfants reçoivent dès le départ l’image d’un papa tout aussi présent à la maison que la maman, d’un papa qui quitte lui aussi son travail pour emmener le petit qui est malade chez le médecin, etc. C’est exactement ce qu’il faut pour changer le monde. Ce sont ces petits changements de comportement aujourd’hui qui provoqueront les grands changements du futur.

C1_Psycho_sexisme (002).JPG«Psychologie du sexisme, des stéréotypes du genre au harcèlement sexuel», ouvrage collectif sous la direction de Klea Faniko et Benoît Dardenne, Éd. De Boeck supérieur, 2021, 260 pages

 

 

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