4 octobre 2021 - UNIGE

 

Recherche

La lente et sourde maturation de Toba, le supervolcan

Des géologues de l’UNIGE et de l’Université de Pékin ont mis au point une technique qui permet d’estimer la taille d’une future superéruption du volcan Toba, à Sumatra.

 

 50Toba-1200.jpg

Le lac Toba à Sumatra et son île créée par l’accumulation de magma dans le réservoir magmatique du volcan situé juste en dessous. Image: UNIGE


Sous le lac Toba, situé à Sumatra en Indonésie, tout se passe en silence. Environ 320 km3 de magma reposent dans le réservoir du volcan enfoui et sont prêts à entrer en éruption. À cette quantité gigantesque s’ajoutent, sans rien laisser paraître, quelque 4 km3 de magma supplémentaires tous les mille ans, de manière stable, depuis plusieurs dizaines de milliers d’années. En bref, si une éruption devait se produire maintenant, elle détruirait non seulement l’île très peuplée de Sumatra mais bouleverserait aussi profondément l’environnement mondial. C’est ce qui ressort d’une étude à paraître dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) du 9 novembre. Les résultats, obtenus par une équipe de géologues dont fait partie Luca Caricchi, professeur au Département des sciences de la Terre (Faculté des sciences), se basent sur une analyse des taux d’uranium et de plomb présents dans les zircons – un minéral que l’on trouve généralement dans les éruptions volcaniques explosives. Elle a permis de déterminer combien de temps le volcan a mis pour préparer ses superéruptions passées et d’affirmer que l’effet de surprise risque d’être total pour la suivante car aucun signe géologique inhabituel n’annoncera l’imminence de cet événement catastrophique.
Le zircon est un minéral que l’on trouve dans les produits d’éruptions volcaniques explosives. Il contient notamment de l’uranium qui, avec le temps, se désintègre en plomb. En mesurant les taux d’uranium et de plomb dans un zircon à l’aide d’un spectromètre de masse, il est possible de déterminer l’âge du cristal. Les scientifiques l’ont fait pour un grand nombre de zircons extraits des produits des différentes éruptions: les échantillons les plus jeunes fournissent des informations sur la date de l’éruption et les plus anciens révèlent l’histoire de l’accumulation du magma qui a précédé les superéruptions. Cette technique peut également être utilisée pour estimer le taux d’entrée du magma dans un réservoir magmatique.

Deux superéruptions en un million d’années
Entre cinq et dix volcans dans le monde seraient actuellement capables de produire une superéruption et celui de Toba compte parmi eux. Il en a même déjà provoqué deux au cours du dernier million d’années. La première, il y a 840’000 ans, et la seconde, il y a 75’000 ans, ont chacune éjecté environ 2800 km3 de matériaux, soit 70’000 fois la quantité de magma expulsée à ce jour par l’éruption actuelle du volcan de La Palma aux Canaries.
«Nos analyses sur les zircons ont permis de déterminer que la première superéruption a nécessité 1,4 million d’années d’apport de magma, explique Luca Caricchi. Le magma qui a alimenté la seconde, cependant, ne s’est accumulé qu’en 600’000 ans. La différence est liée à l’augmentation progressive de la température de la croûte terrestre dans laquelle se trouve le réservoir. C’est un cercle vicieux: l’apport de magma réchauffe la croûte terrestre environnante, qui, parce qu’elle est plus chaude, ralentit le refroidissement du magma, ce qui accélère le rythme d’accumulation et augmente la fréquence des superéruptions.»
Le volcan Toba est aujourd’hui une caldeira, ce qui signifie que les éruptions précédentes ont créé une grande dépression qui est occupée par le lac. En son centre se trouve une île qui a surgi des eaux en raison de la poussée du magma injecté dans le réservoir subvolcanique. Aujourd’hui, cette île augmente progressivement en hauteur, ce qui indique que le volcan est actif et que le magma s’accumule en dessous.
Au vu des valeurs actuelles concernant le taux de remplissage estimé par les géologues et de la température de la croûte terrestre, la prochaine éruption, de la taille des deux autres, pourrait avoir lieu dans environ 600’000 ans. Une estimation plutôt rassurante qui n’exclut pas, cependant, des éruptions plus petites entre-temps. Les géologues ne pourront toutefois pas compter sur des signes avant-coureurs tels qu’une augmentation significative des tremblements de terre ou un soulèvement rapide du sol. Leurs résultats montrent que ces derniers pourraient en effet ne pas être aussi évidents que ceux décrits dans les films catastrophe produits par l’industrie cinématographique.

Pour en savoir plus

 

Recherche