29 octobre 2020 - UNIGE

 

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Tous les arbres sont bénéfiques, même les envahisseurs

L’écrasante majorité des espèces d’arbres à Genève a été importée. Cela n’enlève rien à leur capacité à rendre des services écosystémiques. Une étude préconise de les intégrer dans l’évaluation de la biodiversité locale, contrairement à l’usage actuel.

 

 

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L'ailante glanduleux ou vernis de Chine (Ailanthus altissima) est considéré comme envahissant dans les environnements seminaturels mais en milieu urbain, il peut fournir des services tels que l’ombre et la beauté esthétique. L'ailante peut grandir de 3 m par année. @ Mannuel Faustino / SIPV

 

À Genève, 90% des espèces d’arbres et 40% des arbres non forestiers ne sont pas indigènes. Ces végétaux «étrangers» doivent-ils malgré tout participer à l’élaboration des indicateurs de la biodiversité, contrairement à l’usage actuel? Oui, répondent Martin Schlaepfer, chargé de cours à l’Institut des sciences de l’environnement (Faculté des sciences), et ses collègues des Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Genève dans un article paru dans le numéro de décembre de la revue Urban Forestry & Urban Greening. Leur analyse parvient en effet à la conclusion que chaque arbre, qu’il soit indigène ou non, fournit à la société et à l’environnement des services de régulation similaires. Les espèces non indigènes, selon les auteurs, génèrent même des services écosystémiques culturels plus importants que leurs homologues indigènes puisque, par exemple, 79% des arbres identifiés comme «remarquables» par le canton de Genève appartiennent à des espèces importées.

 

 

Dans le cadre de leur étude, les chercheurs ont analysé une base de données de 115’686 arbres non forestiers appartenant à 1025 espèces différentes afin de quantifier les contributions réelles des arbres indigènes et non indigènes à la biodiversité, qui se définit comme une mesure de la richesse taxonomique ou du nombre d’espèces différentes, dans la zone urbaine de Genève. À ce propos, les auteurs soulignent que le nombre total d’espèces indigènes répertoriées avant 1500 dans la région n’était que de 101. Depuis, 8 nouvelles espèces locales ont été identifiées tandis que 916 espèces non indigènes supplémentaires ont fait leur entrée sur le territoire. Cette proportion exceptionnelle s’explique en grande partie par la présence du jardin botanique actuel, dans le quartier des Nations, ainsi que de l’ancien, installé au parc des Bastions, qui comptent à eux deux plus de 700 espèces étrangères.

 

Réduction de la pollution

De cette base de données, les chercheurs ont tiré un sous-ensemble de 50’718 individus, appartenant à 527 espèces, pour lesquels il existe des informations plus détaillées. Cet échantillon a été utilisé pour quantifier leur contribution positive ou négative à la qualité de l’environnement et au bien-être humain. Les arbres participent en effet à la réduction de la pollution et du bruit, servent de ressources et d’abris pour d’autres espèces, réduisent la chaleur et l’érosion, offrent une plus-value paysagère, de l’ombrage, des zones de détente ou un sentiment d’appartenance. Ils peuvent cependant aussi représenter une source d’allergènes, de frais d’entretien, d’accidents ou de menaces pour la biodiversité autochtone s’ils ont été introduits.

«Il existe actuellement un gros débat philosophique autour de la question de savoir s’il faut promouvoir les arbres indigènes et bannir – ou du moins limiter – les espèces introduites, pose Martin Schlaepfer. Les arbres introduits sont généralement répertoriés dans les bases de données officielles mais lorsqu’il s’agit de mesurer les progrès d’une nation en matière de démarche environnementale, elles disparaissent des tabelles de la biodiversité. Pourtant, sur toutes les espèces introduites dans les espaces urbains, seules 5% sont potentiellement problématiques, à l’instar de l’Ailante glanduleux (Ailanthus altissima), par exemple. Originaire de Chine et de Taïwan et désormais présent en Vieille-Ville de Genève, cet arbre surnommé le ‛Frêne puant’ fait partie de ces nuisibles en raison de sa capacité à coloniser rapidement des zones perturbées et à entraver la croissance et la régénération des espèces indigènes. Mais que doit-on faire avec les 95% restantes et quelle importance doit-on leur accorder?»

 

Valeur esthétique

L’analyse des services écosystémiques montre que peu importe leur origine, les arbres sont bénéfiques. Il existe bien sûr quelques exceptions, notent les auteurs. «Trois espèces envahissantes ont été répertoriées, par exemple, poursuit Martin Schlaepfer. Mais elles ne sont nuisibles que si elles se disséminent en dehors de la ville. Isolées dans l’espace urbain, elles contribuent à notre bien-être et il n’y a que très peu de risques de propagation.»

Certaines espèces introduites sont présentes depuis plusieurs siècles dans les parcs, comme des cèdres et des platanes importés d’Afrique du Nord et d’Asie aux XVIe et XVIIe siècles pour leur valeur esthétique, leur résistance aux maladies et leur feuillage pérenne. Elles font désormais partie du patrimoine culturel. Leurs bonnes capacités de survie en milieu urbain leur permettent également de contribuer aux îlots de fraîcheur ou à la dépollution.

«Nos résultats montrent que les arbres non indigènes représentent une source importante de biodiversité et de services écosystémiques, à la fois en termes absolus et par arbre, explique Martin Schlaepfer. Ces végétaux importés à un moment donné de l’histoire jouent un rôle important dans de nombreuses villes et la probabilité que leur nombre augmente avec le changement climatique futur est grande. Les projections pour nos latitudes indiquent en effet que d’ici cinquante à cent ans – soit la longévité d’un arbre –, le climat genevois sera proche de celui du sud de l’Italie. Il faut donc être ouvert à l’idée d’introduire dès aujourd’hui des espèces résistantes à nos futures conditions de vie. Pour toutes ces raisons, nous suggérons que les espèces non indigènes soient prises en compte dans les évaluations de conservation et dans la planification stratégique visant à améliorer les espaces urbains.»

 

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