2 novembre 2020 - UNIGE

 

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L’absence de corps calleux génère une plasticité neuronale spectaculaire

Les personnes naissant sans corps calleux n’ont plus de pont entre les deux hémisphères cérébraux. Des neuroscientifiques de l’UNIGE montrent comment le cerveau parvient à s’y adapter.

 

 

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Fibres neuronales dans un cerveau sain (à gauche) et un cerveau avec agénésie du corps calleux (à droite). Dans le cerveau sain, les 2 hémisphères sont connectés par les fibres du corps calleux, représentées en rouge. Celles-ci sont absentes du cerveau avec agénésie du corps calleux. © UNIGE/SIFFREDI

Une personne sur 4000 naît sans corps calleux, la structure cérébrale composée de fibres neuronales qui sert à faire passer des informations d’un hémisphère à l’autre. Un quart des individus affectés ne souffrent d’aucun symptôme, les autres ont soit de faibles quotients intellectuels, soit des troubles cognitifs prononcés. Dans une étude publiée le 27 octobre dans la revue Cerebral Cortex, Vanessa Siffredi, maître assistante au Département de radiologie et d’informatique médicale (Faculté de médecine), et ses collègues ont découvert qu’en l’absence de corps calleux, le cerveau se réorganise et crée un nombre remarquable de connexions à l’intérieur de chaque hémisphère, davantage que dans des cerveaux sains. Ces mécanismes de plasticité neuronale permettraient au cerveau d’utiliser des voies neuronales alternatives, de préserver la communication entre les hémisphères et de compenser ainsi les pertes.

Le corps calleux se développe in utero entre la 10e et la 20e semaine de gestation. Son absence, appelée l’agénésie du corps calleux, est une malformation cérébrale congénitale. Rien ne remplace cette structure d’une dizaine de centimètres, hormis du liquide céphalorachidien. Les informations transmises d’un hémisphère à l’autre ne peuvent donc plus être assurées par les projections neuronales du corps calleux. Leur rôle dans un cerveau sain est, selon Vanessa Siffredi, «d’assurer le bon fonctionnement de diverses fonctions cognitives et sensori-motrices». Étonnamment, si la moitié des personnes atteintes par cette malformation a un quotient intellectuel moyen et des difficultés d’apprentissage et que 25% souffrent de troubles cognitifs prononcés, les 25% restants ne présentent aucun signe apparent.

Fibres énigmatiques
La littérature scientifique montre qu’en l’absence de corps calleux, certaines fibres destinées à servir de pont entre les hémisphères, appelées fibres de Probst, contournent la zone cérébrale absente et se recourbent à l’intérieur de chacun des hémisphères. «Les zones de repli varient totalement d’un individu à l’autre, indique la neuroscientifique. On ne connaît pas leur fonction.» Afin de comprendre cette variabilité et d’examiner le rôle de ces fibres, les scientifiques genevois-es, en collaboration avec leurs collègues de l’Université de Melbourne, ont étudié par imagerie cérébrale IRM les liens anatomiques et fonctionnels entre les structures cérébrales d’une vingtaine d’enfants de 8 à 17 ans souffrant d’agénésie du corps calleux.

Leur approche a d’abord permis d’observer les relations physiques entre les différentes régions du cerveau, c’est-à-dire les liens structurels. Chez les enfants souffrant d’agénésie du corps calleux, les fibres neuronales présentes à l’intérieur de chaque hémisphère sont plus nombreuses et de meilleure qualité que dans des cerveaux sains. De plus, les scientifiques ont réussi à déterminer les corrélations entre l’activité des différentes régions du cerveau, donc leurs liens fonctionnels.

Communication préservée
Les données montrent que les connectivités fonctionnelles intra- et interhémisphériques des cerveaux sans corps calleux sont comparables à celles des cerveaux sains. «De manière remarquable, la communication entre les deux hémisphères est préservée, s'émerveille la chercheuse. Nous pensons que des mécanismes de plasticité, tels que le renforcement des liens structurels à l’intérieur de chaque hémisphère, ont compensé l’absence de fibres neuronales entre les hémisphères. De nouvelles connexions sont créées et les signaux peuvent être déroutés afin de préserver la communication entre les deux hémisphères.»

Les scientifiques font l'hypothèse que la communication entre les deux parties du cerveau continue d'être assurée par deux minuscules canaux appelés les commissures antérieures et postérieures. Comme leur diamètre est 100 fois moins large que celui du corps calleux, le cerveau est obligé de se réorganiser dans chaque hémisphère pour faire passer l'information par ce goulet d'étranglement.

Si le pont du Mont-Blanc était un corps calleux
«C'est un peu comme si Genève, divisée en une rive droite et une rive gauche, se voyait soudainement privée du pont du Mont-Blanc, une artère importante où passent des dizaines de milliers de véhicules par jour, illustre Vanessa Siffredi. La ville serait alors obligée de réorganiser massivement son trafic à l'intérieur de chaque rive afin de faire passer le plus de voitures possible par les ponts restants, beaucoup plus petits.»

Les neuroscientifiques genevois-es ont en outre observé une corrélation entre l’augmentation des connexions à l'intérieur des hémisphères et les compétences cognitives. Une information intéressante pour les aspects cliniques puisque lorsque l’agénésie est détectée par échographie lors de la grossesse, une proposition d’interruption de grossesse est souvent formulée.

Et la chercheuse de conclure: «Dans un avenir proche, nous pourrions imaginer utiliser l’imagerie IRM afin de prédire si la malformation observée par échographie a des risques d’association avec une déficience cognitive ou pas et ainsi mieux informer les futurs parents.»

 

 

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