3 décembre 2020 - UNIGE

 

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Tous les primates du monde partagent la même vision

Conservée depuis plus de 55 millions d’années, la structure élémentaire du cortex cérébral chargée du traitement de l’information visuelle est la même chez toutes les espèces de primates, de la plus petite, le microcèbe mignon, à la plus grande, mille fois plus lourde.

 

 

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Le microcèbe mignon (Microcebus murinus), la plus petite espèce de primates, possède une excellente vision. Plus d’un cinquième du cortex cérébral de ce lémure est dédié au traitement visuel.© UNIGE/Huber

Les primates, dont fait partie l’être humain, traitent l’information visuelle à l’aide de petites unités de calcul situées dans le cortex visuel de leur cerveau qui s’apparentent aux pixels d’une caméra digitale. Dans une étude publiée le 3 décembre dans la revue Current Biology, une équipe de scientifiques menée par Daniel Huber, professeur associé au Département des neurosciences fondamentales (Faculté de médecine), a constaté que la taille de ces unités de traitement visuelles est identique chez tous les primates, indépendamment de leur taille corporelle qui peut pourtant varier d’un facteur 1000 d’une espèce à l’autre. Ils ont vérifié cette particularité en comparant le Microcebus murinus, ou microcèbe mignon, qui est un lémurien de Madagascar pesant à peine 60 grammes, à deux espèces de macaque (le macaque japonais, Macaca fuscata, et le macaque rhésus Macaca mulatta), qui affichent, quant à eux, un poids de plus de 7 kilos. Pour les auteurs de l’article, la haute conservation de cette partie du cortex à travers tout l’ordre des primates souligne l’importance du système visuel dans le quotidien de ces espèces ainsi que dans celui de leurs lointains ancêtres.

Pour en savoir plus

Cela fait plus d’un siècle que le système visuel des primates fait l’objet d’études scientifiques approfondies. Celles-ci ont révélé que, contrairement à d’autres mammifères comme les rongeurs, l’information visuelle est traitée par «pixel» grâce à de petites unités de calcul dédiées, localisées dans le cortex visuel. Comme les différentes espèces de primates couvrent une large gamme de tailles, les scientifiques se sont logiquement demandé si cette unité de calcul de base s’adaptait à la dimension du corps, donc du cerveau, en particulier chez le microcèbe mignon, le plus petit des primates connus.

Ce n’est pas la taille qui compte
Les scientifiques ont d’abord analysé le fonctionnement du système visuel du microcèbe mignon à l’aide d’une technique d’imagerie optique. Ils ont ainsi pu repérer les neurones répondant au stimulus visuel en montrant aux petits lémuriens des formes géométriques représentant des lignes d’orientation diverses. En répétant les mesures plusieurs fois, ils ont pu dessiner petit à petit les unités de calculs traitant les informations directionnelles. Au lieu de pixels minuscules, proportionnels à la petite taille du lémurien, les chercheuses et les chercheurs ont découvert des unités de calculs mesurant plus d’un demi-millimètre de diamètre.
En comparant ces données à celles disponibles pour les circuits visuels des différentes espèces de primates étudiées jusqu’ici, les scientifiques ont constaté que cette unité de traitement de base est de taille presque identique chez le microcèbe de 60 grammes, les macaques d’environ huit kilos et même les plus grands singes de plusieurs dizaines de kilos, dont l’être humain. Les chercheurs et les chercheuses ont également constaté que le nombre de neurones par pixel ainsi que leur organisation fonctionnelle est quasiment la même chez tous les primates.
Le résultat est surprenant sachant que ces espèces ont suivi des chemins évolutifs très différents, qu’elles sont séparées depuis 55 millions d’années et distribuées sur plusieurs continents. Au lieu de présenter un mélange de similitudes générales et de différences caractéristiques, comme s’y attendaient les spécialistes, ces modules neuronaux sont pratiquement impossibles à différencier.

Un système incompressible
Le fait que cette unité soit si bien conservée suggère qu’elle a probablement évolué très tôt dans l’histoire des primates, indiquant que les ancêtres de cet ordre avaient des capacités visuelles similaires aux espèces actuelles.
De plus, cette découverte révèle que cette partie du système visuel ne peut pas être comprimée ou réduite. Il faut en effet un nombre fixe de neurones pour assurer sa fonctionnalité optimale. Pour les minuscules espèces de primates ayant une excellente vision, comme le microcèbe mignon, cela implique que le système visuel doit être relativement grand, comparé à la taille de leur cerveau, pour accueillir un nombre suffisant d’unités de traitement des pixels. C’est le cas puisque plus d’un cinquième (20%) du cortex cérébral de ce lémurien est dédié au traitement visuel. À titre de comparaison, les circuits neuronaux de la vision occupent à peine 3% du cerveau humain.

 

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