18 avril 2024 - Anton Vos

 

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Un super-riz fournit un surplus de vitamines

Une variété de riz a été génétiquement modifiée pour produire quatre fois plus de vitamine B1. Elle pourrait combler les carences alimentaires de certaines populations.

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Le riz biofortifié, mis au point en laboratoire, a été cultivé dans des champs expérimentaux à Taïwan. Image: UNIGE


Teresa Fitzpatrick, professeure au Département des sciences végétales (Faculté des sciences), et ses collègues ont mis au point un riz transgénique contenant jusqu’à 4 fois plus de vitamine B1 (thiamine) que les variétés ordinaires. Cette avancée, publiée le 27 mars dans Plant Biotechnology Journal, est présentée comme une réponse possible aux carences nutritionnelles de certaines populations dont le régime alimentaire est basé – parfois exclusivement – sur cette céréale. Le riz, du moins sa graine dépouillée de toutes les couches périphériques (l’endosperme), est en effet pauvre en un certain nombre de micronutriments essentiels pour l’organisme humain. La vitamine B1 en fait partie et un apport insuffisant de cette substance est à l’origine de nombreuses maladies des systèmes nerveux et cardiovasculaire dont le béribéri.

 

L’étude genevoise, menée en collaboration avec la National Chung Hsing University de Taïwan et l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), est, à ce stade, de nature purement académique et se présente cependant comme une «preuve de concept». La procédure consistant à mettre au point un produit commercialisable et à le distribuer aux populations concernées est laissée à d’autres instances. Une procédure qui risque de se heurter à des obstacles, compte tenu de l’opposition actuelle des paysans et des associations environnementales aux organismes génétiquement modifiés (OGM), même s’ils l’ont été à des fins de biofortification, c’est-à-dire d’amélioration de leur valeur nutritionnelle. Le fameux «riz doré», modifié de manière à produire une concentration plus élevée de bêta-carotène (précurseur de la vitamine A), a ainsi dû attendre plus de vingt ans pour que commence enfin sa commercialisation à grande échelle. Ce déploiement, même tardif, ouvre d’ailleurs peut-être la voie à de futurs OGM.

Une étape remarquable
Il n’en reste pas moins que le développement d’un riz riche en vitamine B1 est une étape remarquable du point de vue technologique. Toutes les tentatives précédentes n’avaient, jusque-là, réussi à augmenter la teneur de thiamine que dans certaines parties de la céréale, comme les feuilles et le son, mais jamais dans l’endosperme, c’est-à-dire la partie propre à la consommation.
Pour y parvenir, les scientifiques ont élaboré des lignées de riz contenant un gène, prélevé sur le sésame (Sesamum indicum), connu pour être capable de séquestrer la vitamine B1 de façon contrôlée dans les tissus de l’endosperme. Après culture en serre, récolte et polissage des grains de riz, les analyses ont effectivement montré une augmentation de la teneur de la substance dans la graine (mais pas dans les autres parties de la plante).
Afin de vérifier que la modification est stable dans le temps, les graines transgéniques ont ensuite été semées en pleine terre dans un champ expérimental à Taïwan, où ce genre de pratique est autorisé dans des circonstances précises, contrairement à la Suisse. Elles y ont été cultivées pendant plusieurs années puis analysées. Il en ressort, d’une part, que, d’un point de vue agronomique, les caractéristiques telles que la hauteur des plantes, le nombre de tiges par plant, le poids des grains ou encore la fertilité sont identiques entre les variétés modifiées et celles non modifiées; d’autre part, que le niveau de vitamine B1 dans les grains de riz des premières est 3 à 4 fois supérieur à celui des secondes et reste inchangé à travers les générations. Et ce, sans avoir d’impact négatif sur le rendement de la culture.
«Le fait que nous ayons pu cultiver nos lignées en conditions réelles en champs et que l’expression du gène modifié soit stable dans le temps sans qu’aucune des caractéristiques agronomiques ne soit affectée est très prometteur, se réjouit Teresa Fitzpatrick. Un bol de riz de 300 grammes issu de cette culture permettrait d’atteindre environ un tiers des apports journaliers recommandés en vitamine B1 pour un adulte.»
Selon la chercheuse, la prochaine phase consisterait à poursuivre cette approche, mais en utilisant des variétés commerciales. Ensuite, il faudra franchir des étapes réglementaires relatives à la «biofortification par génie génétique» avant d’être en mesure de cultiver et de vendre de telles semences sur le marché, à l’image de ce qui s’est passé avec le riz doré.

L’épopée du riz doré
Ce dernier a été développé dans les années 1990 par l’équipe d’Ingo Potrykus, aujourd’hui âgé de 90 ans et professeur honoraire à l’EPFZ (le chercheur qui a repris son laboratoire n’est autre que Wilhelm Gruissem, coauteur de l’étude sur le riz dopé à la vitamine B1). Cette céréale produit, grâce à un gène tiré du maïs, une haute teneur en bêta-carotène, ce qui donne au grain sa couleur jaune caractéristique. Le but de l’opération est, là aussi, de lutter contre la malnutrition chez les populations dont la principale source d’hydrates de carbone est le riz, mais en visant plus spécifiquement la vitamine A (que l’organisme humain fabrique à partir du bêta-carotène).
Commencées dans les années 2000, les tentatives de commercialisation du riz doré, pilotées par l’Institut international de recherche sur le riz basé aux Philippines, ont connu deux décennies d’obstructions, principalement parce qu’il s’agit d’un OGM. Ce n’est qu’en 2021 que les autorités philippines chargées de la biosécurité donnent le feu vert à la culture à grande échelle et à la consommation de la céréale dorée, baptisée entre-temps riz Malusog (qui signifie «riz sain» en philippin). Plus de 100 tonnes de riz ont ainsi été récoltées en octobre 2022 dans une phase pilote menée sur 40 hectares. Les tests de mise sur le marché ont été menés dans sept provinces en 2023 et le processus de commercialisation devrait être complet d’ici à la fin de 2024, selon les autorités.

 

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