27 janvier 2022 - UNIGE

 

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Le prix «3R» de l’UNIGE connaît un succès sans précédent

L’édition 2022 devra départager huit publications scientifiques appliquant les critères des 3R qui visent à réduire, raffiner et remplacer l’expérimentation animale. C’est deux fois plus que d’habitude.

 

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Animalerie à l'UNIGE. Image: O. Zimmermann


L’appel à candidatures pour le prix 3R de l’Université de Genève, qui vise à valoriser des travaux de recherche permettant de réduire le nombre d’animaux, de raffiner les méthodes d’utilisation et de remplacer autant que possible les modèles animaux dans l’expérimentation scientifique, a récemment été clôturé. Et c’est un nombre record de huit dossiers qui ont été retenus pour l’édition 2022, soit près de deux fois plus que la moyenne des années précédentes. Cette soudaine hausse de l’intérêt de la communauté scientifique genevoise pour ce sujet est particulièrement bienvenue alors que se profile la votation fédérale du 13 février sur l’initiative populaire «Oui à l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine», un texte auquel s’oppose officiellement l’Université de Genève.

 

Toutes les institutions publiques de recherche académique et les hôpitaux universitaires de Suisse mettent d’ailleurs en garde contre les conséquences de son acceptation dans les urnes. Selon une déclaration commune parue sur le site de l’organisation faîtière des hautes écoles suisses swissuniversities, l’initiative constitue «un frein au progrès, à l’innovation et à la formation en sciences et technologies du vivant en Suisse. [Elle] entraînerait de facto une interdiction de la médecine et de la recherche, et empêcherait notamment la recherche biomédicale et l’usage de nouveaux traitements médicaux. La qualité élevée des soins de santé et la recherche responsable menée en Suisse pour le bien de la population et de l’environnement sont ainsi mises en jeu.»

Mais si l’alma mater est contre la lettre de l’initiative – pour le moins radicale, de l’aveu même de ses auteurs/trices –, elle tient également à montrer qu’elle est sensible à son esprit. L’Université de Genève est ainsi sur le point de signer le Swiss Transparency Agreement on Animal Research (Staar), un accord par lequel elle s’engage, plus encore que ce qu’elle fait déjà, à communiquer auprès du grand public sur ses activités en matière d’expérimentation animale. Dans ce contexte, le succès que remporte le prix 3R cette année (lire aussi la présentation des projets ci-dessous) n’a pas manqué de réjouir les autorités de l’institution et, en particulier, Daniele Roppolo, nouveau directeur de l’expérimentation animale de l’Université de Genève et instigateur du prix d’un montant de 5000 francs dont le lauréat devrait être désigné d’ici au mois d’avril. Interview.

LeJournal de l’UNIGE: Que pensez-vous du succès du prix 3R de l’Université de Genève cette année?
Daniele Roppolo: J’ai été très agréablement surpris par le nombre et la qualité des publications déposées.

Comment l’expliquez-vous?
On considère encore trop souvent que les critères des 3R sont un domaine à part alors qu’en réalité, c’est un principe qui devrait être intégré dans tous les domaines de recherche concernés par l’expérimentation animale, que ce soit en neurosciences, sur le cancer ou encore sur les maladies vasculaires. Pour remédier à ce biais, nous avons innové cette année en organisant une campagne de communication un peu plus «agressive», visant directement le lieu de travail des chercheurs et des chercheuses des Facultés des sciences et de médecine qui sont celles où l’expérimentation animale est pratiquée. Nous avons demandé et reçu l’aide des services de communication des facultés en question qui ont relayé l’information sur les réseaux sociaux et ont placardé des dizaines d’affiches dans les couloirs fréquentés par celles et ceux qui sont concerné-es par l’expérimentation animale. À cela s’ajoute la refonte de notre site Internet dans lequel nous avons intégré des présentations de groupes de recherche dont les travaux appliquent les critères 3R, ce qui nous a amené-es à prendre contact avec beaucoup d’entre eux. Ces démarches ont certainement participé au succès du prix 3R cette année. Mais ce n’est pas tout. Il faut savoir que les scientifiques sont tenu-es d’expliquer comment le principe des 3R est intégré dans leur projet lors de la préparation d’une nouvelle demande d’autorisation à pratiquer des expériences sur des animaux. Notre service les relit toutes et les soumet aux autorités cantonales. Nous avons donc sollicité directement des scientifiques qui ont particulièrement innové en matière de 3R et ont publié leurs résultats – elles/ils sont donc éligibles pour concourir – mais qui ne s’en sont pas forcément rendu compte.

Ce succès traduit-il un changement de mentalité de la part des chercheurs/euses, une sensibilité plus grande pour la cause animale?
Je ne pense pas que l’on assiste à un changement de mentalité dans la mesure où la sensibilité pour la cause animale existe déjà chez nos chercheurs et chercheuses. Ce qui change, c’est qu’on leur donne la possibilité de s’exprimer sans les accuser de maltraitance envers les animaux et en valorisant les résultats scientifiques qu’ils et elles ont obtenus grâce à l’expérimentation animale. Nous savons qu’ils/elles en utilisent dans leurs expériences et en respectant la loi. Nous leur demandons simplement comment ils/elles agissent de manière à améliorer la situation des animaux. En posant la question de cette façon, nous obtenons des réponses positives et nous voyons émerger des travaux qui non seulement respectent les principes des 3R, mais peuvent en outre être utilisés par d’autres équipes de l’UNIGE.

L’expérimentation animale est-elle une solution de facilité?
L’expérimentation animale prend beaucoup de temps, elle est très chère et très réglementée. La procédure pour obtenir l’autorisation de mener des expériences sur des patient-es humain-es est beaucoup plus simple que celle pour utiliser les animaux. De plus, selon la loi, 20% des expériences autorisées doivent être contrôlées. Étant donné que chaque groupe mène au moins trois ou quatre projets de front, il est quasiment sûr qu’une équipe est contrôlée régulièrement. Tout ça pour dire que si le/la chercheur-euse choisit cette option, c’est parce qu’elle va vraiment l’aider à trouver une réponse à sa question scientifique.

Les 3R signifient réduire, raffiner et remplacer. Le but est-il de renoncer?
Le but est de garder une recherche de haute qualité, innovante et répondant aux besoins de la société. Les maladies liées au vieillissement comme le cancer, caractéristiques de notre société, sont aujourd’hui très étudiées et l’utilisation d’animaux reste indispensable pour progresser. Et même s’il existait des solutions qui nous permettraient de nous passer de l’expérimentation animale pour résoudre toutes nos questions scientifiques actuelles, il se pourrait que dans quelques années en émerge une nouvelle qui exigerait d’y recourir de nouveau. L’épidémie de SARS-CoV-2 montre bien à quel point la réalité scientifique peut changer rapidement.

Même si l’initiative devait être rejetée le 13 février, le débat sur l’expérimentation animale ne va pas pour autant s’arrêter. Que faudrait-il faire pour qu’il soit plus constructif que la seule confrontation entre le pour et le contre?
Le débat public sur cette question est indispensable et très utile. Il a permis de changer de nombreuses pratiques, de canaliser plus de financements vers les expériences respectant les principes des 3R, de forcer la réflexion chez les chercheuses et chercheurs, etc. Ce qui manque, à mon avis, c’est une meilleure information sur le but de l’expérimentation animale, un meilleur dialogue entre la communauté scientifique et le grand public. Les scientifiques devraient encore mieux expliquer quel est leur travail et quel en est l’objectif, afin d’enrichir le débat. C’est ce que l’Université de Genève s’est engagée à faire notamment avec la refonte du site Internet, qui contient désormais de manière très accessible toutes les informations qu’il est possible de demander. La signature de l’accord Staar va dans le même sens.

Le public doit mieux comprendre les scientifiques, mais est-ce que les scientifiques entendent les revendications des mouvements de défense des animaux?
Nous les entendons. Ils ont par exemple – et c’est une bonne chose – le droit de participer aux commissions cantonales qui évaluent nos demandes d’autorisation à pratiquer l’expérimentation animale. Ils peuvent ainsi faire entendre leur point de vue. Plus concrètement, je pense que la communauté scientifique a déjà entendu certaines revendications, par exemple celles concernant le choix des espèces. Le fait que l’on n’utilise quasiment plus d’animaux domestiques ou de primates est certainement une réponse à la pression de la société. Il est donc important d’écouter l’avis du grand public et de s’adapter si l’on peut obtenir les mêmes réponses scientifiques avec d’autres espèces ou des méthodes alternatives.

Les huit projets candidats au prix 3R de l'UNIGE

 


Chaque gène impliqué dans le développement embryonnaire est contrôlé par plusieurs séquences ADN qui jouent le rôle d’interrupteurs. La perte de l’un d’eux peut avoir un effet minime sur le gène mais peut entraîner des pathologies congénitales. Dans un article paru le 13 décembre 2021 dans la revue Nature Communications, Guillaume Andrey, professeur assistant au Département de médecine génétique et développement (Faculté de médecine), et son équipe ont montré que la suppression d’un seul interrupteur du gène Pitx1, impliqué dans le développement des jambes, augmente la proportion de cellules qui ne l’active pas de 10 à 20% et conduit à un pied bot. Pour ce faire, les auteurs ont utilisé et amélioré une ancienne technique dite de l’«agrégation tétraploïde» qui consiste à fusionner des cellules d’embryons avec des cellules souches génétiquement modifiées. Cette approche a permis de diviser par 5 le nombre de souris nécessaires à la réalisation de l’expérience par rapport aux méthodes classiques.


Les mécanismes moléculaires précis de l’infection du système nerveux central par le virus de la polio restent mal compris notamment en raison de limitations imposées par les modèles animaux. Ces derniers ne permettent pas, en effet, de reproduire avec précision les spécificités de l’infection dans le cerveau humain. Dans un article paru le 6 janvier 2021 dans la revue Frontiers in Cell and Developmental Biology, Karl-Heinz Krause et Erika Cosset, professeur et chercheuse au Département de pathologie et immunologie (Faculté de médecine), en collaboration avec Caroline Tapparel, professeure associée au Département de microbiologie et médecine moléculaire (Faculté de médecine), décrivent comment, en utilisant un modèle in vitro de tissu dérivé de cellules souches embryonnaires semblable au cerveau humain (un organoïde), l’équipe a pu décrypter avec succès certains mécanismes et événements moléculaires nouveaux qui suivent l’infection virale. Et ce, sans recourir à la participation d’animaux.


Quelques mois après sa naissance, toutes les écailles du lézard ocellé sont vertes ou noires. Ensuite, les écailles individuelles passent d’une couleur à l’autre et génèrent progressivement un motif labyrinthique de chaînes d’écailles vertes et noires. Ce processus naturel correspond à un système de calcul théorique imaginé par le mathématicien John von Neumann et appelé «automates cellulaires». Par ailleurs, on sait que les motifs de la peau, comme les rayures des zèbres ou les taches des guépards, émergent d’interactions microscopiques entre cellules pigmentaires, un processus très bien décrit par le mécanisme dit de la réaction-diffusion décrit par un autre mathématicien, Alan Turing. Dans un article paru le 23 avril 2021 dans la revue Nature Communications, Michel Milinkovitch, professeur au Département de génétique et évolution (Faculté des sciences), et Anamarija Fofonjka, doctorante dans son laboratoire, montrent que, chez le lézard ocellé, la géométrie de la peau (épaisse au milieu des écailles et très mince entre les écailles) transforme un mécanisme de Turing en un automate cellulaire, reliant deux concepts distincts et deux domaines des mathématiques. Basée sur des méthodes de simulations informatiques, cette recherche n’a demandé qu’une biopsie (peu invasive) sur un seul animal.


La pathophysiologie de l’anévrisme intracrânien, qui touche entre 1 et 5% de la population, est mal connue et son évolution difficile à prévoir. Une fois l’anévrisme formé, la couche interne des artères cérébrales, qui est composée de cellules endothéliales, peut être exposée selon le cas de figure à des forces de frottement faibles, normales ou élevées. Dans un article paru le 14 octobre 2021 dans Frontiers in Physiology, Sandrine Morel, chercheuse au Département de pathologie et immunologie (Faculté de médecine), et son équipe présentent une étude qui permet pour la première fois une comparaison directe (c’est-à-dire dans les mêmes cellules) de l’expression génique des cellules endothéliales en réponse à des flux physiologiques et pathologiques. Ces résultats contribuent à la compréhension de la pathogenèse des anévrismes intracrâniens et à la prédiction de leur rupture. En utilisant des dispositifs d’écoulement in vitro, cette étude remplace les animaux de laboratoire par des cultures de cellules. De plus, les cellules endothéliales primaires ont été isolées à partir d’artères coronaires provenant d’un abattoir voisin et ne nécessitant donc pas l’utilisation d’animaux de laboratoire.


Les formes les plus répandues de perte auditive (qui touchent 5% de la population humaine) résultent d’une prédisposition génétique, d’un traumatisme sonore, d’une perte auditive liée à l’âge, de certaines maladies et de médicaments dits ototoxiques (toxiques pour l’oreille interne). Parmi ces derniers, le cisplatine, une chimiothérapie largement utilisée pour traiter le cancer, provoque des pertes auditives irréversibles chez un-e patient-e sur cinq. Pour étudier ces effets secondaires, on utilise généralement des modèles de souris chez lesquelles ont induit l’ototoxicité par la cisplatine, ce qui provoque chez l’animal des atteintes hépatiques et rénales, une perte de poids et une morbidité importante. Dans un article paru le 14 juillet 2021 dans la revue Frontiers in Cellular Neuroscience, German Nacher Soler, assistant au Département de neurosciences cliniques (Faculté de médecine), et son équipe présentent un nouveau modèle animal adapté aux études précliniques des effets de la cisplatine sur l’audition tout en évitant les effets secondaires. Cette approche a permis notamment de réduire de manière importante le nombre d’animaux impliqués dans les expériences tout en permettant de mieux comprendre les effets secondaires de la chimiothérapie sur le système auditif et d’offrir des solutions aux patient-es.


Les neurones auditifs, qui relient les cellules ciliées sensorielles de l’oreille interne au tronc cérébral, sont des cibles intéressantes pour une intervention pharmacologique visant à protéger ou à améliorer la fonction auditive dans diverses formes de surdité. La recherche fondamentale dans ce domaine repose toutefois essentiellement sur l’expérimentation animale. Dans un article paru le 14 novembre 2021 dans la revue Hearing Research, Francis Rousset, maître-assistant au Département de pathologie et immunologie (Faculté de médecine), et son équipe montrent que l’utilisation d’un type de lignées cellulaires récemment développées, les phoenix auditory neuroprogenitors (ANPG), permet une évaluation à haut débit de médicaments candidats pour les surdités et représente une alternative robuste à l’expérimentation animale. Ces cellules ont la particularité de pouvoir se régénérer presque indéfiniment, elles sont facilement congelables et donc aisément conservables et transportables.


Le noyau suprachiasmatique (NSC), localisé dans l’hypothalamus, est connu comme l’horloge centrale du cerveau, nécessaire pour maintenir la synchronisation entre toutes les horloges biologiques périphériques situées dans les différents organes et coordonner ainsi la physiologie des mammifères. Dans un article paru le 18 février 2021 dans la revue Genes & Development, Flore Sinturel, maître-assistante au Département de physiologie cellulaire et métabolisme (Faculté de médecine) et son équipe montrent toutefois que, dans le foie, les hépatocytes restent synchronisés en l’absence du NSC. Cette découverte indique l’existence d’un couplage des oscillateurs circadiens dans les tissus périphériques, ce qui était auparavant controversé. Pour arriver à ce résultat, la chercheuse a utilisé une technologie d’imagerie par bioluminescence du corps entier qui permet l’enregistrement continu et en temps réel de l’expression génique chez des souris vivantes libres de leurs mouvements. Entre autres avantages, cette approche non invasive remplace le sacrifice répétitif d’animaux à différents moments du cycle circadien par le suivi continu d’un seul animal.


Naturellement très polyvalente, la bactérie Pseudomonas aeruginosa est un pathogène opportuniste. Elle est la cause d’un grand nombre d’infections aiguës et chroniques potentiellement mortelles et sa capacité d’adaptation et de résistance à de nombreux antibiotiques la rend de plus en plus difficile à traiter. Dans un article paru le 21 juin 2021 dans la revue Nucleic Acids Research, Martina Valentini, chercheuse au Département de microbiologie et médecine moléculaire (Faculté de médecine), et son équipe montrent que l’absence chez P. aeruginosa d’une protéine, l’hélicase RhlE2, a un impact significatif sur la virulence d’une infection par la bactérie. Elle pourrait donc représenter une cible médicamenteuse intéressante. Les travaux ont été menés sur un insecte, la fausse teigne de la cire (Galleria mellonella), dont la validité en tant que modèle expérimental alternatif aux mammifères a été démontrée.

 

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