27 janvier 2022 - UNIGE

 

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Comment nos organes savent-ils quand arrêter de grandir?

Une équipe pluridisciplinaire a résolu par une équation mathématique le mystère de la mise à l’échelle d’un organe en fonction de la taille de l’animal.

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Le decapentaplegic participe à la formation des appendices (ailes, antennes, mandibules…) de la drosophile. Ce morphogène diffuse à partir d’une source localisée au sein du tissu en cours de développement puis forme des gradients de concentration décroissants. Image: DR

 

Le Paedocypris et le requin-baleine – le plus petit poisson et le plus grand vivants au monde – partagent un grand nombre de gènes et une même anatomie, avec des nageoires dorsales et caudales, des branchies ou encore un estomac et un cœur. Toutefois, chez le premier, ces organes sont 1000 fois plus petits que chez le second. Une équipe pluridisciplinaire, formée par le groupe de Marcos Gonzalez-Gaitan, professeur au Département de biochimie (Faculté des sciences), et des scientifiques de l’Institut Max-Planck pour la physique des systèmes complexes (MPIPKS), a pu déterminer par quel mécanisme les organes et les tissus du poisson miniature s’arrêtent de grandir très rapidement, contrairement à ceux de son cousin géant. Des travaux à lire dans la revue Nature du 22 décembre dernier.


Chez les êtres vivants, les cellules des tissus en développement prolifèrent et s’organisent sous l’action de molécules de signalisation, les morphogènes. Par exemple, chez la drosophile, plus connue sous le nom de mouche du vinaigre, c’est le decapentaplegic (DPP) qui participe à la formation de ses 15 appendices (ailes, antennes, mandibules…). Ce morphogène diffuse à partir d’une source localisée au sein du tissu en cours de développement puis forme des gradients de concentration décroissants au fur et à mesure qu’il s’éloigne de sa source. Lors d’études précédentes, le groupe de Marcos Gonzalez-Gaitan avait montré que ces gradients s’étendaient sur une zone plus ou moins grande selon la taille du tissu en formation. Ainsi, plus la zone de propagation du gradient de DPP est réduite, plus le tissu sera petit. Et plus le gradient de DPP s’étend sur une large zone, plus le tissu sera grand. Subsistait néanmoins la question de savoir comment l’étendue du gradient de concentration s’adapte à la taille du futur tissu/organe.

 

Une réponse multidisciplinaire

«L’approche originale de ces travaux est d’analyser ce qui se passe au niveau de chacune des cellules plutôt que de placer les observations à l’échelle du tissu», commente Marcos Gonzalez-Gaitan. Les scientifiques ont ainsi mis au point une batterie d’outils sophistiqués pour suivre très précisément – via des techniques de microscopie quantitative – le devenir de la molécule DPP. «Ces outils nous ont permis de définir une multitude de paramètres pour ce morphogène, liés à des processus cellulaires, explique Maria Romanova, chercheuse au Département de biochimie et première auteure de cette étude. Nous avons par exemple mesuré l’efficacité avec laquelle il se fixe aux cellules, pénètre à l’intérieur, est dégradé ou encore recyclé avant de diffuser à nouveau vers d’autres cellules.»

Les scientifiques ont collecté ces données chez des mouches normales et chez des mouches mutantes dont les organes ne se développent pas à la bonne échelle. Ils ont découvert que ce sont ces différentes étapes de transport qui définissent l’étendue du gradient. Ainsi, dans un petit tissu, la molécule DPP est principalement transportée par diffusion entre les cellules. Sa concentration chute donc assez rapidement autour de sa source en raison de sa dégradation, ce qui engendre un gradient étroit. A contrario, dans les tissus plus grands, les molécules DPP qui ont pénétré à l’intérieur de cellules sont recyclées, ce qui permet d’étendre le gradient sur une zone plus grande.

«Nous avons pu proposer un modèle sans aucun biais sur le transport des morphogènes, en établissant les équations mathématiques clés des mécanismes de mise à l’échelle», s’enthousiasme Maria Romanova.

La combinaison de la physique théorique et des approches expérimentales, établie à partir de l’étude de la molécule dpp chez la drosophile, peut être généralisée à d’autres molécules impliquées dans la formation de divers tissus en développement. «Notre approche singulière et multidisciplinaire nous permet d’apporter une réponse universelle à une question fondamentale qu’Aristote se posait déjà il y a 2500 ans: comment l’œuf sait-il quand il doit arrêter sa croissance pour donner naissance à une poule?» conclut Marcos Gonzalez-Gaitan.

 

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