17 avril 2023 - Anton Vos

 

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«La non-adhésion aux traitements coûte 125 milliards d’euros par année à l’Europe»

L’UNIGE a participé à l’élaboration d’un «policy brief» dont les recommandations visent à soutenir le développement dans toute la Suisse de programmes de soutien à l’adhésion des patientes et des patients aux médicaments.

 
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La non-adhésion aux traitements antidiabétiques, antihypertenseurs et contre le taux élevé de lipides dans le sang est responsable d’au moins 200’000 décès chaque année en Europe. Image: DR


Jusqu’à 50% des patientes et des patients n’adhèrent pas au traitement de longue durée qui leur est prescrit, que ce soit en prenant leurs médicaments de façon inappropriée, en arrêtant le traitement plus tôt que prévu ou en ne le commençant pas. Cette réalité engendre un problème de santé publique majeur, néanmoins méconnu. Pour y faire face, des représentant-es de toutes les parties prenantes au problème ont publié un article le 12 août dernier dans l’International Journal of Public Health ainsi qu’un policy brief comprenant des recommandations de recherche visant à promouvoir le développement de programmes nationaux de soutien à l’adhésion thérapeutique. Explications avec l’une des premières autrices du document, Carole Bandiera, doctorante à la Section des sciences pharmaceutiques (Faculté des sciences).


Le Journal: Quelle est l’ampleur du problème de la non-adhésion thérapeutique?
Carole Bandiera:
La non-adhésion aux médicaments est endémique. Bien que les trois quarts des patient-es commencent les traitements qui leur sont prescrits, 30 à 50% d’entre eux/elles les prennent partiellement et plus de 50% les arrêtent au cours des deux premières années en raison de différentes difficultés rencontrées comme la lassitude vis-à-vis du traitement ou de ses effets secondaires. La prise médicamenteuse peut ne pas être optimale, parfois, même dans des pathologies engageant le pronostic vital telles qu’une chimiothérapie orale contre le cancer ou certaines prescriptions évitant le rejet d’un organe greffé. La non-adhésion augmente le risque d’une aggravation de la maladie et, par conséquent, d’une dégradation de la qualité de vie. Selon des études internationales menées sur ce sujet, la non-adhésion aux traitements antidiabétiques, antihypertenseurs et contre le taux élevé de lipides dans le sang est responsable d’au moins 200’000 décès et engendre un coût supplémentaire de 125 milliards d’euros chaque année en Europe. Santésuisse, la principale organisation représentant les assureurs maladie, estime qu’une adhésion médicamenteuse plus largement respectée permettrait de diviser les coûts de la santé par 4.

Comment est née l’idée de rédiger un «policy brief» sur l’adhésion thérapeutique?
Elle est née à la suite de la création en 2020 d’Enable, le Réseau européen pour l’avancement des meilleures pratiques et de la technologie sur l’adhésion aux médicaments, dans le cadre de la Coopération européenne dans le domaine de la recherche scientifique et technique (COST) dont la Suisse est partenaire, au travers des groupes de recherche de Marie-Paule Schneider, professeure associée à la Section des sciences pharmaceutiques (Faculté des sciences) et de Sabina De Geest, professeure à l’Université de Bâle. En mars 2022, la section suisse d’Enable a réuni toutes les parties prenantes capables d’influencer les pratiques visant à améliorer l’adhésion médicamenteuse des patient-es.

Qui sont ces parties prenantes?
La séance a regroupé 75 personnes représentant les patient-es, les proches aidant-es, les professionnel-les de la santé, les pharmacies communautaires, les organisations professionnelles, les associations de patient-es, les décideurs/euses politiques, les industries pharmaceutiques et technologiques, ainsi que les universités.

Qu’est-il sorti de cette rencontre?
Elle a d’abord donné lieu à l’article de l’International Journal of Public Health qui met en lumière les stratégies possibles visant à implémenter des programmes de soutien de l’adhésion médicamenteuse en Suisse. Celles-ci pourraient influencer les pratiques en Europe également. Actuellement, il existe très peu de programmes en Suisse. Les plus avancés en pratique ambulatoire de premier recours en Suisse romande sont ceux proposés par la pharmacie d’Unisanté (le Centre universitaire de médecine générale et santé publique, Université de Lausanne) et par Pharma24, la pharmacie située à la sortie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) dont la direction scientifique est assurée par Marie-Paule Schneider, qui est aussi la directrice de la thèse que j’ai consacrée au thème de l’adhésion médicamenteuse des patientes et des patients chroniques.

En quoi consistent ces programmes?
Ils comprennent des rencontres mensuelles entre les pharmacien-nes et les patient-es, l’utilisation d’un pilulier digital interactif, des entretiens motivationnels et des échanges interprofessionnels avec les médecins et les infirmiers/ères. Nous avons pu montrer que ces programmes structurés, définissant les rôles et les responsabilités de chaque partenaire incluant les patient-es et leurs proches, permettent d’améliorer significativement la gestion des médicaments et les connaissances sur les médicaments et donc l’adhésion médicamenteuse. L’objectif, en rédigeant ce policy brief, consiste désormais à créer les conditions favorables pour que ces pratiques puissent être diffusées plus largement dans le pays.

Plus concrètement, que propose le «policy brief»?
En résumé, il recommande de développer, d’évaluer, de mettre en œuvre et de maintenir rigoureusement des programmes nationaux visant à construire l’adhésion médicamenteuse en partant des besoins et des possibilités des patient-es et de mener des recherches sur ces initiatives afin que, à terme, le soutien de l’adhésion médicamenteuse soit reconnu comme un standard des soins ambulatoires suisses. Il propose d’intégrer la problématique dans les cursus universitaires prégradué et postgradué afin de préparer les futur-es professionnel-les de la santé, mais aussi de faire le lit pour un changement de paradigme permettant d’inclure les sciences du comportement aux sciences cliniques. Il préconise aussi d’augmenter le soutien financier pour ces différentes recherches et pour l’implémentation des programmes, notamment par le Fonds national suisse de la recherche et par l’Office fédéral de la santé publique. Il prône enfin de favoriser les collaborations interprofessionnelles de tous et toutes les acteurs/trices du médicament incluant la participation active des patient-es dans le processus de manière à évoluer vers un système de soins de santé intégré dans lequel la patiente et le patient sont de véritables partenaires.

Quelle sera la prochaine étape?
L’objectif est de diffuser le policy brief le plus largement possible auprès de tous/tes les professionnel-les de la santé (médecins, pharmacien-nes, infirmier-ères, diététicien-nes, psychologues, sages-femmes, physiothérapeutes, etc.), des chercheurs/euses, des décideurs/euses politiques, des financeurs, des assureurs/euses, des industriel-les, etc. Il s’agit aussi de sensibiliser le grand public à cette problématique dont on parle peu mais qui nous concerne tous.

 

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