23 février 2023 - Rachel Richterich

 

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Avec Yoma, l’UNIGE teste la science citoyenne sur le terrain

Un programme piloté par l’Unicef vise à encourager de jeunes Africain-es à innover pour la résilience climatique. L’Université de Genève est chargée de mener le volet de recherche du projet.

 
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Cartographier précisément les difficultés d’accès à l’eau potable au Nigeria permettra de chiffrer concrètement les besoins, des données nécessaires pour y répondre. Image: R. N. Mayer


Pour convaincre de financer une solution, encore faut-il démontrer qu’il existe un problème et pouvoir mesurer son ampleur. Et pour cela, pourquoi ne pas mobiliser de jeunes innovateurs et innovatrices qui y sont directement confronté-es? C’est ce processus que s’efforce de faciliter le projet Yoma, né sous l’impulsion de l’Unicef et duquel l’Université de Genève est partenaire. Cette plateforme, destinée à des jeunes de plusieurs pays africains, vise à trouver des réponses très concrètes aux grands enjeux sociaux et environnementaux de notre époque, tout en mobilisant des compétences numériques. À Genève, on cherche à y intégrer la participation publique. C’est l’objectif du volet de «recherche opérationnelle» conduit au Citizen Cyberlab, laboratoire au CUI (Centre universitaire d’informatique) pour la science citoyenne mené par le professeur François Grey de la GSEM (Geneva School of Economics and Management). Entretien.


LeJournal: En quoi consistent les projets concrets que vous dirigez?
François Grey:
En l’occurrence, il s’agit de projets développés par de jeunes Africain-es qui utilisent des outils numériques (conçus pour la science citoyenne) afin d’apporter des réponses liées à la résilience climatique. Par exemple, en vue de collecter des données permettant de cartographier précisément les difficultés d’accès à l’eau potable dans des régions affectées par la sécheresse au Nigeria. Ce n’est qu’en ayant une vision précise du problème que l’on peut identifier et chiffrer concrètement les besoins pour y répondre. À partir de là, il devient possible de sensibiliser les gouvernements, les ONGs et les entreprises et de leur demander du financement.

Il existe pléthore de programmes visant à répondre à la crise climatique. Qu’est-ce qui fait la spécificité de Yoma?
Quantité de projets sont conçus dans les pays du Nord avant d’être transposés dans des régions du Sud, davantage touchées par la crise climatique. Mais ils sont longs à mettre en œuvre et parfois peu adaptés aux besoins locaux. Avec Yoma, on fait en sorte que l’innovation vienne du terrain en proposant des solutions conçues par les personnes qui sont directement confrontées aux problématiques auxquelles on cherche à répondre.

Comment les projets sont-ils sélectionnés?
Nous testons depuis trois ans maintenant un modèle de formation en ligne pour la résilience climatique à travers le projet européen Crowd4SDG que mène aussi l’UNIGE. Dans celui-ci, on collabore avec Goodwall, un spin-off de l’UNIGE et une plateforme de médias sociaux sur laquelle des jeunes de tous horizons présentent leur projet en une vidéo courte dans le style de TikTok. C’est de cette formation en ligne que viennent les équipes de jeunes innovateurs/trices sélectionné-es pour Yoma.

De quelle manière ces projets sont-ils accompagnés?
Certain-es de ces jeunes seront présent-es le 16 mars au CERN. Ceci, dans le cadre du Geneva Trialogue, un événement organisé avec Unitar et qui sert de coup d’envoi pour le festival d’innovation Open Geneva. À l’issue du trialogue, ces équipes seront mises en contact avec les bons partenaires pour incuber et financer leurs projets. Entre autres grâce au réseau Building Bridges conçu par la Genève internationale et la place financière pour le financement durable. Parmi les sélectionnés figure le projet pour l’accès à l’eau au Nigeria, qui vise plus spécifiquement à attester de l’état souvent délabré des pompes à eau mécaniques. Le but est que dans les neuf mois à venir, leur prototype d’appli soit utilisé par des jeunes dans les communautés affectées pour cartographier la région en termes de ressources en eau. Notre projet les aidera à mesurer la qualité de ces données, puis à encourager les autorités locales et nationales ainsi que des ONGs et des entreprises à investir dans des pompes à eau, là où le besoin est le plus marqué.

Vous avez mis en place une forme de rémunération originale pour les participant-es qui recueillent des données. Pouvez-vous en dire deux mots?
Ils et elles reçoivent des zltos, une monnaie dématérialisée créée par des jeunes chez RLabs en Afrique du Sud, un des partenaires du projet. Sur la plateforme Yoma, les jeunes peuvent échanger leurs zltos contre des opportunités de se former dans le numérique, par exemple pour obtenir un certificat pour des cours suivis sur Coursera (une plateforme de MOOCs utilisée par l’UNIGE qui propose des cours gratuits mais dont les certificats sont en principe payants, ndlr). L’idée est d’avoir un retour économique à travers une amélioration des connaissances: pouvoir inscrire une telle formation sur son CV est un atout majeur.

Comment s’assurer que ces projets auront un impact durable?
Notre objectif, c’est de développer un cycle d’innovation qui peut par la suite être transposé facilement par d’autres universités dans les pays du Sud. Nous collaborons avec le Citizen Science Africa Association (CitSci Africa) afin d’identifier des partenaires locaux qui pourront incuber les projets nés de notre formation en ligne. CitSci Africa fait partie d’un «réseau de réseaux» pour la science citoyenne, le Citizen Science Global Partnership, que l’UNIGE a cofondé il y a quelques mois, et qui sera aussi représenté au Geneva Trialogue. Nous avons aussi invité à cet événement des expert-es du financement, des institutions philanthropiques et des expert-es de la Commission européenne pour réfléchir avec ces jeunes à la manière de pérenniser ces efforts.

 

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