16 décembre 2021 - Melina Tiphticoglou

 

Vie de l'UNIGE

Cinquante ans de mobilisation étudiante

La CUAE, association faîtière et syndicat des étudiant-es de l’UNIGE, fête un demi-siècle d’existence. À cette occasion, elle invite ses ancien-nes membres à reconstituer une histoire faite d’amitié et de militantisme.

 

 

occupation-bureau-recteur-mars-1969_J-Mohr-Geneve-600dpi.png

Occupation du bureau du Recteur, mars 1969. Photo: J. Mohr, Genève


La Conférence universitaire des associations d’étudiant.e.x.s (CUAE) célèbre cette année les 50 ans de son existence. Après quelques rendez-vous au printemps (soirées de discussion) et à l’automne (exposition itinérante), l’association s’est attelée à retracer son histoire avec l’aide de Frédéric Deshusses, archiviste et ancien membre de son comité. Sur la base des archives versées à l’Université, un premier fascicule a été rédigé. Mais l’association souhaite encourager une approche plus participative et en appelle à la contribution des ancien-nes pour poursuivre ce travail de mémoire d’ici au printemps prochain (cuae(at)unige.ch).

 

D'abord un interlocuteur stable
Ce que l’on sait d’ores et déjà, c’est que si la CUAE a choisi cette année pour célébrer ses 50 ans, le moment exact de sa fondation demeure difficile à fixer avec précision. On le situe entre 1969 et 1971, date à laquelle sont approuvés ses premiers statuts. «À cette époque, le Rectorat manifeste le besoin de bénéficier d’un organisme interlocuteur stable représentant les étudiant-es, ce qui n’est plus le cas depuis la dissolution de l’Association générale des étudiant-es (AGE) au début de l’année 1969, explique Frédéric Deshusses. Les premiers procès-verbaux décrivent un groupe d’étudiant-es qui discute avec le Rectorat. C’est seulement au bout de cinq ou six séances que quelqu’un s’avisera de l’aspect judicieux d’écrire des statuts.» Le changement majeur réside dans la participation qui n’est pas rendue obligatoire contrairement à l’AGE, à laquelle étaient affilié-es toutes les étudiantes et tous les étudiants de manière automatique, selon un modèle corporatiste encore en vigueur à Berne ou à Fribourg. «C’est une forme relativement rare, commente Taline Garibian, membre du comité de 2005 à 2011 et aujourd’hui maître-assistante à la Maison de l’histoire. L’association exerce en relative indépendance et représente ses membres, ce qui lui donne du poids pour défendre des positions parfois assez radicales. Chose qu’elle fait d’ailleurs avec une certaine efficacité.»

Une naissance au cœur de Mai 1968
L’association naît donc en plein cœur des mouvements contestataires issus de Mai 1968. Comme le rappelle l’un de ses membres fondateurs: «À l’époque, ça bouge beaucoup, ça chauffe, les oppositions sont très vives.» Pourtant, la CUAE ne revêt pas tout de suite le caractère contestataire qu’on lui connaît aujourd’hui. Jusqu’en 1973, elle sera l’organe représentatif des étudiant-es, date à laquelle elle perd cette fonction suite à l’entrée en vigueur de la loi sur l’Université qui conduit à la création de conseils de facultés et d’un conseil de l’Université. Les années qui suivent sont marquées par de vives tensions autour de la participation à ces organes nouvellement créés. C’est dans ce contexte que Sabine Estier Thévenoz, actuellement responsable du programme 1h par m2 à l’UNIGE, s’engage au comité afin de défendre une représentation étudiante dans ces organes. «À l’époque, nous avions à cœur d’apporter le point de vue étudiant dans ces instances», se rappelle-t-elle. Guy Mettan, membre du comité de 1976 à 1979, aujourd’hui journaliste et homme politique, se souvient également des débats à ce sujet: «Il y avait une frange à gauche qui s’opposait farouchement à l’idée de présenter une liste, avec le slogan ‘Participation, piège à cons’. Ça a été débattu au début, puis c’est vite entré dans les mœurs.» En effet, dès les élections de 1977, la CUAE participera à la constitution d’une liste étudiante et elle continuera à le faire pratiquement sans interruption jusqu’à aujourd’hui.

Tremplin vers le journalisme
L’année 1977 marque également la création du journal Courants, le journal étudiant d’information et d’opinion sous l’impulsion de Guy Mettan. «Lorsque je suis arrivé, on publiait une petite feuille ronéotypée, Info CUAE, se remémore-t-il. Je l’ai transformée en un journal auquel nous avons donné le nom de Courants, avec un ‘s’ pour marquer la pluralité des opinions.» L’édition, qui a perduré jusqu’en 2011, jouissait d’une assez large autonomie au sein de l’association et semble avoir été un bon tremplin vers le journalisme. Mona Chollet, cheffe d’édition au Monde diplomatique, Serge Guertchakoff, journaliste économique, Benito Perez, journaliste au Courrier, ou Darius Rochebin journaliste à la RTS jusqu’en 2020, sont notamment passés dans ses rangs.

Combats politiques et sociaux
Au cours des années 1970, l’université est très politisée. «Il y avait beaucoup de mouvements d’extrême gauche – des trotskistes, des maoïstes, des communistes, des libertaires –, quelques mouvements de droite, ainsi qu’une faction catholique de gauche proche des étudiant-es en lettres, raconte Guy Mettan. Plusieurs de ces groupes étaient représentés au comité de la CUAE, cela déclenchait des débats idéologiques parfois assez forts.» Ces mouvements disparaîtront dans les années 1980, mais les prises de position politiques de l’association continueront de susciter d’importants débats en son sein. En vue d’apaiser la situation, son comité énonce, en 1981, cinq axes susceptibles de «diriger les prises de position de la CUAE sur les sujets extra-universitaires»: défense du droit à l’éducation, défense du droit au travail, défense des droits démocratiques, défense des intérêts des étudiant-es et solidarité internationale.

L’association semble acquérir son esprit contestataire au cours de ces mêmes années. «À la fin de la décennie 1980, la CUAE vit une période de creux, détaille Frédéric Deshusses. Elle en sortira grâce à l’engagement de personnes proches du Parti socialiste, dont Sami Kanaan, actuellement conseiller administratif en ville de Genève, qui vont porter une vision politique plus large et pousser l’association vers des prises de positions politiques dépassant le cadre universitaire.» Il sera, entre autres, question de l’augmentation constante du nombre d’étudiant-es et des conditions matérielles de l’accès aux études. À cette époque, Genève est en manque chronique de logements – une problématique qui ne se limite pas aux étudiant-es –, et le problème deviendra l’un des chevaux de bataille de l’association. En 1986, elle se mobilise et occupe l’auditoire central d’Uni Bastions. L’opération conduira à la création de La Ciguë, démontrant ainsi la capacité d’action de l’association. La Ciguë, coopérative de logement pour personnes en formation, gère aujourd’hui près de 800 chambres.

Mesures économiques et globalisation
Au milieu des années 1990, l’augmentation des taxes universitaires – qui passent de 55 à 500 francs – suscite la mobilisation de la CUAE. Un épisode dont se souvient bien Jean-Luc Falcone, aujourd’hui chercheur au Département d’informatique de la Faculté des sciences. «Ces taxes étaient appelées taxes d’encadrement et devaient être assorties d’une augmentation du nombre d’assistant-es, explique le chercheur, mais dans les faits ce n’était pas le cas et la répartition de ces revenus était relativement obscure. Nous avons occupé le Département de l’instruction publique (DIP) et obtenu un canal privilégié avec lui. Au travers de réunions régulières rassemblant le DIP, le Rectorat et notre association, nous avons contraint l’Université à plus de transparence.»

Au nombre des mobilisations marquantes du XXIe siècle, la CUAE dénonce la procédure de Bologne et l’instauration des crédits universitaires en 2003. Elle s’oppose à la nouvelle loi sur l’université entre 2006 et 2008. En 2020, en pleine crise sanitaire, elle bloque symboliquement Uni Dufour pour demander que les examens du 1er semestre soient validés pour tout le monde. En novembre dernier, après dix jours d’occupation du Marx Café, la cafétéria d’Uni Mail, elle obtient que des repas à 5 francs soient proposés dès le mois de décembre dans les cafétérias universitaires pour toutes les étudiantes et tous les étudiants.

Investissement et attachement fort
Bien que les étudiant-es y fassent souvent de courts passages, «l’esprit CUAE» se transmet d’une génération à l’autre, assurant une certaine continuité au sein d’une association pour laquelle ses anciens membres semblent garder un fort attachement. «Je me souviens de m’être inscrite dès le premier jour de mes études, raconte Taline Garibian. Cela a été une expérience géniale au cours de laquelle j’ai partagé des moments de sociabilité et d’amitié fortes, en plus de la militance.» Pour de nombreuses personnes, cet engagement associatif marquera le début d’une carrière politique ou syndicale, comme ce fut le cas pour Jean-Luc Ferrière (Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs), Jamal Al-Amine (Syndicat suisse des mass media) ou de Quentin Stauffer (Syndicat des services publics).
 
Enfin, l’expérience se révèle souvent hautement formatrice: «S’engager, c’est apprendre à dialoguer avec les autres, à essayer de former des accords, à tenir bon dans des moments très houleux, confie un membre aux origines de l’association. C’est aussi une opportunité de donner des touches concrètes aux idéaux que l’on porte à cet âge.» Même son de cloche chez Sabine Estier Thévenoz: «Hier comme aujourd’hui, j’ai la conviction que nous sommes toutes et tous responsables du milieu dans lequel nous vivons et que notre tâche est de nous investir pour faire vivre les valeurs qui nous portent. Ce n’est pas forcément facile. Je me rappelle notamment qu’à l’époque, nous étions perçus comme ‘des oiseaux de passage’ par certain-es professeur-es qui tenaient à nous signaler par là que notre point de vue était moins pertinent que celui de celles et ceux qui portaient l’institution.»

La CUAE en bref
La Conférence universitaire des associations d’étudiant.e.x.s (CUAE) est à la fois un syndicat et une association faîtière. L’association se compose des associations d’étudiant-es et des groupes d’intérêt qui y sont affiliés, soit près de 50 structures. Elle convoque une assemblée générale et deux assemblées des délégué-es par semestre.

La CUAE en images

TaxesG8BologneRéformateursDiesTaxes-2Repas

 

Vie de l'UNIGE