Les participants et participantes du séminaire qu’elle a mis sur pied vont découvrir, tester et apprivoiser plusieurs outils, avant d’interagir avec eux pour produire une œuvre littéraire de leur choix. Le résultat de ces expériences sera présenté en janvier lors d’un cours ouvert au public. «Ce sera en langue allemande», prévient Christine Weder. En effet, son séminaire se concentre sur la rencontre entre la littérature allemande moderne et l’intelligence artificielle.
«À première vue, ces deux mondes semblent éloignés l’un de l’autre, car l’écriture littéraire est encore perçue comme un bastion de la créativité humaine, constate la professeure. Mais ChatGPT est désormais capable de générer des poèmes, des intrigues, des romans d’amour ou même des récits à la manière d’un auteur comme Kafka.» Une partie des cours sera dédiée à analyser la place de l’IA en tant que sujet de la littérature, et ce, pas uniquement dans des textes de science-fiction. «Les machines créatives qui remettent en question l’originalité humaine et l’autorité de l’auteur ou de l’autrice ont toujours été redoutées dans le monde de l’art», poursuit la spécialiste.
Certain-es ont toutefois très tôt embrassé cette opportunité. C’est le cas de Theo Lutz, qui a publié Stochastische Texte en 1959 – des poèmes écrits grâce à un programme informatique qui utilise des mots issus du roman Le Château de Franz Kafka –, ou encore de Hannes Bajohr, qui a utilisé le modèle de langage GPT-J pour générer le roman Berlin, Miami de 250 pages. Le séminaire animé par Christine Weder invite aussi à réfléchir à cette thématique à travers des textes littéraires plus anciens dont le célèbre poème de Johann Wolfgang von Goethe L’Apprenti sorcier, ou la nouvelle fantastique de E. T. A. Hoffmann L’Homme au sable.
Cette dernière, publiée en 1817, raconte «une expérience technosociale avec un automate, une femme artificielle qui semble vivante et qui s’exprime de manière limitée en se montrant systématiquement d’accord avec l’homme qui lui parle, raconte la professeure. Une méfiance générale s’installe dans la société et les femmes doivent alors prouver qu’elles sont réelles en adoptant un comportement conflictuel avec les hommes.»
La crainte d’être dupé-es par la machine, voire remplacé-es, n’est donc pas nouvelle. «Il existe même des traces de cette peur dans des mythes et récits de l’Antiquité», note-t-elle. Christine Weder ne croit cependant pas que le domaine de la production littéraire sera entièrement pris en main par les intelligences artificielles à l’avenir, car les auteurs et autrices éprouvent une certaine jouissance à écrire. Selon elle, la créativité humaine n’est pas appelée à disparaître, mais à collaborer davantage avec les intelligences artificielles.
«Aujourd’hui, remarque la professeure, les contenus générés sont encore imparfaits, remplis de clichés, mais ils permettent de donner une direction aux auteurs et autrices, de les bousculer, de leur proposer une autre possibilité scénaristique.» Ce séminaire comprend également une approche pratique, une sorte d’atelier de création littéraire durant lequel les élèves pourront expérimenter cette nouvelle relation entre l’humain et la machine dans l’écriture. «C’est ce que j’appelle une creative writing, ou uncreative writing en l’occurrence», s’amuse Christine Weder.
Pour ce faire, il n’existe pas que ChatGPT, mais toute une panoplie d’outils conçus spécifiquement pour la création littéraire comme Sudowrite, qui peut générer du nouveau texte, inventer la suite d’un écrit existant ou encore remanier le contenu d’une œuvre en tenant compte de nouvelles consignes. «Ces cours sont une possibilité d’apprendre ensemble, se réjouit Christine Weder. La relation humain-machine est un développement artistique contemporain intéressant à suivre. Ce que nous qualifions de littérature moderne remonte jusqu’au XVIe siècle. Avec cette thématique, nous serons pleinement dans le présent.»