Une soixantaine de questions ont été traitées au cours de cette année académique. Elles portaient principalement sur des thématiques liées à la répression pénale, telles que la possession et la consommation de drogue, les contrôles policiers et les arrestations ou encore les sanctions pénales. Des interrogations relatives à l’usage de l’espace public et à la vie avec des chiens ont également été prises en compte. En avril dernier, les 16 étudiant-es[1] de la clinique juridique ont livré leurs résultats lors d’une conférence. Ces derniers seront repris dans une brochure éditée à la fin du processus, c’est-à-dire d’ici un ou deux ans.
Politique des quatre piliers
En Suisse, c’est la loi fédérale sur les stupéfiants (LStup) qui réglemente l’utilisation de substances psychotropes. Depuis 1991, l’approche se fonde sur la politique des quatre piliers, adoptée par la Confédération après l’échec de la politique répressive des années 1980 qui avait notamment conduit à l’apparition de scènes ouvertes comme le Letten à Zurich. Prévention, thérapie, réduction des risques et répression doivent permettre de «minimiser la consommation de drogues et ses conséquences négatives pour les consommateurs/trices ainsi que pour la société». Si ces quatre mesures sont considérées comme complémentaires, sans ordre hiérarchique entre elles, il existe cependant une très grande inégalité dans les moyens financiers qui leur sont dédiés, constate le groupe d’étudiant-es. En effet, deux tiers des coûts des mesures liées aux drogues en Suisse seraient alloués au pilier de la répression. Les trois autres piliers, permettant pourtant de mettre en œuvre les dimensions sociale et médicale, se partagent le tiers des ressources restantes. Les étudiant-es relèvent donc que, malgré le changement de nom, la politique demeure aujourd’hui très largement axée sur la répression.
Exposition aux mesures policières
Une grande partie de leurs recherches ayant porté sur ce pilier répressif, l’équipe a analysé si et comment la prédominance de cet aspect dans le cadre juridique et les pratiques administratives marginalisait les personnes usagères de drogues. Premier constat: la consommation de stupéfiants relevant du droit pénal, ces personnes ont, de facto, toujours un lien avec une infraction. Cela les expose de manière accrue aux mesures policières (contrôle d’identité, fouille, saisie), et ce, d’autant plus qu’un soupçon vague suffit à justifier une telle mesure. Selon le Tribunal fédéral, fréquenter un lieu connu pour la consommation peut, par exemple, être une raison valable pour faire l’objet d’un contrôle en règle.
Les étudiant-es de la Law Clinic pointent également des flous juridiques qui contribuent à placer cette population dans des situations de vulnérabilité, citant l’exemple de la préparation de stupéfiants pour sa propre consommation, acte qui, en quantité minime, n’est pas punissable. Mais, à l’exception du cannabis dont la limite légale est fixée à 10 grammes, la LStup ne précise pas à combien s’élève cette quantité minime. Cette information est pourtant essentielle, puisque, selon la loi, cette dose ne peut être ni saisie ni confisquée par la police. L’équipe de la Law Clinic montre que les seuils fixés par les tribunaux cantonaux sont très disparates. Le canton de Bâle-Ville limite, par exemple, la quantité d’héroïne tolérée à 5 g et celle de la cocaïne à 2 g, alors que dans le canton des Grisons, ces seuils sont 10 à 50 fois inférieurs, soit respectivement de 0,1 g et 0,2 g. À Genève, aucun seuil n’est défini et la tolérance zéro semble s’y appliquer, en contradiction avec l’esprit de la loi.
Autre point relevé par les étudiant-es: le traitement réservé au micro-deal, soit le fait de vendre de petites quantités de stupéfiants pour assurer sa propre consommation. Acheter de la drogue n’est en effet pas équivalent aux yeux de la loi au fait d’en vendre. Se procurer des stupéfiants peut ainsi donner lieu à une amende, une peine moindre qui tient compte de la vulnérabilité de la personne consommatrice, tandis que la vente est punie par une peine privative de liberté. Dans leurs travaux, les étudiant-es pointent un double standard, qui, dans le cas du micro-deal, semble contradictoire puisqu’il s’applique à la même personne, laquelle, selon le cas, vend ou achète de la drogue.
L'addiction, une maladie chronique
Malgré la prédominance du volet répressif, les étudiant-es de la Law Clinic soulignent que la stratégie des quatre piliers a marqué un tournant majeur. La mise en place de programmes d’échange de seringues, la distribution de traitements de substitution comme la méthadone ou encore la prescription d’héroïne médicalisée témoignent d’une reconnaissance progressive de l’addiction comme maladie chronique nécessitant des soins. Les étudiant-es observent cependant que, dans la pratique, les personnes usagères de drogue se retrouvent souvent «coincées entre deux logiques: celle de la personne toxicomane criminelle et celle de l’individu ayant besoin de soins». Ce tiraillement est particulièrement visible lors de la garde à vue. Pour cette raison, ils et elles rappellent que, dans ces circonstances, toute personne usagère de drogue a le droit d’être examinée par un ou une médecin de son choix. Elle a également droit aux mêmes soins que dans sa vie quotidienne, comme dans le cas d’autres maladies chroniques.
Enfin, les étudiant-es ont abordé des aspects relatifs à la vie quotidienne des personnes usagères de drogue, comme la mendicité, le fait de dormir dans la rue, de se déplacer avec un véhicule ou de vivre avec des chiens. Au sujet de ces derniers, les témoignages attestent de l’importance qu’ils revêtent dans le quotidien de ces personnes, apportant présence et sécurité à une population souvent précarisée. Pour les propriétaires, l’enjeu est toutefois de répondre à une série d’obligations administratives afin de s’assurer que leurs animaux sont en règle, par exemple en les vaccinant ou en concluant une assurance responsabilité civile. Les étudiant-es ont aussi souligné que s’il existe des motifs de confiscation d’un chien, le simple fait d’être consommateur-trice de drogue n’en est pas un.
Les travaux de la Law Clinic se poursuivront dès septembre 2025. Ils porteront entre autres sur les interdictions de périmètre, la détention pénale, l’accès au logement et aux soins. Une nouvelle volée d’étudiant-es s’y attellera et les candidatures sont désormais ouvertes.
Voir la conférence
[1] Maya Asseo, Anaïs Blanchard, Fanny Bonaiti, Loubna Bouyadou, Thomas Bruchez, Léna Bruttin, Fatma Cam, Edina Desboeufs, Chloé Geoffray, Fanny Guéret, Valeria Orozco Salgado, Berfin Zeynep Özgür, Lucile Pats-Nougues, Issaro Solveig Pillionnel, Leïla Tschaler et Elio Zurbuchen