14 juin 2022 - Melina Tiphticoglou

 

Vie de l'UNIGE

«Aujourd’hui, les femmes d’Afghanistan ne font plus partie de la société»

Khadija Nader, 26 ans, a fui l’Afghanistan après la prise de pouvoir des talibans. Elle a rejoint l’Université de Genève il y a trois mois, avec l’aide du programme Horizon académique.

 

 

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Khadija Nader. Photo: J. Erard/UNIGE


«J’avais ma vie en Afghanistan: je faisais des études, j’avais un travail. Les talibans ont tout pris», raconte Khadija Nader. Le 15 août 2021, lorsque les fondamentalistes prennent le contrôle de Kaboul, cette jeune Afghane, comme des centaines d’autres étudiantes, voit sa vie basculer. Elle entamait le quatrième semestre d’un Bachelor en économie à l’Université américaine d’Afghanistan. Deux mois plus tard, elle est évacuée vers le Pakistan où elle se réfugie quatre mois avant de pouvoir s’envoler vers Genève grâce à un visa étudiant. «Dès septembre, nous avons été en contact avec elle, via un réseau d’ONG actives en Afghanistan avant l’arrivée des talibans, explique Mathieu Crettenand, responsable du programme Horizon académique de l’UNIGE. Nous l’avons soutenue dans ses démarches et une mécène a financé une bourse d’études, grâce à laquelle elle a pu obtenir son visa.»

La jeune femme est arrivée à Genève au début du mois de mars de cette année, sans aucune notion de français et en étant éloignée de sa famille, éparpillée aux quatre coins du monde – deux sœurs sont restées en Afghanistan, tandis que ses parents et une autre sœur sont réfugié-es au Canada. «Cela peut sembler difficile d’avoir 26 ans et de devoir tout recommencer à zéro, commente Khadija Nader, mais je me sens très chanceuse d’avoir cette opportunité et je suis pleine d’espoir.»

 

Ce nouveau départ est le deuxième que sa famille doit affronter. En 1996, alors que les talibans s’emparent du pouvoir pour la première fois, ses parents se réfugient en Iran. C’est là que Khadija Nader passe son enfance. En 2003, deux ans après la chute du mouvement islamiste, la famille rentre au pays avec l’espoir de contribuer au changement. «Il y avait tant de normes, tant de mentalités à faire évoluer après les années de règne des talibans, mais nous nous sommes battu-es pour que les femmes et les jeunes filles aient droit à l’éducation et nous avons réussi: nous sommes allées à l’école!» raconte l’étudiante.

En vingt ans, les femmes parviennent en effet à se ménager un rôle au sein de la société afghane: en 2021, elles représentent plus de 25% de la force de travail. «Nous pensions que nous pourrions continuer à porter le changement, mais en décidant de quitter le pays, les États-Unis ont abandonné les femmes aux mains des talibans. Aujourd’hui, elles n’ont plus le droit d’étudier, ne peuvent plus sortir sans la présence d’un homme et les seuls emplois qui leur sont autorisés sont ceux qu’un homme ne peut faire.»

Être la voix des réfugié-es
À Genève, le premier défi de Khadija Nader sera d’apprendre le français. Elle suit actuellement les cours de langue du programme Horizon académique, à raison de quinze heures par semaine, et bénéficiera de cours intensifs cet été. Pressée de maîtriser la langue pour mieux se mêler aux habitant-es, elle profite de son temps libre pour visionner un maximum de films en français. En septembre, il est prévu qu’elle entame un Bachelor en économie et management, un cursus qui se déroule entièrement en anglais et qu’elle devra mener en entier puisque aucune équivalence ne lui sera accordée pour les acquis obtenus en Afghanistan. En parallèle, la jeune femme s’intéresse aussi au Bachelor en relations internationales, une formation du Global Studies Institute dispensée en français, qui l’obligerait à reporter d’une année le début de ses études, mais qui aurait l’avantage de la rapprocher de ses ambitions professionnelles: «En Afghanistan, j’étais administratrice de programmes, explique-t-elle. Je travaillais principalement avec des réfugié-es, des Afghan-es qui rentraient au pays après avoir passé des années en Europe. Les écouter m’a fait comprendre combien les gens ont besoin d’être entendus et ce que l’on peut faire les un-es pour les autres. Dans le futur, j’espère pouvoir travailler avec les familles réfugiées et être en mesure de faire entendre leurs voix.»

Dans la ville du bout du lac, Khadija Nader se sent en paix et en sécurité. À peine arrivée, elle a fait tomber le voile «parce que, ici, j’ai l’opportunité d’être moi-même», dit-elle. Si la jeune femme est reconnaissante à son nouveau pays d’accueil, elle avoue aussi éprouver de la nostalgie et s’inquiéter pour toutes les femmes, dont ses sœurs, restées au pays. «Aujourd’hui, les femmes d’Afghanistan ne font plus partie de la société, elles sont effacées, marginalisées. Mon souhait serait que la communauté internationale affiche clairement sa solidarité envers elles, en leur donnant, par exemple, une chance de continuer leurs études. Comme on l’a fait pour moi.»

 

 

Un forum pour informer, sensibiliser, partager les pratiques

Le 17 juin, à Uni Bastions, se tient la deuxième édition du University Refugee Forum, organisé par le programme Uni4Refugees, un projet de collaboration entre plusieurs hautes écoles suisses, coordonné par les universités de Genève et de Zurich, dont l’objectif est de favoriser l’intégration des réfugié-es dans l’enseignement supérieur.

Sous le titre «Re-connect! Lifelong Learning, Integration and Higher education», cet événement d’une après-midi se déroulera en anglais et en français et offrira une interprétation simultanée dans les deux langues. Vincent Chetail, directeur du Global Migration Centre au Graduate Institute, ouvrira le feu avec une présentation au cœur de l’actualité: «Impact de la guerre en Ukraine. Quel avenir pour les étudiant-es et les chercheur-euses?» La suite s’articulera en trois volets: un premier consacré à l’innovation dans la formation continue depuis une perspective internationale et un deuxième portant sur les transitions de carrière et l’exil en Suisse. Le dernier volet, sous la forme d’une table ronde, proposera un aperçu des perspectives innovantes dans les hautes écoles et l’intégration des personnes réfugiées.

L’événement, sur inscription, s’adresse au personnel universitaire travaillant dans le domaine de la diversité et de l’intégration des réfugié-es, aux expert-es du secteur de l’intégration, à la communauté universitaire et à toute personne que la thématique intéresse. Le programme complet peut être consulté en ligne.

 

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