8 mars 2023 - Alexandra Charvet

 

Vie de l'UNIGE

«La présence des femmes est essentielle dans la transition numérique»

Pour encourager les collégiennes à entreprendre des études en informatique, l’UNIGE lance le programme pilote «bootstrap». Cette mesure vise à faire évoluer les représentations genrées des métiers du numérique.

 

 

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Les représentations genrées des métiers du numérique se retrouve dans la distinction «hardware» / «software», selon la professeure Isabelle Collet. Photo: Adobestock

 

À l’UNIGE, l’informatique a un genre. Avec seulement 20% d’étudiantes inscrites au Bachelor en sciences informatiques et 6% au Master, la parité dans le domaine est en effet encore loin d’être atteinte, et la situation est à peu de choses près identique pour le Bachelor et le Master en systèmes d'information et sciences des services du Centre universitaire d'informatique. Même constat au sein du personnel administratif et technique: la Division du système et des technologies de l’information et de la communication (DiSTIC) ne compte que 21% de femmes. Afin d’encourager la mixité dans le domaine du numérique, l’UNIGE lance «bootstrap», un programme d’études anticipées qui permettra aux collégiennes de 3e et 4e année de développer leurs compétences en informatique en suivant des cours à l’Université.

 

Dès septembre prochain, ces jeunes femmes auront ainsi la possibilité de choisir des enseignements en algorithmique ou en développement de services numériques contextualisés. À l’issue du cursus, des crédits universitaires seront délivrés, à faire valoir lors d’une future inscription. Pour participer, il suffit d’obtenir l’autorisation de son/sa professeur-e et de faire connaître ses motivations par écrit. Le délai de soumission des candidatures est fixé au 31 mai.

Des techniques pensées par les dominants
«La présence des femmes est essentielle dans la transition numérique de nos sociétés», assure la professeure Isabelle Collet (Section des sciences de l’éducation, FPSE) dans le podcast Éducation, genre et algorithmes. «Si la mixité n’est pas incluse dans la formation en sciences informatiques, il faut s’attendre à n’avoir que des logiciels systématiquement biaisés au détriment d’un genre.»

Au cours de sa carrière, la spécialiste a en effet constaté que les techniques sont perpétuellement pensées pour les groupes dominants. Elle cite à titre d’exemple le développement de la pellicule argentique. Équilibrées pour les visages de personnes blanches, elles ne permettent pas aux visages des personnes noires d’apparaître correctement sur les photos. «Si des personnes noires avaient été à l’origine de la conception de la pellicule, les visages blancs auraient probablement été tous surexposés, commente la spécialiste.  La technologie se développe au service des personnes qui l’élaborent. Un phénomène similaire s’est produit en informatique avec les applications de santé disponibles sur nos téléphones. Tout était mesuré: le poids, le pouls, la tension, le nombre de pas effectués par jour, mais jusqu’à récemment le cycle menstruel ne l’était pas, alors qu’il se prête pourtant parfaitement à l’exercice. Sauf que ce point n’intéressait que 15% des développeurs-euses.»

La professeure pointe également les domaines où les données utilisées, peu mixtes ou biaisées, produisent des résultats renforçant le sexisme. «Les premiers outils de reconnaissance vocale étaient moins bien optimisés pour les voix féminines que pour les voix masculines, relève Isabelle Collet. Les données d’entraînement, issues de corpus de presse (TV, radio), étaient en effet composées en majorité de voix d’hommes, les femmes étant sous-représentées dans les médias. Le même problème a été rencontré avec les outils de reconnaissance faciale.»

Masculinisation du métier
Dans le cadre de ses réflexions sur la division sociosexuée des savoirs, dans le sillage des travaux de la philosophe Nicole Mosconi, la professeure, autrice du livre Les Oubliées du numérique, constate une diminution progressive du nombre de femmes dans les études d’informatique. En cause: les représentations genrées des métiers du numérique et le rôle joué par la valorisation économique du software au détriment du hardware. «Quand les premiers ordinateurs ont été conçus, les tâches de programmation étaient perçues comme des tâches d’exécution, la valeur étant accordée à l’ingénierie de la machine, replace Isabelle Collet. Une séparation forte s’est créée entre hardware et software, deux termes qui sont genrés car les métiers étaient alors genrés: pour les hommes, la machine et l’ingénierie; pour les femmes, la programmation et le langage. Tout a changé dans les années 1960 lorsqu’une attention croissante a été accordée à la programmation. Et ce mécanisme n’est pas propre au numérique: à chaque fois qu’un métier prend de la valeur, on constate qu’il se masculinise.» Une tendance qui pourrait s’inverser avec des mesures telles que le programme «bootstrap».

Ateliers pour les collégien-nes

En parallèle du programme «bootstrap», les collégiens et collégiennes intéressé-es par les sciences informatiques peuvent également rejoindre le club de programmation proposé par le Centre universitaire d’informatique, le Coding Dojo. Au menu: démystification de la programmation, tutorat et méthodes d’apprentissage, entraînement hebdomadaire, avec, en prime, la possibilité de valoriser ces acquis par des crédits ECTS.

 

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