Unité d'archéologie classique

Une Archéologie électrique - Quelques aspects de l'exposition

La découverte des « trésors » d’orfèvrerie d’Hildesheim, de Boscoreale et de Mycènes

Le trésor d'Hildesheim

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Le 17 octobre 1868, à Hildesheim, dans le nord de l’Allemagne actuelle, des soldats découvrent une immense quantité d’objets en métal alors qu’ils creusent sur le Galgenberg pour agrandir leur stand de tir. Un nettoyage sommaire des pièces montre qu’il s’agit de vaisselle en argent, dont un grand cratère – un vase servant à mélanger le vin et l’eau – et une coupe d’une remarquable finesse ornée d’une Minerva assise, à admirer dans l’exposition. On estime aujourd’hui que la majorité des pièces date de la première moitié du Ier siècle ap. J. C.

Le trésor de Boscoreale

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Les circonstances entourant la découverte du trésor ne sont pas très claires. Selon Antoine Héron de Villefosse, ancien conservateur du musée du Louvre, qui se base lui-même sur des témoignages oraux, un ouvrier l’aurait découvert le 13 avril 1895, la veille de Pâques, en fin de journée, dans un des réservoirs à vin d’une villa romaine à Boscoreale. Toutefois, les autorités italiennes ne pouvaient absolument pas l’acheter par manque de fonds, ce qui explique certainement son « déplacement » en France. Au mois de mai 1895, le baron Edmond de Rothschild acquiert à Paris 41 pièces d’argenterie provenant directement du trésor de Boscoreale. En juin de la même année, le baron décide de faire don de son acquisition aux musées nationaux. Un second don de celui-ci suivra, puis plusieurs autres provenant de sources diverses. Aujourd’hui, le Louvre ne possède pas moins de 102 pièces d’argenterie, dont une vingtaine est présentée dans notre exposition en reproduction.

Le trésor de Mycènes

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Heinrich Schliemann dont nous fêtons cette année le bicentenaire de la naissance, arrive à Mycènes avec un but très précis en tête. Il veut retrouver les tombes du roi mythique Agamemnon et de ses compagnons tués à leur retour de Troie. Le 28 novembre 1876, Schliemann découvre dans une zone derrière la Porte des Lions 5 tombes à puits monumentales. A l’intérieur des tombes se trouvent dix-neuf squelettes, soit neuf hommes, huit femmes et deux enfants, enterrés avec des éléments de parure, des épées de cérémonies, des coupes et même des masques en or.

 

E. Gilliéron et fils : une affaire de famille

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Les découvertes spectaculaires du trésor de Mycènes par Heinrich Schliemann ont révélé une multitude d’objets d’art issus d’une culture de la fin de l’âge du bronze encore inconnue à l’époque. Les répliques galvanoplastiques de ces découvertes, réalisées par Émile Gilliéron et plus tard par son fils, sont en grande partie fidèles aux originaux. Satisfaisant l’intérêt des chercheurs, des connaisseurs d’art et des collectionneurs du monde entier, elles ont été acquises et exposées par de nombreux musées et universités à des fins éducatives. Elles ont ainsi significativement contribué à la diffusion des connaissances sur la culture mycénienne.

En 1894, Gilliéron fonde à Athènes sa société éponyme, qui se spécialise d’abord dans la fabrication de copies galvanoplastiques d’objets mycéniens. En 1900, Gilliéron présente des copies des principales découvertes du trésor de Mycènes à l’Exposition universelle de Paris en 1900, dans le pavillon grec. Son travail est récompensé par la médaille de bronze d’orfèvrerie. Grâce à sa collaboration avec la Württembergische Metallwarenfabrik (WMF) à Geislingen an der Steige, ces répliques peuvent être produites en grande quantité et distribuées dans le monde entier.

Lorsque Gilliéron père décède en 1924 à Athènes, la direction de l’entreprise, rebaptisée E. Gilliéron et fils, est déjà entre les mains du fils aîné, Édouard Émile (1885-1939). Grâce à sa solide formation artistique à Athènes et Paris, et après ses années d’apprentissage aux côtés de son père, Gilliéron fils peut poursuivre sans transition les activités de ce dernier. Cela rend d’ailleurs souvent difficile la distinction entre les œuvres des deux Gilliéron. Le décès prématuré d’Edouard, peu avant la Seconde Guerre mondiale, met un terme aux activités de l’entreprise familiale. Son fils Alfred est alors encore en pleine formation ; les troubles de la guerre et les changements du goût de l’époque rendent le commerce de copies difficile et peu rentable.

 

Les reproductions de la Collection des moulages

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Les pièces exposées sont des reproductions – et des reconstructions pour certaines – d’originaux provenant des trois grands trésors susmentionnés. Celles du trésor d’Hildesheim sont des galvanoplasties de très bonne facture, faites par l’entreprise Christofle. Il s’agit probablement des premières galvanoplasties d’un trésor antique achetées à Genève, même si aucune date ni acquéreur précis ne sont connus.

Les reproductions de la vaisselle de Boscoreale sont achetées peu de temps après la découverte du trésor en 1897 par Paul Stroehlin, collectionneur et numismate suisse. Ceci témoigne de la volonté de l’époque de reproduire rapidement les grandes découvertes antiques afin de les diffuser. Ces copies ne sont pas des galvanoplasties typiques en cuivre argenté, mais en étain, c'est-à-dire la variante la moins chère, comme le précise le catalogue des prix de la maison Hack et Hourdequin.

On expérimentait dans la fabrication des galvanoplasties non seulement avec les formes, mais aussi avec les matériaux et les couleurs : la société Hack et Hourdequin proposait par exemple des pièces du trésor de Boscoreale en quatre qualités et catégories de prix différentes (étain patiné, étain argenté, bronze argenté et argent). Pour certains vases en argent de Mycènes, Gilliéron proposait également deux variantes : l’une avec une surface patinée, foncée, qui correspondait à l’état de découverte de l’original, et l'autre en argent poli clair, reproduisant un état original idéal tel qu’on le rêvait. Les manufactures de galvanoplasties n’hésitaient également pas à compléter les pièces fragmentaires ou endommagées pour offrir à leur clientèle des vases complets.

 

La Technique

Le principe des techniques galvaniques fut inventé en 1805 par Luigi Brugnatelli, qui réussit à déposer une couche l'or sur des objets plongés dans une solution de chlorure d'or. Le terme 'galvanoplastie' se réfère à Luigi Galvani, scientifique Italien dont les études pionnières sur les grenouilles firent découvrir en 1790 que le mouvement des muscles est activé par l'électricité.

La galvanoplastie est une technique galvanique basée sur un procédé électrochimique permettant de déposer une couche de métal sur un objet moulé. Elle permet la reproduction d’œuvres d’art ou de pièces d’orfèvrerie, en suivant les moindres détails de l'objet original. Le développement de la galvanoplastie et son emploi à l’échelle industrielle ont mis à la portée d’un large public des œuvres autrement inaccessibles ou difficilement visibles.

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     Image: Laura Strolin

Le procédé est simple. Il faut un générateur de courant électrique continu, une pile voltaïque, relié à deux électrodes. La cathode est connectée au pôle négatif, et l’anode au pôle positif. Ces électrodes sont immergées dans un bain contenant des sels du métal à déposer. De cette façon, les atomes de métal perdent des électrons et deviennent des ions libres chargés positivement. Au passage du courant, les ions positifs du métal sont attirés par la cathode et s'y déposent. Ils sont alors neutralisés par les électrons (négatifs) de la cathode. Dans la galvanoplastie la cathode est un moule rendu conducteur d’électricité par une mince couche superficielle de graphite.

Le début de l’industrialisation suivit avec Richard Elkington à Birmingham dès 1841 et avec Charles Christofle à Paris dès 1842.

 

Les multiples usages des galvanoplasties d’après l’antique au XIXe siècle

En mars 1901, le Musée des arts décoratifs de Genève présentait une exposition « ayant un caractère plus particulier touchant à l’archéologie, mais ayant aussi un grand caractère artistique. C’étaient les reproductions galvanoplastiques des objets provenant de Mycènes, conservés au Musée d'Athènes, armes, bijoux et objets divers, reconstitués sous la direction de M. E. Gilliéron, notre compatriote, habitant en partie Athènes et en partie Genève même ; ces pièces, reproduites en galvano à Geisslingen, ont été acquises par la Ville pour le Musée archéologique. Cette exposition a amené un public de savants, d’artistes et d’amateurs des choses anciennes » (Ville de Genève, Collections d’art et d’histoire. Comptes-rendus pour l’année 1901).

Si ces pièces furent à l’origine acquises pour le Musée archéologique, leur séjour au sein de cette institution fut de courte durée et elles furent rapidement intégrées aux collections du Musée des arts décoratifs comme nous en informe ce même rapport : « La collection de reproductions galvanoplastiques du Trésor de Mycènes, acquise au mois de juin, a été vendue cette même année encore au Musée des arts décoratifs, qui possède déjà plusieurs collections similaires », et cela au prix de Fr. 2682.-

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Ce furent en effet surtout les musées d’art industriel qui acquirent, dans un but essentiellement pédagogique mais pas uniquement, des copies galvanoplastiques des trésors de Mycènes, d’Hildesheim et de Boscoréale. Les répliques de l’argenterie antique devinrent par la suite des objets de collection et de prestige.

Tandis que durant la seconde moitié du XIXe siècle les copies réduites de chefs-d’œuvre de la sculpture antique envahissaient les appartements de la bourgeoisie aisée, les galvanoplasties d’après l’antique conquéraient une clientèle privée au pouvoir d’achat élevé. Cadeaux d’amoureux ou de mariage, de départ à la retraite ou pour toute autre occasion, les copies galvanoplastiques restèrent populaires durant la première moitié du XXe siècle, même si le goût en passa au fil du temps. Placées autrefois dans les vitrines ou accrochées au mur des salons, ces copies connaissent aujourd’hui un usage parfois bien plus modeste, comme cette pièce tirée du trésor de Hildesheim qui sert de butoir de porte...

 

Les ateliers d’artistes

Les galvanoplasties avaient une fonction très concrète dans les ateliers de certains peintres d’histoire qui pouvaient se permettre un tel luxe. Jean-Léon Gérôme (1824-1904), auteur de nombreux tableaux monumentaux à sujets historiques et mythologiques possédait, outre un moulage tiré de la colonne Trajane, des galvanoplasties de casques, de boucliers et de jambières de gladiateurs qui lui servaient de modèles.

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Alma Tadema, A dedication to Bacchus, Opus CCXCIII, 1889 (extrait)
Hamburger Kunsthalle. Photo: domaine public

C’est sans doute le peintre néerlandais Lawrence Alma-Tadema (1836-1912) qui possédait la plus importante collection de galvanoplasties et dont il s’est servi à nombreuses reprises. On retrouve ainsi la coupe de Minerve d’Hildesheim sur un de ses tableaux illustrant une galerie de sculptures à l’époque romaine. Au total, on retrouve des représentations des pièces du trésor d’Hildesheim sur près de trente tableaux signés de la main du maître.

 

De l’oubli à la redécouverte

Après la Seconde Guerre mondiale, l’intérêt pour les galvanoplasties et les autres copies d’après l’antique commence à diminuer. Les œuvres originales deviennent plus facilement accessibles grâce aux photos et publications de bonne qualité, alors que le développement du tourisme invite en même temps à les admirer directement dans les musées du monde entier. Les copies d’après l’antique, qu'il s'agisse de moulages en plâtre ou de répliques galvanoplastiques, perdent successivement leur fonction dans les expositions ou comme objets de prestige. Notamment les galvanoplasties sont systématiquement reléguées dans les dépôts des musées ou des collections universitaires et tombent de plus en plus dans l’oubli.

Ce n’est que depuis les années ’90 que se manifeste un nouvel intérêt pour les répliques galvanoplastiques, comme l’illustrent des expositions à Berlin, à New York, à St. Germain-en-Laye, à Madrid, à Bilbao – et maintenant à Genève. Un projet de recherche de l’École française d’Athènes porte actuellement sur la famille Gilliéron, avec, entre autres, le concours de l’École suisse d’archéologie en Grèce (ESAG). La redécouverte des galvanoplasties n’en est qu’à ses débuts !

 

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