Unité d'Egyptologie et Copte

Présentation

Le discours monumental - les représentations figurées, écrites et textuelles sur support lapidaire, principalement dans les complexes funéraires royaux et privés, également dans les temples divins et sur le rocher naturel - constitue l’expression par excellence de la culture formelle de l’Égypte à l’Ancien Empire (env. 2650 - 2150 av. J.-C.). Itérés d’un monument à l’autre, les contenus du discours monumental sont largement génériques : le discours monumental présente un déficit dénotationnel marqué (il « informe » peu). La question même de ses significations pose ainsi un problème majeur non résolu.

            Omniprésent sur les témoins matériels de la culture formelle, le discours monumental n’a paradoxalement jamais fait l’objet d’une étude pour lui-même : si diverses composantes en ont été considérées, elles l’ont été isolément et presque toujours comme sources pour des questions d’un autre ordre (historiques, iconographiques, artistiques, relatives aux objets des représentations, etc.). Le présent projet propose donc de placer la perspective sur le discours monumental lui-même, en visant le phénomène de l’inscription lapidaire (image, écrit, texte) à l’Ancien Empire, la nature des significations que celle-ci exprime, et les modes par lesquels cette inscription signifie.

            Ces questions seront problématisées sur la base des propositions préliminaires suivantes. Inscrit dans des lieux à l’accès et à la visibilité souvent restreinte, le discours monumental est l’occasion d’un investissement extraordinaire de ressources exclusives, à la fois matérielles et symboliques. Actualisant sa propre exclusivité, il est le lieu d’une négociation complexe entre le roi et les particuliers, et constitutif de l’élite elle-même. Comme pratique de l’inscription lapidaire, le discours monumental est, plus généralement, inscription dans un ordre, et inscription de cet ordre, qui est rituel autant que social/politique. Par la mise en œuvre d’un dispositif sémiotique complexe qui intègre l’image, l’écrit et le texte, le discours monumental crée une évidence visuelle, naturalisant l’artifice à la fois de sa propre inscription et des contenus inscrits. Il comporte, de ce fait, une dimension performative forte.

            Afin d’appréhender ces dimensions dans leur interrelation, le projet développera une approche combinée, matérielle/visuelle et textuelle/linguistique. Les travaux porteront d’abord sur trois axes : le premier considèrera le discours monumental sous l’angle de sa localité et de sa matérialité ; le deuxième étudiera les représentations royales et celles des particuliers dans leurs différences et éléments communs ; le troisième portera sur le dispositif sémiotique qui lie entre eux l’image, l’écrit et le texte, cherchant à mieux déterminer les fonctions de ces modalités diverses de la représentation. Deux axes sont définis comme transversaux : dans une perspective généalogique, le premier visera à situer les éléments précédents dans leur profondeur historique ; le second à en faire la synthèse sur un plan qui interroge directement l’inscription du générique et sa particularisation, puis, à un niveau pragmatique, l’adressivité et la performativité du discours monumental. En relation à des corpora spécifiques, trois collaborateurs doctorants travailleront principalement sur des thèses destinées à préciser les paramètres d’adressivité et d’ostentation dans l’inscription des façades, la particularisation du générique sur un plan visuel, et les pratiques de l’inscription lapidaire hors du centre memphite, dans les provinces ou sur le support naturel.

            Prenant, pour la première fois, le discours monumental lui-même pour objet, le projet comblera une lacune majeure. Le phénomène est fondamental, puisqu’il est définitoire de la culture formelle égyptienne, elle-même facteur d’identité politique et culturelle. Comme configuration complexe de l’image, de l’écrit et du texte, le discours monumental de l’Ancien Empire est également fondateur pour les pratiques des deux millénaires et demi à suivre. Le projet impliquera aussi une reproblématisation de la nature du matériel qui est régulièrement mobilisé comme sources dans des champs d’études égyptologiques divers, contribuant ainsi à préciser les conditions herméneutiques de celles-ci. Comme étude d’une pratique particulièrement riche de l’inscription lapidaire de l’image et de l’écrit, le projet, enfin, intéressera plus largement les études visuelles, anthropologiques ou linguistiques.