Commentaire d'image

I’m too sad to tell you

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Bas Jan Ader

1970

Cabinet des estampes, Genève (dépôt vbvr)

Photographie

La photo d’un homme en larmes. Avec un titre, au verso : "I’m too sad to tell you".

Il s’agit d’une photo de et par Bas Jan Ader (1942-1975?), un artiste actif à Los Angeles et à Amsterdam. Elle fait partie d’une série d’oeuvres portant le même titre, comprenant des photos (1970), des cartes postales envoyées à des amis de l’artiste (1970) et une vidéo (1971). Cette série a commencé comme un groupe d’idées dans le carnet de notes de l’artiste : "Short film 'I'm too sad to tell you' drink tea sadly and begin to cry / Postcard of me sadly crying. On back: 'I'm too sad to tell you' / 'The space between us fills my heart with intolerable grief' / The thoughts of our inevitable and separate deaths fills my heart with intolerable grief." Les textes et la tasse de thé ont disparu, mais sont restés dans les oeuvres finales l’image de Bas Jan Ader pleurant, et le texte :"I’m too sad to tell you".

Le titre de l’oeuvre réfère à la parole, au récit. En même temps, il déclare l’impossibilité de trouver les mots pour exprimer une émotion profonde. L’image, dans ce cas, dit plus que le langage. L’artiste indique ne pas pouvoir désigner sa douleur, mais tout de même vouloir transmettre quelque chose. La photo est, et n’est pas à la fois, un document sur la douleur de Bas Jan Ader. L’artiste met en scène sa douleur devant la caméra, pleure consciemment. Mais on ne sait si l’artiste a joué sa douleur, ou s’il l’a véritablement éprouvée à ce moment précis.

L’image d’un homme éploré est à la fois moderne et enracinée dans l’histoire de l’art. Ader était conscient des références qu’il faisait, comme le montrent deux entrées de son carnet de notes : "I know a man ain’t supposed to cry" et "Descend, Roger van der Weyden/Giovanni Bellini, tears exhaustion tears/Picasso Guernica". La dernière phrase parle d’oeuvres d’art qui visualisent la souffrance du Christ et de l’humanité en général. Si l’on fait le lien entre l’artiste et la figure du Christ, l’artiste porte en lui la souffrance et il incarne les limites de l’homme.

Il existe encore un lien entre Bas Jan Ader, la figure de l’artiste et la figure du Christ. En 1975, Ader a disparu en mer, alors qu’il exécutait ce qui est devenu sa dernière oeuvre, In Search of the Miraculous. Son âge : 33 ans. L’âge du Christ, mais aussi celui de Jimi Hendrix ou de Kurt Cobain décédés à 27 ans. La disparition mythique d’Ader impose à la photo du Cabinet des Estampes, tout comme aux autres photos signées par Ader, un statut spécial de document. La signature au verso de la photo lui donne presque une valeur de relique ; ou encore, dans une perspective plus contemporaine, de fétiche, comparable à la signature d’une pop star.

Merel van Tilburg

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Cette oeuvre fait partie d'une série d'images choisies et commentées spécialement pour ce site par les enseignants de l'Unité d'histoire de l'art. Elles ont en commun d'avoir un lien avec Genève, que leur auteur y ait vécu, qu'il y fasse allusion dans son oeuvre ou que celle-ci y soit conservée.