Méthodes et problèmes

L'autobiographie

Natacha Allet et Laurent Jenny, © 2005
Dpt de Français moderne – Université de Genève

I.1.1. Pacte fantasmatique

Certains d'entre eux auraient en effet largement contribué à étendre la signification autobiographique à l'ensemble de la littérature. André Gide par exemple, qui soutient dans Si le grain ne meurt:

Les Mémoires ne sont jamais qu'à demi sincères, si grand que soit leur souci de vérité: tout est toujours plus compliqué qu'on ne le dit. Peut-être même approche-t-on de plus près la vérité dans le roman. (p.278. Je souligne)

Il suggère ainsi que la fiction est susceptible d'atteindre à plus de vérité que l'autobiographie, toujours sujette à caution. François Mauriac partage manifestement cette opinion, puisqu'il affirme dans ses Écrits intimes:

Seule la fiction ne ment pas; elle entrouvre sur la vie d'un homme une porte dérobée, par où se glisse, en dehors de tout contrôle, son âme inconnue. (p.14. Je souligne)

La fiction de ce point de vue serait plus fiable que l'autobiographie, dans la mesure où elle exprimerait des aspects significatifs de la vie de l'écrivain, sans que la volonté de celui-ci intervienne et entame leur authenticité; elle manifesterait le MOI de l' âme inconnue ou de l'inconscient, autant dire le vrai MOI, et non celui de la conscience et des événements vécus positivement au cours de l'existence. Un tel postulat implique comme on le voit de distinguer entre deux MOI, et même de les hiérarchiser en se fondant sur des critères de valeur.

À ce type d'attitude adoptée par Mauriac ou par Gide, Lejeune a donné le nom de pacte fantasmatique. Le lecteur est invité en effet à lire les romans non seulement comme des fictions renvoyant à une vérité de la "nature humaine", mais aussi comme des fantasmes révélateurs d'un individu (Le pacte autobiographique, p.42). Il doit comprendre en somme que toute fiction est en réalité inconsciemment autobiographique. Lejeune souligne enfin que les adeptes de ce pacte ne visent pas véritablement à dévaluer le geste autobiographique – qu'ils pratiquent eux-mêmes; ils chercheraient au contraire à l'élargir, en ouvrant un espace autobiographique dans lequel serait lue toute leur œuvre. On notera pour finir que cet apparent paradoxe est devenu un des lieux communs de notre temps.

Edition: Ambroise Barras, 2005