Méthodes et problèmes

Le mode dramatique

Éric Eigenmann, © 2003
Dpt de Français moderne – Université de Genève

I.4. Répliques et didascalies

Après titre et liste des personnages, le premier acte des Serments indiscrets de Marivaux commence ainsi:

SCÈNE PREMIÈRE. – LUCILE, UN LAQUAIS

LUCILE est assise à une table, et plie une lettre; un laquais est devant elle, à qui elle dit.– Qu'on aille dire à Lisette qu'elle vienne. (Le laquais part. Elle se lève.) Damis serait un étrange homme, si cette lettre ne rompt pas le projet qu'on fait de nous marier.

Lisette entre.

SCÈNE II. – LUCILE, LISETTE

LUCILE.– Ah! te voilà. Lisette, approche; je viens d'apprendre que Damis est arrivé hier de Paris, qu'il est actuellement chez son père; et voici une lettre qu'il faut que tu lui rendes, en vertu de laquelle j'espère que je ne l'épouserai point.

LISETTE. – Quoi! cette idée-là vous dure encore? Non, madame, je ne ferai point votre message; Damis est l'époux qu'on vous destine [...].

Deux niveaux énonciatifs se dégagent d'emblée, ne serait-ce que typographiquement, déterminant deux types de voix: d'une part les répliques, texte supposé être proféré sur scène, qui constituent ensemble le dialogue et pour chaque personnage ce qu'on appelle précisément son rôle; d'autre part les didascalies, texte qui introduit de quelque manière ces discours et les cite, soit tout ce qui ne serait pas proféré dans le cas d'une représentation conforme au texte écrit, de la liste des personnages au noir final en passant par le découpage des scènes. Quoiqu'elles puissent souvent passer pour négligeables, les didascalies, même laconiques, déterminent ou peuvent déterminer:

Qui, à qui, où, quand, comment, pourquoi: répondant de façon très variable à toutes ces questions ou à quelques-unes d'entre elles seulement, les didascalies précisent la situation de communication, déterminent une pragmatique, c'est-à-dire les conditions concrètes de l'usage de la parole, indispensables et décisives pour l'interprétation.

Dans les toutes dernières lignes d'En attendant Godot de Beckett, Vladimir dit à Estragon Alors, on y va?, Estragon répond Allons-y. Leurs répliques suggèrent qu'ils vont renoncer à leur fameuse attente et quitter le lieu qu'ils ont occupé pendant toute la pièce, que leur situation va enfin connaître une véritable évolution. Mais la didascalie qui suit ajoute: Ils ne bougent pas. Et toute l'interprétation de basculer: on comprend alors que l'action demeure sur le plan du discours, que rien ne va changer.

Edition: Ambroise Barras, 2003-2004