Méthodes et problèmes

Le mode dramatique

Éric Eigenmann, © 2003
Dpt de Français moderne – Université de Genève

I.4.3. Le présentateur

Dans la mesure où la didascalie est un énoncé narratif, le sujet de son énonciation peut être considéré comme un narrateur. Reprenons notre exemple: Lucile est assise à une table, et plie une lettre. Un laquais est devant elle [...]. Le laquais part. Elle se lève. On remarque l'absence de marques de subjectivité (de mots déictiques ou modalisants). En ce qui concerne les catégories de la narratologie genettienne, un tel narrateur peut être qualifié d’extradiégétique et d’hétérodiégétique [La voix narrative, V.3]. Objectif et limité au périmètre visible de la scène, son discours procède d’une focalisation externe [La perspective narrative] et d’une narration simultanée, sans recul temporel. Il est en ce sens comparable à une sorte de reportage en direct.

Il s’agit là de traits généraux, non de règles exclusives. D’autres cas existent : dans Berlin ton danseur est la mort d'Enzo Cormann par exemple (Paris, Edilig, 1983), une partie de la didascalie présente une narration homodiégétique et ultérieure: Il y avait cette cave que Nelle, ma compagne, Elis ma fille, et moi-même occupâmes de mars 1944 à la fin de 1946. Il arrive aussi que la didascalie, provisoirement non focalisée, couvre un domaine différent, tel que l'intériorité des personnages.

Cependant, le terme unique de narrateur convient d’autant plus mal que la didascalie désigne et raconte moins. Chez Racine ou Molière par exemple, qui pouvaient au besoin préciser directement leurs intentions aux interprètes de leurs pièces, elle se limite à de très rares exceptions près à l'attribution des énoncés à tel ou tel personnage. On parle parfois de scripteur (Ubersfeld) ou de montreur (Viswanathan) ; nous proposons d’appeler présentateur cette instance énonciative, qui présente les intervenants et présentifie leur discours.

Edition: Ambroise Barras, 2003-2004