Laurent Jenny, © 2003
Dpt de Français moderne – Université de Genève
Le jeu de la discordance entre vers et discours fait varier le rythme du sens en produisant un effet de suspens sémantique ou de précipitation sémantique.
Lorsqu'il y a rejet ou enjambement, la forme du discours apparaît comme inachevée alors que la forme du vers est déjà achevée. Du coup la signification du discours semble suspendue et comme en attente de réalisation. Le lecteur est amené à anticiper ces significations inaccomplies.
Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie,
Comme s'ils regardaient // au loin, restent levés
Au ciel; on ne les voit // jamais vers les pavés
Pencher rêveusement leur tête appesantie.Baudelaire
successivement, rejet à la césure d'
au loin, rejet vers à vers deau ciel, enjambement de l'avant-dernier vers sur le dernier.
Lorsqu'il y a contrerejet, le discours s'achève avant la fin du vers. Du coup la signification semble survenir trop tôt et se précipiter. De fait une nouvelle séquence discursive s'amorce dans la fin du vers créant un nouveau suspens.
Il dit: Debout! Soudain // chaque siècle se lève
Hugo
Trois mille six cents fois // par heure, la Seconde
Chuchote: Souviens-toi! //– Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit: Je suis AutrefoisBaudelaire
Ainsi, sur le plan de la réception, le jeu de la discordance règle et dérègle le flux des représentations. Et du même coup, il fait varier la sollicitation du destinataire à la construction du sens.
Edition: Ambroise Barras, 2003-2004