IV. La "Disciplina clericalis"
IV. LA DISCIPLINA CLERICALIS DE PIERRE ALPHONSE, UN TRESOR DE LA LITTERATURE OCCIDENTALE
La Disciplina Clericalis est un recueil de contes moraux d’origine orientale composé en latin vers 1110 par Pierre Alphonse, médecin d’origine juive espagnole converti au christianisme1. Cette œuvre compte parmi les plus anciennes collections d’exempla du domaine occidental. On sait que la Disciplina clericalis sera suivie par d’autres formes de recueils, rédigés tant en latin qu’en langues vernaculaires, qui font connaître les traditions narratives de l’Orient dans l’Europe médiévale. Les différentes versions du Roman des Sept Sages ainsi que celle du Roman de Barlaam et Josaphat témoignent du succès de cette veine littéraire2.
Le recueil de Pierre Alphonse est important à plus d’un titre. On y trouve des récits promis à un succès durable dans la littérature européenne. L’exemple XXIII présente la première élaboration connue du conte du loup et du renard dans le puits, rendu célèbre par la branche IV du Roman de Renart 3. Les exemples IX à XII, quant à eux, proposent toute une série de récits centrés sur les ruses des femmes. Ces anecdotes présentent déjà la structure narrative caractéristique des fabliaux . Parmi elles, on reconnaît les intrigues du « Dit du Pliçon »4 et du conte « Puteus »5 . La Disciplina clericalis renferme également des récits appartenant à des traditions narratives aussi diverses que celles d’Ami et Amile (exemple II) ou du Lai de l’Oiselet (exemple XXII). Son influence se fait sentir jusque dans le Décaméron de Boccace . Dans le domaine latin, enfin, ce recueil est reconnu comme une autorité, à laquelle se réfèrent les auteurs de grands recueils d’exempla compilés à partir de la fin du douzième siècle dans les monastères cisterciens, puis au treizième siècle dans les milieux franciscains et dominicains7 .
1 Pour une présentation de l’œuvre de Pierre Alphonse, voir K. Reinhardt, H. Santiago-Otero, « Pedro Alfonso. Obras y bibliografia » dans Estudios sobre Pedro Alfonso de Huesca, Lacarra, Marìa Jesùs éd., Huesca, Instituto de Estudios Altoaragoneses, 1996, pp.19-44.
2 L’ouvrage de référence concernant la diffusion des traditions orientales reste celui de V. Chauvin, Bibliographie des ouvrages arabes ou relatifs aux arabes, Liège-Leipzig, 1892-1909, 11 fascicules. Sur l’œuvre de Pierre Alphonse, on se reportera au livre de John Tolan, Petrus Alfonsi and his medieval readers, Gainesville, University Press of Florida, 1993.
3 H. R. Jauss, « Der geschichtliche Wandel des Tierschwanks nach den literarischen Varianten von `Fuchs und Wolf im Brunnen’» dans : Untersuchungen zur mittelalterlichen Tierdichtung, Tübingen, Niemeyer, 1959 (Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie ; 100), pp. 164-177.
4 Cette anecdote, que l’on désigne le plus souvent au moyen du titre que Jean de Condé lui a choisi, est aussi présente dans le recueil des Cent Nouvelles nouvelles.
5 Le conte Puteus, qui fournit une part de son intrigue au Georges Dandin de Molière, figure également dans le Roman des Sept Sages et dans le Décaméron.
6 Voir M. LANDAU, Die Quelle des Dekameron, Stuttgart, 1884.
7 Sur la littérature des exempla, on consultera, outre l’ouvrage classique de J.-Th. Welter (L’exemplum dans la littérature religieuse et didactique du Moyen Age, Paris, Toulouse, 1927) et l’Index exemplorum de F. C. Tubach (Helsinki, 1969), les travaux plus récents des chercheurs qui, comme Jacques Berlioz et Marie-Anne Polo de Beaulieu contribuent à faire connaître toujours mieux les auteurs des grands recueils, leur milieu intellectuel et leurs méthodes de travail. Un séminaire donné dans le cadre du Centre de Recherches Historiques, Groupe d’Anthropologie de l’Occident médiéval de l’Ecole des Hauts Etudes en Sciences Sociales, réunit l’équipe de recherche sur les exempla . Sur Pierre Alphonse, voir Cl. Bremond, « Pierre Alphonse, Disciplina Clericalis » dans J. Berlioz, M. A. Polo de Beaulieu, Les exempla médiévaux. Introduction à la recherche, suivie des tables critiques de l’Index exemplorum de Fr. C. Tubach, Carcassonne, GARAE/Hésiode, 1992, pp. 85-87.