Unité de russe

De l'émigré au déraciné

Durant l’entre-deux-guerres, Paris connaît une formidable émulation intellectuelle, artistique et littéraire, indissociable du pluriculturalisme qui caractérise à cette époque la capitale française. A l’exception de quelques figures de proue qui ont très tôt éveillé l’attention du public et des spécialistes (on pense à Ivan Bounine ou Vladimir Nabokov), le rôle joué par la communauté russe en exil durant cette période reste aujourd’hui encore méconnu. Certains poètes et prosateurs auront longtemps espéré qu’on entende enfin leur histoire, leurs revendications, leurs manifestes et déclarations esthétiques ; la postérité s’en souviendra comme de « la génération passée inaperçue ». Parce qu’elle s’est choisi une autre voie que celle tracée par l’élite intellectuelle russe à Paris, parce qu’elle a refusé de sacrifier à une Russie impalpable la filiation européenne dans laquelle elle souhaitait inscrire ses œuvres, cette « jeune génération » est restée dans les marges de l’histoire littéraire russe du XXe siècle.

C’est l’originalité de l’affirmation identitaire et esthétique de ces auteurs – tels Ekaterina Bakounina, Serge Charchoune, Iouri Felzen, Gaïto Gazdanov ou encore Boris Poplavski – qu’a voulu mettre en lumière Annick Morard. S’éloignant des perspectives classiques d’analyse, elle refuse de partir du constat habituel d’invisibilité de ces écrivains. Elle préfère s’interroger sur le rapport de ceux-ci à la France et à sa littérature, étudier le glissement qu’ils opèrent d’un discours générationnel vers un discours du Moi, et envisager leur vie et leurs œuvres sous l’angle d’un déracinement assumé, plutôt que sous celui du sentiment nostalgique. Cet ouvrage est la première étude en français consacrée à la « jeune génération » des écrivains russes à Paris, dans les années 1920 et 1930.

21 déc. 2010

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