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Des sociétés médicales contre le plafond de verre

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Bien que les femmes représentent aujourd'hui plus de la moitié des diplômé-es en médecine et en sciences de la vie dans de nombreux pays, les titulaires des fonctions dirigeantes dans les institutions biomédicales sont encore majoritairement des hommes. Dans la plupart des pays européens en effet, moins de 20% des postes professoraux en sciences biomédicales sont occupés par des femmes. Constatant que plus doit être fait pour lutter contre ce plafond de verre particulièrement solide, plusieurs sociétés savantes internationales s'unissent pour promouvoir une plus grande équité dans l’accès aux postes de cadre en médecine et en recherche.  La Société européenne de microbiologie clinique et de maladies infectieuses (ESCMID), la Fédération des sociétés européennes de microbiologie (FEMS), l'Infectious Disease Society of America (IDSA), la Société internationale des maladies infectieuses (ISID) et la Société suisse des maladies infectieuses (SSI) s’unissent et publient un document commun, à lire dans le Journal of Clinical Microbiology and Infection, afin d’appeler à un traitement équitable des interruptions de carrière lors de l'évaluation de l'éligibilité aux bourses de début de carrière.

«Encore aujourd’hui, de nombreuses femmes de retour de congé maternité se retrouvent reléguées à des postes auxiliaires, et voient leur carrière académique ou vers des postes de cadre en milieu clinique brusquement interrompues», se désole Angela Huttner, médecin spécialiste des maladies infectieuses aux HUG et privat-docent à la Faculté de médecine de l’UNIGE, et membre de L’ESCMID. «De fait, à leur retour, leur CV risque d'être plus mince que celui des hommes qui, eux, ne se sont pas interrompus. Elles ont probablement mené moins de projets de recherche et d’autres collaborations, et, devant jongler entre famille et carrière, elles n'auront peut-être pas assez de temps pour postuler à des bourses de début de carrière qui bien souvent définissent les responsables de demain.»

Des contraintes d’âge défavorables aux femmes

De nombreuses sociétés médicales imposent une limite d'âge, généralement 40 ans, pour l'admissibilité aux bourses de développement de carrière et autres bourses à l’attention des jeunes talents. «Le temps de finir ses études et de construire une famille, les femmes se retrouvent hors délais», observe Cynthia Sears, ancienne présidente de l'Infectious Disease Society of America.  A l’origine, ces limites d'âge visaient à protéger les jeunes candidat-es contre une concurrence plus expérimentée et plus âgée. Mais en réalité, ces limites d'âge fonctionnent comme un plafond de verre lors d’une pause de carrière.

Les membres des sociétés savantes du domaine de l’infectiologie ont décidé de s'attaquer à ce problème en commun et publiant une série de recommandations sur la manière de traiter équitablement les interruptions de carrière, qu'il s'agisse d'un emploi à plein temps ou d'une simple réduction de la charge de travail, lors de l'évaluation de l'admissibilité à ces bourses de début de carrière. Il s’agira ainsi de comptabiliser les années de carrière professionnelle, et non l’âge biologique des postulant-es. De plus, les sociétés doivent clairement indiquer dans l'annonce de la bourse que les interruptions de carrière seront prises en compte dans l'évaluation des candidatures. En outre, les coûts d'opportunité doivent également être pris en compte. «Les personnes qui prennent des pauses carrière voient parfois leur travail sous-documenté», explique Angela Huttner.  «En cas de départ avant la publication des articles scientifiques, par exemple, leur nom tend à disparaître de ces publications qui constituent pourtant l’un des indicateurs les plus importants pour l’évaluation des carrières.»

Enfin, les sociétés devraient mettre en place des systèmes pour collecter et analyser les données démographiques des candidatures reçues et des récipiendaires des subsides, y compris le sexe. «Le suivi des données dans le temps nous permettra de vérifier la validité de nos programmes de bourses et leur portée», explique Talia Swartz de l'IDSA, «Ce qui profitera à tout le monde, et non seulement aux femmes. Une approche plus inclusive garantira des propositions de haute qualité, indépendamment de l'âge ou des interruptions de carrière.»

Ce document de position constitue une première dans le monde de la recherche biomédicale, et donne un signal fort à toutes et tous.

8 mars 2021

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