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La disparition des femmes chercheuses en période de pandémie

Une équipe de l’UNIGE et des HUG démontre que durant la pandémie de COVID-19, les femmes chercheuses ont nettement moins soumis de recherches pour publication que leurs homologues masculins, probablement du fait d’une surcharge de travail combinée à des tâches supplémentaires au sein du foyer familial.

© UNIGE

Lorsqu’un article est publié dans une revue scientifique, trois positions d’auteur-e-s mettent en exergue les chercheurs/euses principales de l’étude : le/la premier-ère auteur-e, le/la dernier-ère auteur-e et l’auteur-e de correspondance. Ces places sont déterminantes, notamment dans l’évaluation des carrières scientifiques et l’attribution d’éventuelles promotions. Des études précédentes ont démontré que ces positions d’auteur-es étaient moins fréquemment occupées par des chercheuses que des chercheurs, en particulier les places de dernier-ère auteur-e, réservées aux scientifiques seniors. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), en collaboration avec le groupe d’édition BMJ, démontre aujourd’hui que cette inégalité s’est accrue considérablement durant la première vague de la pandémie, avec une diminution de près de 20% de femmes premières auteures ou auteures de correspondance. En cause ? Le confinement, qui a contraint les femmes chercheuses à adapter leurs fonctions académiques, afin de gérer les tâches domestiques et l’école à la maison. Des résultats à lire dans la revue BMJ.

Les recherches scientifiques sont menées conjointement par des scientifiques provenant de différentes institutions. Dès lors, pour savoir quels sont les acteurs et actrices principales d’une étude, des places spécifiques sont attribuées : le/la premier-ère auteur-e, qui est la personne ayant le plus contribué dans la recherche, parfois un-e scientifique junior-e en début de carrière; le/la dernier-ère auteur-e, la personne senior-e qui chapeaute l’ensemble de la recherche; et l’auteur-e de correspondance, la personne centrale de l’étude qui peut répondre à toutes les questions. «Ces places sont déterminantes, car elles attestent de la contribution à la production scientifique du-de la chercheur/euse et lui permettent, par la suite, d’évoluer au niveau académique, le critère du nombre d’articles publiés étant essentiel», explique Angèle Gayet-Ageron, professeure au Département de santé et médecine communautaires de la Faculté de médecine de l’UNIGE, médecin adjointe agrégée au Service d’épidémiologie clinique des HUG et première auteure de l’étude.

Les deux années précédant la pandémie, les femmes occupaient 46% des places de premier-ère auteur-e, 31,4% de celles de dernier-ère auteur-e et 38.9% de celles d’auteur-e de correspondance. «Nous avons voulu savoir si la pandémie avait eu un impact négatif sur la visibilité des femmes scientifiques aux places déterminantes d’auteures, ce qui pourrait nuire à leurs carrières», poursuit la chercheuse genevoise.

Quantifier la visibilité des femmes scientifiques en temps de pandémie

Pour pouvoir quantifier la production scientifique menée par des femmes durant la pandémie de COVID-19, l’équipe genevoise a analysé les positions d’auteur-es principal-es dans 11 revues du groupe BMJ, soit 63'259 manuscrits soumis entre le 1er janvier 2018 et le 31 mai 2021. «Notre idée était de prendre les années 2018-2019 comme années de référence, puis de nous concentrer d’une part sur les manuscrits traitant du COVID-19 durant la pandémie et d’autre part sur ceux traitant d’autres thèmes durant cette même période», explique Khaoula Ben Messaoud, chercheuse au Département de santé et médecine communautaires de la Faculté de médecine de l’UNIGE, co-première auteure de l’étude. En effet, il faut en moyenne trois ans entre le début d’une étude et sa publication dans une revue scientifique. Afin de savoir si les femmes ont moins produit durant la pandémie, il fallait pouvoir se concentrer sur la recherche effectuée durant cette même période. «C’est pourquoi nous nous sommes intéressé-es aux manuscrits traitant du coronavirus, car ces études dataient forcément de 2020-2021. De plus, le processus de publication s’est considérablement accéléré durant la pandémie, la communauté scientifique devant bénéficier au plus vite d’un maximum de données fiables», précise encore la chercheuse.

Importante chute de la production scientifique menée par des femmes

«Nos résultats sont éloquents : durant la première partie de la pandémie, début 2020, nous constatons une diminution de près de 20% des femmes premières auteures, de 12% des dernières auteures et de 20% d’auteures de correspondance dans les manuscrits traitant du COVID-19», relève Angèle Gayet-Ageron. Cette diminution importante correspond à la mise en place du premier confinement et à la fermeture des écoles. «Il se pourrait [DSN1] que les femmes aient eu plus de difficultés à poursuivre leurs activités de recherche – au vu des surcharges professionnelles et familiales – comparées à leurs homologues masculins», appuie la professeure. Cette perte de visibilité s’est atténuée par la suite, avant de revenir au niveau d’avant la pandémie lors de la reprise progressive des activités de la société.

L’équipe de l’UNIGE et des HUG a également constaté que plus il y a d’auteur-es pour une recherche, moins les femmes y occupent les postes clés. «Par contre, lorsque la dernière auteure est une femme, il y a deux fois plus de chances que la première auteure en soit une également», constate Khaoula Ben Messaoud. De nettes différences apparaissent également entre pays : en Océanie (principalement Australie), parmi les articles soumis, les femmes représentent 54% et 44% des premières et dernières auteures, contre 51% et 34% en Europe, et seulement 34% et 22% en Chine.

La pandémie comme frein à la carrière de la femme chercheuse

«La pandémie de COVID-19 nous a ainsi permis de mettre en exergue que les femmes ont été moins impliquées dans les recherches scientifiques liées au COVID-19 et qu’elles ont occupé des places moins prestigieuses comparées à leurs collègues masculins. Ceci pourrait avoir un impact négatif sur leur carrière académique», résume Angèle Gayet-Ageron. L’équipe genevoise estime alors qu’il faut tenir compte de ces inégalités, notamment lors de l’analyse de dossiers académiques pour lesquels le nombre d’articles publiés est un critère déterminant. «Les femmes ont désormais un trou dans leur production scientifique publiée à cause de la pandémie et cela devra être pris en considération», conclut la professeure.

 

Ce travail s’inscrit dans une étude ancillaire au projet ATHENA financé par le FNS.

 
19 oct. 2021

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