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Jeanne Calment était bien la doyenne de l’humanité

En combinant épidémiologie, modélisation mathématique et enquête historique, des chercheurs genevois et français confirment la longévité exceptionnelle de Jeanne Calment, invalidant les théories complotistes en la matière.

© DR. Jeanne Calment à l’âge de vingt ans.

Décédée en 1997 à 122 ans et 165 jours, Jeanne Calment est encore aujourd’hui l’être humain à la vie la plus longue. Cette longévité exceptionnelle a fait l’objet de nombreuses enquêtes, tant de son vivant qu’après sa mort, pour entériner ce record. Remise en question par une équipe russe fin 2018, qui avançait la théorie d’une machination familiale en vue d’une fraude à l’assurance, le record de Mme Calment est aujourd’hui confirmé. Des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) en Suisse, ainsi que de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm) et de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE) en France, apportent en effet les preuves historiques et épidémiologiques de la longévité de la plus célèbre des doyennes de l’humanité. Leurs travaux de modélisation mathématique mettent en outre en lumière l’augmentation probable du nombre de personnes dépassant 120 ans. Des résultats à découvrir dans le Journal of Gerontology.

Plus de vingt ans après sa mort, Jeanne Calment reste encore aujourd’hui l’être humain dont la vie a été la plus longue. Cette longévité exceptionnelle n’a de cesse d’étonner et est d’ailleurs régulièrement remise en cause. Il y a quelques mois, Nikolay Zak, un jeune mathématicien russe, s’appuyait notamment sur l’hypothèse d’une impossibilité statistique qu’un être humain atteigne l’âge de 122 ans. Il affirmait alors que Jeanne Calment était en fait sa fille Yvonne. Celle-ci ne serait pas morte de la tuberculose en 1934, mais aurait frauduleusement pris l’identité de sa mère. Pourtant, le démographe Jean-Marie Robine, chercheur à l’Inserm et à l’Ecole pratique des hautes études, avait dès 1998 apporté les preuves historiques de la longévité de Mme Calment dans un article publié dans Science. Il avait en outre rencontré Mme Calment plusieurs fois avant sa mort pour homologuer son statut de «doyenne de l’humanité». «La ‘théorie du complot’ de l’équipe russe remettait directement en cause mes travaux, explique-t-il. Nous avons donc, avec mes collègues, non seulement repris l’enquête historique et démographique à zéro, mais nous avons également examiné en détails l’hypothèse mathématique proposée par Nikolay Zak.» Pour cela, il a fait appel à François Herrmann, professeur à la Faculté de médecine de l’UNIGE, médecin-cadre au service de gériatrie des HUG et spécialiste de l’épidémiologie des personnes âgées.

Un modèle mathématique robuste
François Herrmann explique sa démarche: «Est-il possible de vivre jusqu’à 122 ans? Cette question résume toute la controverse autour de Jeanne Calment. Pour le savoir, nous avons conçu un modèle probabiliste basé sur des données démographiques solides.» Les chercheurs ont reconstitué la cohorte complète de toutes les personnes nées en France en 1875 – l’année de naissance de Mme Calment – afin de connaître leur âge à leur mort. Ils ont ensuite refait l’exercice pour l’année 1903, qui constitue la dernière cohorte éteinte (il ne reste aujourd’hui plus aucune personne encore en vie en France née en 1903). Afin de construire un modèle fiable et de limiter les fluctuations dues au hasard, les valeurs extrêmes – les chiffres d’âge pour lesquels il y avait moins de 30 personnes décédées – ont ensuite été exclues. Des probabilités de survie à 100 ans, puis à 101 ans, à 102 ans, etc. ont ensuite été calculées, basées sur les données de l’époque. «Nous avons finalement appliqué ces chiffres de probabilité de survie sur une population virtuelle de 100’000 centenaires, afin de déterminer l’âge maximal d’extinction de la cohorte. Nous arrivons à un âge compris entre 119 et 123 ans. Ainsi, tous les 10 millions de centenaires, une personne peut atteindre 123 ans.» Une probabilité certes mince, mais qui est loin de faire de Mme Calment une impossibilité statistique.

De plus en plus de «supercentenaires»
A la mort de Mme Calment, la nouvelle doyenne de l’humanité n’avait «que» 112 ans, soit 10 ans de moins. «Un écart important qui faisait de Mme Calment une anomalie, souligne le professeur Herrmann. Depuis, cependant, une personne a atteint 119 ans, et cinq autre 117 ans. L’écart se restreint! Mme Calment a simplement été un peu en avance sur son temps.»

Quel est le secret de cette longévité? Sûrement un mélange de bon patrimoine génétique et de chance, comme l’explique Jean-Marie Robine: «Bon nombre des ascendants de Mme Calment ont vécu particulièrement longtemps, de même que son frère. Par ailleurs, la famille était aisée et éduquée, deux facteurs socio-économiques qui, encore aujourd’hui, prédisposent à une bonne longévité.» Malheureusement, le petit-fils de Mme Calment est mort jeune et sans descendance dans un accident de voiture; impossible, donc, de vérifier cette hypothèse familiale.
L’article, rédigé notamment par les professeurs Herrmann et Robine, reprend aussi en détails l’histoire de la vie de Mme Calment et apportent la preuve que celle-ci, loin des complots familiaux et des détournements de fonds, a bien vécu 122 longues années. Sera-t-elle bientôt rejointe? Au vu du nombre toujours croissant de centenaires, très probablement.

13 sept. 2019

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