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Quand la toxoplasmose ôte tout sentiment de peur

Des chercheurs de l’UNIGE montrent comment le parasite de la toxoplasmose colonise le cerveau de la souris sous forme de kystes, jusqu’à modifier drastiquement son comportement.

© UNIGE. Représentation 3D d’un cerveau infecté par Toxoplasma gondii (en rouge) et imagé par microscopie à nappe de lumière (Light Sheet Fluorescence Microscopy).

Le parasite Toxoplasma gondii infecte tant les animaux que les hommes. Son objectif? Atteindre les intestins du chat, le seul hôte dans lequel il se reproduit de façon sexuée. Pour ce faire, le parasite infecte tout d’abord la souris et modifie drastiquement son comportement: sa peur naturelle des chats se transforme en attraction et fait d’elle une proie facile. Mais comment le parasite réussit-il une telle prouesse? Des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) démontrent aujourd’hui que le parasite ne se limite pas exclusivement à la peur des chats, mais modifie l’ensemble du comportement de la souris ayant trait à l’anxiété, au stress et à la curiosité. Plus le parasite est présent sous forme de kystes dans le cerveau, plus la souris est désinhibée. Ces résultats, à lire dans la revue Cell Reports, mettent fin au mythe d’une altération spécifique de la peur des chats, mais démontrent que le comportement général du rongeur est altéré.

Toxoplasme est un parasite qui établit une infection chronique persistante dans son hôte sous forme de kystes présents dans les muscles et le cerveau, notamment chez l’homme. Il s’attrape en mangeant de la viande insuffisamment cuite, des fruits et légumes terreux mal lavés ou encore en nettoyant la caisse de son chat. Cette infection reste généralement latente, sauf si la personne souffre d’immunosuppression, par exemple chez une personne greffée ou porteuse du VIH mais n’étant pas sous traitement. Dans ces cas, l’infection s’active et peut entraîner la mort. La toxoplasmose est également dangereuse pour le fœtus si la mère contracte l’infection pour la première fois lors de sa grossesse. Ne pouvant être protégé par le système immunitaire de sa mère, le cerveau du bébé risque d’être infecté, provoquant des lésions neurologiques, voire dans certains cas un avortement précoce.

Un parasite qui induit une perte de la peur et de l’inhibition
Le parasite de la toxoplasmose assure sa transmission grâce aux chats. Dans l’intestin de cet hôte, dit définitif, le parasite produira des oocytes très infectieux qui seront expulsés via les excréments. Mais comment atteindre le félin? «Le moyen le plus efficace est de se faire manger par le chat pour atteindre ses intestins, explique Dominique Soldati-Favre, professeure au Département de microbiologie et médecine moléculaire de la Faculté de médecine de l’UNIGE. C’est pourquoi la souris est toute désignée!» De nombreuses études ont dévoilé que le parasite parvenait à modifier le comportement de la souris, jusqu’à transformer sa peur des chats en une attraction pour le félin, faisant d’elle une proie facile. «Nous nous sommes alors demandés comment le Toxoplasme parvenait à mettre en place un mécanisme aussi spécifique, à savoir l’altération exclusive de la peur des chats», poursuit Madlaina Boillat, chercheuse au Département de génétique et évolution de la Faculté des sciences de l’UNIGE.

Le laboratoire d’Ivan Rodriguez, professeur au même Département de génétique et évolution, travaille sur les comportements innés des rongeurs, comme par exemple les interactions entre proies et prédateurs. Afin de déterminer si le changement de comportement de la souris ne concernait que sa réponse face aux félins, son équipe a en premier lieu testé l’anxiété générale du rongeur infecté en observant son sentiment de sécurité et sa curiosité, puis en les comparant avec ceux d’une souris saine. «Lors de cette première étape, nous avons immédiatement constaté une différence d’attitude chez la souris infectée, plus curieuse, moins stressée», relève Ivan Rodriguez. Puis, les chercheurs ont placé les souris malades et les souris contrôles en présence d’urine de lynx. «Contrairement aux souris saines, les souris infectées par le parasite étaient toutes attirées par cette odeur, qui normalement les fait fuir», ajoute Madlaina Boillat. Ils ont ensuite élargi l’expérience aux autres prédateurs de la souris, comme le renard, mais surtout le rat. «Nous avons placé un rat endormi dans la cage des souris contrôles, qui tout de suite ont montré une réaction de panique. Au contraire, les souris infectées se sont même baladées sur le rat!», remarque Ivan Rodriguez.

Ces expériences démontrent que contrairement à ce qu’affirme la littérature scientifique sur le sujet, ce n’est pas seulement la peur du chat qui est inhibée chez la souris infectée, mais bien l’ensemble de son comportement qui est affecté. «Notre étude met fin à un mythe et permet à présent de rechercher le mécanisme par lequel le parasite effectue cette prouesse», souligne Pierre-Mehdi Hammoudi, chercheur dans l’équipe de Dominique Soldati-Favre.

Plus il y a de kystes, plus le comportement est atteint
Les scientifiques ont induit des infections très contrôlées qui leur ont permis de déterminer exactement combien de kystes la souris avait développé. «En utilisant la technique de microscopie à nappe de lumière, nous avons pu observer le cerveau avec une résolution extrême, et nous avons constaté que l’ensemble du cerveau était envahi de kystes, plus particulièrement le cortex, alors que les hypothèses penchaient pour l’amygdale, impliquée dans la réponse innée de la peur», relève Dominique Soldati-Favre. Les kystes provoquent ainsi une inflammation globale au niveau des tissus du cerveau. «Mais le changement de comportement est perceptible dès 200 kystes chez la souris, avec un réel effet sur la peur entre 500 et 1000 kystes», continue la chercheuse.

Et l’homme ?
Chez l’homme, dont 30% à 80% de la population est infectée, des corrélations ont été observées entre la toxoplasmose et des impacts neurologiques, résultant des effets indirects des kystes causés par l’inflammation du cerveau. «Le comportement d’une personne infectée semble être légèrement modifié en fonction du degré d’inflammation du cerveau, mais l’homme reste un hôte accidentel pour le parasite, et son système immunitaire, sauf déficience, parvient relativement bien à contrôler l’évolution des kystes», conclut Dominique Soldati-Favre. L’infection prédispose d’ailleurs également à certaines autres maladies neurologiques, comme la schizophrénie, Parkinson ou Alzheimer.

14 janv. 2020

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