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Une dégénérescence de la vue et du cœur stoppée

Des chercheurs de l’UNIGE ont découvert un nouveau gène provoquant une cécité et une cardiomyopathie. Ils ont ensuite pu arrêter la progression de la maladie oculaire et traiter l’atteinte cardiaque grâce à l’administration d’un complément alimentaire.

Photographies du fond d’œil gauche du patient au départ et après 24 mois de supplémentation en taurine, montrant la stabilité anatomique avec préservation des photorécepteurs. © UNIGE

 Notre génome est composé de 20’000 gènes, tous susceptibles de provoquer des pathologies. On estime qu’il reste 7’000 gènes inconnus responsables de maladies génétiques récessives, c’est-à-dire découlant de mutations présentes sur les deux copies d’un gène, héritées de chaque parent. Des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) ont identifié aujourd’hui 45 nouveaux gènes responsables de cécités ou de déficiences intellectuelles. Leur intérêt s’est porté particulièrement sur le gène SLC6A6, qui transporte un acide aminé indispensable au fonctionnement de la rétine et du muscle cardiaque: la taurine. En cas de mutations du gène SLC6A6, la personne atteinte manque de taurine. Elle perd progressivement la vue jusqu’à devenir aveugle en quelques années et développe une faiblesse cardiaque. Les généticiens de l’UNIGE ont émis l’hypothèse qu’il était possible de combler ce manque grâce à une complément de taurine et en ont administré à une petite fille atteinte de cette maladie, permettant de stopper la progression de la dégénérescence visuelle et de traiter sa cardiomyopathie. Une première dans le traitement des maladies génétiques récessives à lire dans la revue Human Molecular Genetics.

Les maladies génétiques récessives, comme la mucoviscidose, résultent d’une mutation sur les deux copies d’un même gène, héritées de chaque parent. Afin de pouvoir identifier toujours plus de gènes responsables de telles conditions, des chercheurs de l’UNIGE, en collaboration avec des scientifiques pakistanais, ont étudié les génomes de 500 familles pakistanaises ayant des enfants malades et en bonne santé. «Nous nous sommes intéressés aux familles pakistanaises, car celles-ci pratiquent encore couramment la consanguinité en favorisant à plus de 50% les mariages entre cousins germains, explique Stylianos Antonarakis, professeur honoraire à la Faculté de médecine de l’UNIGE. En effet, les risques de développer une maladie génétique récessive sont augmentés par la consanguinité, car environ 12% du génome est identique chez des cousins.»


Un nouveau gène identifié

Une famille a particulièrement intéressé les chercheurs : les deux parents, cousins germains en bonne santé, ont quatre enfants dont deux malades: un garçon de 15 ans, devenu complètement aveugle en quelques années, et une fille de 4 ans, perdant progressivement la vue mais encore capable de discerner les formes et les couleurs. «Avec l’aide de l’Université médicale de Khyber au Pakistan, nous avons collecté le sang de chaque membre de la famille et le séquençage de leur génome a montré que leur maladie était liée à une mutation du gène SLC6A6», relève Muhammad Ansar, chercheur au Département de génétique de la Faculté de médecine de l’UNIGE. Ce gène produit une protéine de la membrane cellulaire qui transporte la taurine, un acide aminé important, notamment pour le fonctionnement de la rétine et du muscle cardiaque. «Il s’agit d’un complément alimentaire que l’on trouve en grande quantité dans certaines boissons énergisantes», précise-t-il. Les patients souffrant de cette maladie ont un taux extrêmement bas de taurine dans le sang ; le professeur Keith Henry de l’Université du Dakota du Nord a montré que l’anomalie génétique dans cette famille réduisait la capacité de transport de la taurine à 15% de son activité normale.

Une maladie récessive réversible?

Les scientifiques ont émis l’hypothèse qu’il était possible de stopper l’évolution de la maladie en administrant de la taurine à ces enfants. Ils ont alors fait venir la famille à Genève pour mener des investigations détaillées sur cette maladie génétique rare. En plus de l’atteinte visuelle progressive, malheureusement complète chez le garçon, les médecins ont diagnostiqué une atteinte du muscle cardiaque chez les deux enfants. La petite fille conservait encore une vision résiduelle.

La taurine n’étant pas un médicament mais un complément alimentaire, la commission d’éthique de l’État a donné son accord à une administration par voie orale. «Nous avons donné 100 mg par kg de taurine chaque jour aux enfants, à poursuivre sur le long-terme, et nous avons organisé des suivis ophtalmologique et cardiaque réguliers au Pakistan», souligne Emmanuelle Ranza, médecin généticien aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et l’UNIGE en charge de la partie clinique de cette étude. Les résultats ne se font pas attendre. En trois jours, leur taux de taurine dans le sang passe de 6 à 85 μmol/l, atteignant des seuils normaux. Au bout de deux ans, la cardiomyopathie a totalement disparu chez les deux enfants! De plus, la dégénérescence de la vue de la fillette a été stoppée, marquant même une amélioration qui lui redonne une autonomie dans ses déplacements. Cette évolution a été malheureusement impossible pour le garçon qui avait déjà perdu toute sa rétine.

Un patient peut changer la médecine

«Ces résultats sont exceptionnels, car c’est la première fois qu’un complément alimentaire administré par voie orale permet un traitement de la rétine et du cœur avec succès, s’enthousiasme Stylianos Antonarakis. Cette petite fille a ouvert la voie à la guérison potentielle de nouveau-nés atteints de la même maladie récessive. Un patient peut changer l’histoire de la médecine!» En effet, les chercheurs estiment qu’il y a potentiellement 6’000 bébés au monde, et environ 300 dans les pays européens et nord-américains, qui pourraient être atteints de la même maladie liée à SLC6A6. «Notre objectif est aujourd’hui de dépister précocement les nouveau-nés affectés par cette condition, afin de pouvoir les traiter dès la naissance avec un complément de taurine et de potentiellement éviter l’apparition de symptômes», poursuit Stylianos Antonarakis. L’objectif des généticiens est également de continuer à identifier de nouveaux gènes responsables de maladies récessives, et ce d’autant plus qu’ils ont aujourd’hui la preuve que certaines d’entre elles peuvent être traitées efficacement.

21 janv. 2020

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