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Une nouvelle cible moléculaire contre des cancers particulièrement agressifs

En décryptant comment la protéine FKBP10 favorise la progression de cancers du poumon, des scientifiques de l’UNIGE proposent une stratégie thérapeutique originale.

©UNIGE Coppari/Collart labs. En vert, le poumon d’une souris, en rouge, les cellules tumorales. Lorsque FKBP10 n’est plus exprimée (image de droite), le nombre de cellules tumorales diminue significativement.

Pertinence, spécificité et limitation des risques de rechute : ces trois éléments sont essentiels lors de la mise au point de nouvelles thérapies contre le cancer. En décryptant le rôle d’une protéine nommée FKBP10, exprimée dans les cellules tumorales lors de certains cancers (affectant notamment le poumon ou le colon), mais pas dans les cellules saines, des scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) ont identifié une cible novatrice. Cette protéine particulièrement néfaste semble en effet renforcer l’agressivité du cancer en favorisant l’apparition de «cellules souches cancéreuses» résistantes. En inhibant cette protéine dans un modèle animal de cancer du poumon, l’équipe genevoise est parvenue à faire régresser la tumeur de manière spectaculaire. Ces résultats, à découvrir dans la revue Cell Reports, apportent une première preuve de l’intérêt de FKBP10 dans certaines formes de cancer pour lesquels le pronostic vital est particulièrement engagé.

Bien souvent, les traitements contre le cancer tuent indifféremment les cellules malades et les cellules saines, déclenchant des effets secondaires parfois dévastateurs. De plus, certains cancers, qui de prime abord semblent être éliminés après une série de traitements, réapparaissent ensuite sous une forme encore plus agressive, un effet qui semble engendré par les cellules souches cancéreuses. Améliorer la précision et limiter le risque de récidive de la maladie constituent donc deux des objectifs principaux de la recherche lors de la mise au point de toute nouvelle thérapie.
En 2014, l’équipe de Roberto Coppari, professeur au Département de physiologie cellulaire et métabolisme de la Faculté de médecine de l’UNIGE, avait identifié une protéine particulière, nommée FKBP10, exprimée dans des cellules cancéreuses du poumon humain, mais pas dans les cellules saines. «Cette protéine semble être importante pour les cellules se divisant rapidement, et doit donc être exprimée lors du développement embryonnaire et dans les premiers stades de la vie, lorsque l’organisme en devenir doit se construire, explique le scientifique. Son expression est ensuite fortement réduite (voire complètement arrêtée) à l’âge adulte, mais peut être réactivée de manière sélective dans les cellules tumorales.» En outre, la présence de FKBP10 semble annonciatrice de mauvaises nouvelles: ces tumeurs sont en effet plus agressives et les chances de survie du patient moindres.

Inhiber FKBP10 pour éviter le risque de rechute
Pour confirmer le rôle déterminant de la protéine FKBP10 dans la progression du cancer, les scientifiques ont étudié un modèle murin du cancer du poumon. «L’inhibition de l’expression de la protéine FKPB10 chez certaines de nos souris, en particulier après l’apparition de la tumeur, a mené à la quasi disparition du cancer,» s’enthousiasme Roberto Coppari. «Cela confirme les résultats que nous avions obtenus sur des cellules tumorales humaines, mais cette fois-ci dans un organisme complet. Cela montre également, et c’est très important dans une optique thérapeutique, que le processus peut être inversé après l’apparition du cancer.»

De plus, FKBP10 semble également impliquée dans le risque élevé de rechute: quelques mois ou quelques années après un premier traitement apparemment efficace, la tumeur peut en effet revenir de manière très agressive. «Cette résistance provient de cellules dites «cellules souches cancéreuses» au profil bien particulier, indique Martine Collart, professeure au Département de microbiologie et médecine moléculaire de la Faculté de médecine de l’UNIGE, dont l’expertise en matière de synthétisation et d’assemblage des protéines s’est avérée précieuse. La plupart des traitements visent la destruction des cellules à division rapide, comme le sont la majorité des cellules tumorales. Cependant, les cellules souches cancéreuses y échappent car elles ont la particularité de ne pas se diviser rapidement. Elles seraient même sélectionnées et enrichies par les chimiothérapies, puis deviennent capables de proliférer et induisent alors le retour de la maladie sous une forme encore plus agressive. Dans ce contexte, FKBP10 semble importante pour la synthèse des protéines, et particulièrement pour l’action d’un acide aminé, la proline. Ainsi, en inhibant FKBP10, nous avons non seulement arrêté la prolifération des cellules tumorales, mais aussi empêché la formation des cellules souches cancéreuses.»

En effet, pour pouvoir assumer leur fonction dans la mécanique cellulaire, les protéines doivent se replier correctement après leur synthétisation. Ce phénomène est lié à la façon dont les acides aminés sont disposés. L’un d’entre eux, la proline, peut adopter différentes configurations et permettre ou non aux protéines auxquelles il est incorporé de se replier et de fonctionner correctement. Et dans ce mécanisme, FKBP10 modifie l’isomérisation de la proline – soit la manière dont elle se configure – rendant son incorporation dans les protéines plus efficace.

Deux approches complémentaires pour une nouvelle thérapie
Si toutes les tumeurs n’expriment pas FKBP10, cette protéine apparaît cependant dans un bon nombre d’entre elles, en particulier celles affectant les poumons, le côlon ou encore les seins. Dans la poursuite de leurs travaux, les équipes genevoises ont adopté deux approches différentes, mais complémentaires: Roberto Coppari a entrepris de réanalyser des dizaines de médicaments déjà approuvés afin de tester leur effet sur FKBP10, dans l’espoir d’identifier une molécule inhibitrice efficace. Martine Collart, pour sa part, se penche sur la caractérisation exacte de la protéine et de son fonctionnement pour la cibler spécifiquement. «Nous traitons la même question de manière différente afin, justement, de les combiner pour plus d’efficacité,» concluent les auteurs.

Ces travaux ont pu être menés grâce, notamment, au soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), de la Ligue genevoise contre le cancer et de la Ligue suisse contre le cancer.

 

7 avr. 2020

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